Cette fois-ci dans Partie Rapide, Shift vous parle d’Hypnospace Outlaw, un trip kitsch et psyché dans l’internet alternatif de 1999 et Tritri de Satisfactory, le Factorio à la première personne de Coffee Stain Studios.
Hypnospace Outlaw
À chaque nouvelle tentative d’arrêt de la cigarette, je retente la même stratégie : investir en fin de mois le budget normalement dédié à la clope dans les jeux vidéo. Et ça tombe bien, puisque mars était riche en tentations et que j’ai donc succombé à l’appel de Baba is you (à cause de Murray), Persona 5 (la faute à Zali et Jok), Unruly Heroes, ainsi que le jeu qui nous intéresse aujourd’hui : Hypnospace Outlaw. Si on compte, ça dépasse largement le budget clopes, mais chut.
Vos papiers.txt s’il vous plait
Nous sommes en 1999, et la société Merchantsoft vient tout juste de sortir son déjà révolutionnaire HypnOS, un système d’exploitation accessible via un bandeau – une sorte de casque VR rétrofuturiste – et scène d’un internet encore balbutiant : l’Hypnospace. Et c’est là que vous intervenez, puisque Merchantsoft vous a engagé en tant qu’enforcer, c’est à dire policier de l’internet. À l’instar de jeux comme Her Story ou Orwell (tous deux excellents), Hypnospace Outlaw brouille la frontière entre joueur et personnage en vous faisant incarner un utilisateur du logiciel. Vous voyez exactement ce que voit votre enforcer, ni plus, ni moins.
HypnOS se présente comme n’importe quel système d’exploitation : bureau, icônes, boîte mail, navigateur web, on est en terrain connu et la vidéo d’introduction est plus là pour la blague que pour faire office de réel tutoriel, tant le tout est instinctif pour quiconque ayant un jour posé la main sur un clavier. Et la blague est loin de s’arrêter là. Dès les premières minutes, on est plongé dans un océan de kitsch et de mauvais goût parfaitement contrôlé, à base de pages fluo de groupes de musique, de blogs clignotants d’ados trop branchés et autres dragons et châteaux en 3D sur fond de Cosmorock, prêts à satisfaire mon amour du cringe.
L’histoire, finalement assez en retrait, se découpe en une petite dizaine d’affaires assignées à notre enforcer – contrôler les violations de droits d’auteur, mettre fin à du harcèlement en ligne ou débusquer la source de malwares – qui seront surtout l’occasion de se perdre dans l’internet alternatif de l’an 1999. Certaines missions finiront par devenir franchement complexes et longues à achever, parfois à cause du moteur de recherche un peu pourri, d’une logique qui me dépasse ou de puzzles ardus, mais tout l’intérêt repose justement dans l’exploration méticuleuse de ce gigantesque foutoir 2.0. Hypnospace Outlaw se prête ainsi autant à de longues sessions de recherches intensives qu’à de courtes parties d’exploration et personnalisation d’HypnOS.
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Car oui, comme tout système d’exploitation qui se respecte, HypnOS est tout à fait personnalisable, et, entre deux missions, vous aurez le loisir d’acheter et coller moult stickers, changer les couleurs, le fond d’écran, installer tout ce que vous voudrez de jeux et logiciels, acheter des animaux virtuels (pour les amateurs de Tamagochis) à laisser crever, nourrir et chouchouter ou encore vous ruiner en .mp3 (la bande-son est globalement très cool, à deux/trois morceaux volontairement agaçants près).
Je parlais plus haut du scénario assez anecdotique (mention spéciale à la fin, abrupte et un peu décevante je dois dire), mais Hypnospace Outlaw n’est cependant pas dépourvu de message ni de narration. Dès les premières missions, notre éthique est rapidement titillée, face à l’obligation de supprimer des dessins d’enfants allant à l’encontre de droits d’auteur ou au contraire, de se faire suggérer par ses supérieurs de laisser tranquille un arnaqueur en ligne.
Comme dans Orwell, on finit par se demander si l’on est vraiment dans le bon camp, sans, cependant, avoir tellement l’occasion de faire autrement, puisque si le jeu nous laisse différentes possibilités de mener une enquête, la résolution est toujours la même et tous les joueurs suivront le même fil directeur. Les rares écarts se trouveront dans le zèle que vous mettrez ou non dans l’exécution de vos tâches, chacune possédant un nombre minimum de signalements à effectuer, mais récompensera contre argent virtuellement sonnant et trébuchant tout élément supplémentaire ajouté au dossier. Après, ça se passera entre vous et votre morale, moi je juge pas.
Là où les expériences différeront, ce sera dans la découverte et le suivi des multiples arcs narratifs secondaires, autour desquels gravitent tout un tas de personnages finement écrits (mais intégralement en anglais). Drôles, touchants, tristes, exaspérants, dangereux, malveillants ou juste vantards, les internautes de l’Hypnospace sont particulièrement crédibles et suivre leurs interactions est autant un plaisir que sanctionner leur pages peut être un crève-cœur. En ligne droite, le jeu se bouclera en 6h à peine, mais ce serait passer à côté de tout ce qui fait son sel.
Difficile de conseiller Hypnospace Outlaw à tout le monde, la faute à son esthétique criarde et cringe à souhait, ses textes entièrement en anglais et ses énigmes parfois assez cryptiques. À celles et ceux qui pourront passer outre ces points (et j’en fais partie), foncez sans hésiter : le titre de Jay Tholen est drôle, malin, terriblement attachant et rempli de surprises et easter eggs.
Satisfactory
Annoncé lors de la conférence PC Gaming Show de l’E3 2018, Satisfactory, des suédois de Coffee Stain Studios (Goat Simulator), a séduit l’amateur de Factorio et d’optimisation que je suis. Sorti en Early Access en mars, le jeu de construction d’usine à la première personne tient toutes ses promesses, et même les dépasse.
Collectivisation des moyens de production
Vous voilà largué sur une planète, seul ou avec des amis, par une entreprise qui vous demande de lui fournir moult produits manufacturés. Ce sera à vous de produire ce qu’il faut, via des chaînes de plus en plus complexes, pour satisfaire les demandes de l’entreprise. Le problème avec les jeux du genre c’est d’accrocher le joueur. Trop compliqué, il sera dépassé et ne voudra pas continuer, à l’inverse, trop simple et le joueur n’aura pas l’impression d’apprendre et se sentira trop « pris par la main ». Satisfactory est un modèle. Sa progression à base de paliers vous initie à tous les concepts essentiels du jeu, tout en vous encourageant à automatiser au fur et à mesure la production. La production est donc tout d’abord manuelle, puis les paliers vous débloqueront de plus en plus d’éléments d’automatisation : tapis roulant, usines, mines.
Au bout d’une dizaine d’heures de jeu, vous vous retrouverez avec une usine tentaculaire, sans trop savoir comment elle est arrivée là. Et le titre du jeu prendra tout son sens, quand la satisfaction du travail bien fait s’installera dans votre cœur d’industriel du dimanche en regardant vos tapis roulants dérouler leurs marchandises. Là où le jeu brille particulièrement, c’est par sa variété. Nous y avons joué à trois : chacun a très vite trouvé ce qu’il aimait faire. Pendant que l’un allait explorer pour trouver les matériaux rares, ou des artefacts uniques à rechercher pour débloquer des améliorations, l’autre construisait des mines et le réseau de tapis roulants, tandis que le dernier passait son temps à préparer la chaîne de production. Si parfois dans ce genre, l’un des pans du gameplay est délaissé, en particulier dans les Early Access, ici chacun s’amuse dans ce qu’il aime faire.
L’optimisation, c’est pour les faibles
L’autre grand risque pour Satisfactory, c’était le choix de la première personne. La construction à la vue FPS est souvent un calvaire : angles bouchés, hitbox pétées, rotations aléatoires, tant de choses peuvent mal se passer et gâcher l’expérience. Encore une fois, les petits gars de chez Coffee Stain ont fait un travail exceptionnel. Poser un bâtiment est d’une simplicité confondante : en appuyant sur ctrl pendant que vous le placez, la silhouette du bâtiment s’aligne automatiquement avec ceux d’à côté. Si vous posez des fondations, vous aurez une grille sur laquelle les bâtiments se colleront, rendant la construction simple et intuitive. Pareil pour les tapis roulants, qui finissent par se construire tout seuls et qui ont une très bonne tolérance au clipping, aux virages et aux pentes. Il faudra parfois ruser, mais rarement vous vous retrouverez à détruire toute une zone pour que quelque chose passe.
Early Access oblige, Satisfactory souffre de deux/trois bugs. Ainsi, notre explorateur intrépide s’est vu plusieurs fois obligé d’appuyer sur le bouton respawn car il avait clippé à travers la map, perdant ainsi tout son inventaire qui était resté sous le sol, donc inaccessible. Les performances souffrent parfois, mais franchement rien de dramatique. Ces deux/trois bugs n’entachent en rien l’expérience de jeu, en particulier niveau contenu. Le jeu est bourré de choses à faire, il y a déjà 3 tiers, sur les 6 à venir, de recherches et de bâtiments à faire. Je n’ai que rarement vu un Early aussi fourni à la sortie, et c’est très bon signe pour l’avenir du titre.
Si vous avez aimé Factorio, vous retrouverez dans Satisfactory cette obsession de l’organisation et de l’optimisation. Évidemment, le premier profite d’être en Early depuis des années et a beaucoup plus de contenu et de profondeur, mais Satisfactory brille sur d’autres points : beau, plaisant à jouer, et utilise judicieusement la vue à la première personne. Probablement un des meilleurs Early Access que j’ai eu l’occasion de tester, je lui promets un bien bel avenir.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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