Antagonistes est une série de portraits non-exhaustifs de figures du jeu vidéo qui viennent s’opposer au protagoniste que l’on incarne. Mais plus que de simples vilains, ces « méchant(e)s » retenu(e)s possèdent à chaque fois une ou plusieurs caractéristiques qui les rendent vraiment uniques. Évidemment, puisqu’il s’agit d’aborder leurs actions et leurs parcours, parfois en profondeur, les portraits contiennent très souvent des spoils majeurs. Vous voilà prévenus !
This anglerfish specimen was found attached to the landing gear of one of our ships that flew close to Dark Bramble. It appears well-suited to living in dark places with minimal atmosphere.
Vous le savez, Outer Wilds permet de mourir de multiples manières. Hormis la sympathique supernova qui revient inlassablement nous effacer, l’environnement réserve son lot de surprises. Un saut que la gravité rend trop élancé et on finit écrasé contre un rocher. Un volume de sable qui croît plus vite que prévu et c’est la fusion inexorable avec le plafond d’une grotte. Une chute malencontreuse dans la lave parce qu’on regardait ailleurs. Ou même, le plus frustrant : une sortie hors du vaisseau sans la combinaison. Nombreux sont donc les accidents et l’environnement nous le rappelle sans cesse. Toutefois, rien de réellement agressif envers le joueur ou la joueuse jusque-là.
Il y avait donc un bien meilleur choix pour Antagonistes. Parce qu’il existe un véritable ennemi dans le jeu de Mobius Digital. Ou plutôt, un type d’ennemis. Rappelez-vous. Rappelez-vous l’étrange planète brisée dont le noyau est désormais une géante graine percée. Rappelez-vous la méfiance des premiers mètres parcourus à l’intérieur d’une de ses entrées. Rappelez-vous cet endroit où rien ne semble régner, si ce n’est un vide brumeux d’où ne se distinguent que de ternes lumières éparses. Rappelez-vous la navigation hasardeuse, puis la curiosité qui peu à peu prend le dessus, poussant à aller vers un de ces cercles jaunâtres. Rappelez-vous les grandes ronces qui brisent la monotonie du brouillard permanent, habituant doucement l’œil à des formes nouvelles et inanimées. Rappelez-vous approcher toujours plus d’un des étranges points lumineux, lentement, car gagné d’une inquiétude grandissante.
Et rappelez-vous enfin la terreur à la vue d’une des petites sphères jaunes, car elle surmonte en fait une gueule béante qui soudain s’anime, et dont le hurlement monstrueux rompt le quasi-silence fait jusque-là de quelques faibles notes de musique. En quelques secondes, la créature se jette sur vous, elle vous dévore et vous êtes mort. Vous venez de rencontrer le coelacanthe. Une expérience que beaucoup ont partagé en allant pour la première fois visiter Sombronces. Et c’est bien de ça dont il faut parler.
Car, on le remarque vite, l’ennemi en lui-même est finalement basique, peu importe le spécimen de cette espèce affreuse que l’on rencontre. Appelé dans le jeu “coelacanthe” ou “anglerfish” en anglais (ce qui donne normalement en français “baudroie” mais bon, choix stylistique j’imagine), il ressemble aux fameux poissons des abysses et leur appât lumineux intégré à leur corps. Sa taille gigantesque dans le jeu et son design renforcent évidemment la répulsion qui va naître très rapidement envers lui et ses semblables, alors même qu’on ne les croisera quasiment jamais. Le petit spécimen croisé au début du jeu dans le musée avait d’ailleurs tout d’un leurre habile. C’est pourquoi c’est davantage la manière dont s’effectue notre première rencontre avec une de ces créatures qui explique comment celle-ci devient instantanément un antagoniste à part.
Toute la réussite de l’effet tient déjà, en partie, au travail réalisé en amont sur deux éléments précis. Le premier élément, c’est la planète. Sombronces est la plus éloignée du système solaire. Elle possède peu de points d’intérêt au départ du jeu, et sans information, c’est davantage par curiosité que l’on va choisir de s’y rendre. Même une fois sur place, on constate qu’il n’y a rien d’intrigant à l’extérieur, si ce n’est ce noyau étrange et apparemment creux. Alors on rentre à l’intérieur et on est forcément surpris. Surpris car arrive justement le second élément : l’ambiance.
On remarque directement la limitation presque totale de visibilité, à cause du brouillard opaque qui fausse les distances. S’ajoutent à ça d’étranges points lumineux et fixes. On ne sait pas trop où aller et il y a cette musique en fond, plutôt faible, mais aux notes définitivement inquiétantes. Les gigantesques ronces qui apparaissent parfois laissent penser qu’il y a quelque chose de dangereux dans cet endroit. Mais leur présence est aussi une manière de tromper le joueur ou la joueuse : on est sur Sombronces, on doit donc s’attendre à du décor qui explique ce nom. Une manière subtile d’endormir les suspicions quant à la présence d’ennemi en voyant des irrégularités naître de la brume.
C’est vraiment essentiel car c’est grâce à cela que la surprise de la rencontre va être déterminante. Peu importe qu’on y soit allé dès le premier saut ou non d’ailleurs, puisqu’on trouve durant toute l’aventure très peu d’informations sur la planète ou même sur les caractéristiques d’un coelacanthe. Quand on les obtient et surtout qu’on les comprend, c’est qu’on sait déjà pourquoi on a besoin d’aller à Sombronces. Quoi qu’il arrive, les conditions de navigation sont les mêmes : on ne voit rien. Le moment de la rencontre avec une de ces créatures et l’inévitable mort qui suit, va ainsi créer un déclic. Si on a effectivement aucune information sur le lieu et les coelacanthes, on aura tendance à éviter d’y revenir, pensant que c’est trop tôt et que cet ennemi (ou ces ennemis si la rencontre arrive dans la zone du nid) est pour le moment imbattable. Une réaction normale suite au choc de la découverte. On ne le sait pas encore mais cette réaction va en quelque sorte mythifier les créatures.
En effet, une fois les informations obtenues et l’importance de Sombronces acquise, on sait qu’il faudra y retourner. Malgré les astuces assimilées, malgré l’expérience d’une ou plusieurs rencontres précédentes avec un coelacanthe (ou plusieurs), un sentiment va naître. Pour certain(e)s, l’appréhension. Pour d’autres la crainte, voire l’angoisse. Cela se comprend : on sait que l’on va devoir faire face à un ennemi invincible, rapide, et mortel. On sait que cela va se dérouler dans un environnement qui brouille les repères quand il n’ajoute pas un brin de claustrophobie. Je pourrais aussi ajouter un élément supplémentaire, mais qui vaut pour toute l’aventure : la contrainte de temps. Mais la question du temps dans Outer Wilds mérite peut-être un article à elle toute seule…
Ainsi, le coelacanthe comme antagoniste acquiert cette dimension par toute la qualité de réflexion en amont des développeurs d’Outer Wilds. Rendre une planète apparemment inutile et noyer l’intérieur de son noyau d’un épais brouillard mystérieux. Tout ça en sachant pertinemment l’effet que cela va produire pour l’explorateur curieux qui croisera fatalement le regard d’une de ces créatures pour la première fois. Une surprise forte, un choc, qui aura pour conséquence de craindre plus que tout d’aller errer au cœur de Sombronces.
C’est au final ce sentiment qui va être décisif. Il permet à chaque coelacanthe d’hériter d’une capacité de dissuasion plus forte que celle de nombreux autres ennemis de jeux vidéo pourtant bien plus hostiles. Une puissance décuplée, pour un antagoniste qui l’était finalement déjà bien assez comme ça.
Veltar
Joueur de jeux vidéo qui aime la politique. Du coup j'écris surtout des trucs qui parlent des deux. Stratégie, Outer Wilds, Metal Gear Solid et indés en pixel art.
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