Que fait-on quand, comme Austin Wintory avec Journey, on a sorti son magnum opus dès le début de sa carrière ? Qu’est-ce qu’il nous reste à faire quand on a composé à 28 ans une bande-son qui est unanimement considérée comme l'une des plus belles, des plus iconiques et des plus emblématiques du jeu vidéo ? Cette même bande originale qui sera nommée aux Grammy Awards ? La réponse est : beaucoup de choses. Et je pèse mes mots.
Au fil de cet article, j’aimerais vous parler d’Austin Wintory, compositeur émérite et denverite (gentilé des habitants de Denver - ne me remerciez pas) dont les travaux et la carrière ne se sont pas arrêtés à ce premier coup d’éclat et dont l’univers musical s’est offert des escapades bien loin de l’onirisme mystique pour lequel on le connaît. Austin Wintory est à l’origine de plus d’une centaine de compositions, majoritairement pour le cinéma, notamment étudiant et des courts métrages. En parallèle, on le retrouve derrière les musiques de plus d’une trentaine de jeux. Pour des raisons évidentes de confort de lecture, il ne va nullement être question ici de vous détailler toute sa discographie. Nonobstant cette absence d’exhaustivité, j’aimerais vous faire ressentir l’étendue de son univers créatif au travers de plusieurs de ses travaux que nous évoquerons au fil de l'article.
La découverte d'une passion
À la différence de beaucoup de compositeur·ice·s, Austin Wintory n’est pas né dans un milieu particulièrement artistique ni même musical. Bien au contraire, jusqu’à ses 10 ans, il n’exprimait quasiment aucun intérêt pour la musique, qui ne faisait tout simplement pas partie de sa vie. Tout va changer avec son inscription à des cours de piano, où son absence d’attrait pour le monde de la musique le laisse sans réponse quand son professeur lui demande sur quel type de musique il aimerait travailler. En l’absence de proposition venant de son jeune élève, l’enseignant lui fait découvrir des musiques de Jerry Goldsmith, célèbre compositeur pour la télévision et le cinéma. À l’écoute de morceaux tirés des bandes originales de Patton et Un coin de ciel bleu, l'étudiant se découvre une nouvelle passion et décide de tout faire pour devenir lui aussi compositeur.
Inscrit au lycée de Cherry Creek, à côté de Denver, il a la chance de bénéficier de cours de musique assez poussés lui permettant de grandement progresser jusqu’à écrire sa première pièce, Spirit of the Cosmos, qu’il fait jouer par l’orchestre de son lycée. Austin Wintory n’a alors que 16 ans. Deux ans plus tard, c’est l’orchestre symphonique de l’Utah qu’il dirige pour jouer sa pièce. Création de jeunesse, Spirit of the Cosmos est une œuvre qu'il juge durement, la qualifiant parfois d'« horrible ». Pourtant, elle est un point de départ important et la preuve d’un talent qui avait peut-être encore besoin de s’affiner et de gagner en expérience, mais qui était déjà indubitablement présent.
Les années passent et Austin Wintory continue de trouver de nouvelles inspirations au travers des œuvres de John Williams (Star Wars, Indiana Jones, Jurassic Park…), Dario Marianelli (Orgueil et Préjugés, Le Soliste, V pour Vendetta…) et Alexandre Desplat (L'Étrange Histoire de Benjamin Button, De battre mon cœur s’est arrêté…). Du côté du jeu vidéo, il avoue un attrait pour les jeux de gestion militaire Command and Conquer, mais surtout les point'n'click estampillés LucasArts comme Grim Fandango.
Étudiant à l’université de Californie du Sud, le jeune compositeur remplit son carnet d’adresses et sa discographie en composant pour de nombreux films étudiants et courts métrages. C’est l'une des connaissances faites lors de ces projets qui le recommande à Jenova Chen, étudiant en dernière année dans la même université. Ce dernier cherche quelqu’un pour composer la musique de son projet de thèse, un jeu vidéo intitulé Flow. Le titre attire l’attention de Sony, qui propose à Chen un contrat pour éditer son jeu ainsi que deux autres à venir sur sa nouvelle console, la PlayStation 3. C’est le début de la belle histoire derrière la création de Flow, Journey et Flower. Mais ne brûlons pas les étapes.
Les débuts et la consécration
Flow, ainsi que sa musique, sont retravaillés et affinés avant d’arriver sur la console de Sony. Outre les qualités générales du jeu, sa bande-son se fait remarquer positivement, notamment avec le morceau "Gratitude", où l’on retrouve Tina Guo, violoncelliste de talent qui signe ici le début d'une longue collaboration avec le compositeur.
Le projet Journey ne sera démarré qu’un an plus tard, en 2009. Entre-temps, Austin Wintory est contacté par un ami pour qui il avait déjà travaillé par le passé, Amin Matalqa, qui lui propose d’écrire la musique de son futur film Captain Abu Raed. Le film remporte de nombreux prix et permet au compositeur d'inscrire son nom dans le monde du grand écran.
Entre Flow et Journey, Jenova Chen et le studio thatgamecompany sortent en 2009 Flower, le deuxième jeu du triptyque commandé par Sony. C’est Vincent Diamante qui est à la composition, lui aussi un ancien diplômé de l’Université de Californie du Sud. Mais à l'heure d'entamer la création de Journey, c’est vers celui avec qui il avait travaillé sur Flow que Jenova Chen se tourne. C’est le début d’un travail de trois ans qui changera le statut du studio et du compositeur. Il se dit (légende ou vérité ?) qu’Austin Wintory aurait eu l’idée du thème principal le jour où Jenova Chen lui énonça le pitch du jeu et que la partition de violoncelle, au cœur de toutes les attentions dans ce thème, était déjà sur papier le soir même. Loin de simplement chercher à composer une musique d’accompagnement, Wintory tenait à ce que la bande-son soit dynamique, fusionnelle et systémique avec les différents sons du jeu. Journey ne possédant aucun dialogue, les rares sons entendus prennent une importance primordiale dans son ambiance et il était hors de question que la musique n’évolue pas en synergie avec eux. Proche des équipes de développement, Austin Wintory travailla au même rythme qu’eux, chapitre par chapitre, s’assurant que son travail s'incorporait parfaitement dans chaque nouvelle zone.
La bande-son de Journey peut s’analyser sur des dizaines de pages, mais comme précisé en introduction, l'intérêt de cet article est de vous présenter l’univers musical du compositeur au-delà de son œuvre la plus connue. Je précise tout de même que les musiques du jeu sont pensées comme un concerto pour violoncelle dont nous sommes le soliste au travers de notre avatar (soliste qui est en réalité Tina Guo). La bande originale jouée par l’Orchestre symphonique de la radio macédonienne est d’une qualité indicible et le fait que cet album soit souvent décrit, encore aujourd’hui, comme l'un des plus beaux du médium vidéoludique n’est pas exagéré. Sa nomination pour le Grammy de la meilleure bande-son pour un média visuel, une première pour une bande-son complète de jeu vidéo, est un marqueur supplémentaire de ses qualités, de son impact et de son unicité.
Du mystique au burlesque
Comment enchaîne-t-on après ça ? Après avoir renversé la table et attiré tous les regards si tôt dans sa carrière ? Avec un projet qui n’a rien à voir, pour éviter de s’enfermer dans un style et déjouer les attentes.
C’est donc avec plaisir qu’Austin Wintory répond positivement à Andy Schatz qui cherche un compositeur pour son futur jeu, Monaco: What's Yours Is Mine. Dans ce jeu où l’on incarne un malfrat dans une vue de dessus, Schatz souhaite une ambiance musicale presque burlesque rappelant les morceaux de piano des films muets d’antan. C’est avec une maîtrise totale que Wintory compose les musiques du jeu qui s’enrichissent par la suite d’un album de reprises avec des interprètes comme Cris Gale qu’il a découvert sur YouTube via une reprise de Journey à l’ocarina, mais aussi Malukah dont on va très vite reparler. On y retrouve aussi Chipzel (Super Hexagon, Dicey Dungeon…), détail que je suis obligé d'ajouter en raison de la clause Shift du règlement intérieur de TPP.
Vous pensiez qu’avec Monaco: What's Yours Is Mine, Austin Wintory ne pouvait pas s’éloigner plus de l’ambiance et de l’univers de Journey ? Ne le sous-estimez pas. À l’instar de son idole, Jerry Goldsmith, qui pouvait enchaîner des compositions pour des œuvres aussi hétéroclites que Total Recall et Gremlins 2, il va passer de Journey, puis Monaco: What's Yours Is Mine au remake de Leisure Suit Larry, développé après un Kickstarter réussi.
Pour les âmes innocentes qui lisent cet article, Leisure Suit Larry est une série de jeux qui raconte l’histoire de Larry Laffer, un informaticien d’une quarantaine d'années qui tente de mettre fin à sa virginité en draguant de nombreuses femmes. Sans être aussi explicites que le concept pourrait le laisser supposer, les jeux de la licence sont saupoudrés de beaucoup d’humour et de second degré. Il n'en demeure pas moins que cet univers est probablement le dernier dans lequel on s’attendait à voir apparaître le nom d’Austin Wintory. Et pourtant, c’est avec une bande-son jazz et poétique qu’il nous cueille par surprise, brisant nos préjugés à coups de violon, de contrebasse et de cuivres dans une odeur de bon whisky et de cigares posés sur le bord d'un cendrier le temps de quelques pas de danse.
Le grand froid
Nouveau changement d’ambiance avec le jeu suivant, qui n’était pas une surprise pour qui suivait l'actualité, car cette fois la présence d’Austin Wintory à la composition était directement un objectif du Kickstarter du projet, The Banner Saga. Retour vers un univers plus sombre, froid et mélancolique dans un style volontairement et fort logiquement nordique, où des chants islandais inspirés de poèmes croisent de la guitare électrique et du didgeridoo, tandis que les trompettes et les percussions nous rappellent à la tempête et autres dangers qui nous menacent. Sur le dernier morceau de l’album, "Onward", on retrouve à nouveau un partenariat avec Malukah, la chanteuse mexicaine qui s’est fait connaître sur YouTube avant de participer aux bandes-son des jeux Call of Duty Blacks Ops (les 4) ou encore Moss. À noter que suite à un changement de statut instauré à l’époque par l’AFM (American Federation of Musicians), l’enregistrement de la bande-son de The Banner Saga vaudra à Austin Wintory une amende de 50000 dollars et une menace d’expulsion du syndicat. Ce qui ne l'empêchera pas d’être toujours présent pour les deuxième et troisième opus de la licence.
Toujours dans l’univers nordique, et nullement refroidi par cette histoire, il enchaîne avec des musiques pour Soul Fjord, un jeu de rythme roguelike pour lequel Kim Swift (chef de projet sur le premier Portal, entre autres) lui demande d’imaginer ce que pourrait donner un mélange de funk et d’ambiance viking. Il n'en fallait pas plus pour que le compositeur donne la part belle aux guitares basses et électriques pour une bande originale qui donne envie de se laisser pousser la moustache et d'enfiler un pantalon pattes d'eph' pour être sur son 31 à l'occasion du Ragnarök.
Toujours dans le jeu, mais cette fois au format papier, il enchaîne avec des compositions pour The Maze of Games. Le concept est un peu particulier et se situe entre un livre dont vous êtes le héros et un Télé 7 jeux. La définition exacte donnée par l'équipe derrière le projet est « Interactive Puzzle Novel ». Voilà, débrouillez-vous avec ça. Toujours est-il que pour accompagner vos parties, une bande-son a été composée spécialement par Austin Wintory, excusez du peu.
Saut de l'ange et plongée sous-marine
Si l’année 2014 était d’ambiance scandinave, la suivante traverse le temps et la mer du Nord pour se mettre au thé dans le Londres victorien. L'année démarre avec la composition du thème principal de The Order: 1886, la vitrine technique de la PlayStation 4, dont le reste de la bande-son est signé Jason Graves (dont il faudra absolument que je vous parle dans un prochain article). 2015 est aussi l’année où il compose, seul, la musique de son premier jeu AAA, Assassin’s Creed Syndicate. Ce faisant, il rejoint la très prestigieuse liste des compositeur·ice·s ayant travaillé sur la célèbre licence, Jesper Kyd, Lorne Balfe, Olivier Derivière ou Sarah Schachner.
Ce nouveau contrat s’avère particulièrement complexe, car il lui revient de créer une ambiance cohérente avec le lieu et l’époque où se déroule le jeu, tout en respectant la patte musicale instaurée par Jesper Kyd depuis les premiers jeux. Pour ce faire, Austin Wintory fait appel à un orchestre de chambre où deux violons solistes se répondent, à l’instar des deux jumeaux que l’on incarne dans le jeu. Des cloches, des cordes pincées, des envolées majestueuses, même sans avoir des images du jeu sous les yeux, on se devine dans le Londres de l’époque de Sherlock Holmes où des assassins font leur œuvre avant de disparaître telles des ombres insaisissables dans l'épais brouillard de la ville.
De son propre aveu, ce travail fut plus difficile que les précédents, non pas en raison de la pression liée à la renommée du jeu, mais par la difficulté qu’il rencontra pour travailler en étroite collaboration avec les équipes de développement. Habitué à suivre de près la création des jeux pour lesquels il compose, Austin Wintory se heurte à la politique stricte de protection des informations d’Ubisoft. Pour toucher au jeu, il lui faut prendre l’avion et se rendre à Québec où Assassin’s Creed Syndicate est développé, une organisation complexe qu'il n'avait pas expérimentée jusque-là.
L'année 2015 marque aussi un retour aux sources. Peu après la sortie de Journey, Matt Nava, à l'époque directeur artistique de thatgamecompany, évoquait avec le compositeur son projet de jeu semi-contemplatif se déroulant sous l’eau. Il faudra quatre ans et la création d’un nouveau studio, Giant Squids, pour que Abzu prenne vie. C'est le début de trois ans de travail pour Austin Wintory, au plus proche des équipes pour composer une musique sublimant l’expérience. L'impact de ses travaux poussera l'équipe de développement à repenser quelques phases de jeu pour coller au mieux à certains morceaux.
Tout comme il est réducteur de parler de « Journey sous-marin » pour Abzu, il l’est tout autant de voir dans sa bande-son une suite de celle du jeu de thatgamecompany. Certes, le style s’en rapproche, mais la présence des chœurs et surtout d’un ensemble de sept (!!) harpes offre aux musiques d’Abzu une sensation de légèreté et de profondeur caractéristique. Dernier point, et non des moindres, les titres des musiques d’Abzu sont un excellent moyen d’apprendre le nom scientifique de plusieurs animaux marins.
Melting-pot musical
Des noms scientifiques, on passe aux noms vernaculaires avec les titres des musiques qu’Austin Wintory compose pour Luna. Créé par le studio Funomena fondé par Robin Hunicke, auparavant chez thatgamecompany, Luna est une fable avec un oiseau, une chouette et la lune, pouvant se jouer en VR sans être exclusif à ce mode. Fait notable, c'est le compositeur lui-même que l'on retrouve au piano le temps de quelques musiques, avant qu'il ne reprenne sa place derrière le pupitre de chef d'orchestre.
En 2017, même après un retour aux sources avec Abzu, Austin Wintory ne risque plus d'être cantonné à un seul style musical. Cela ne l'empêche pas de continuer à créer les grands écarts les plus improbables sur son CV.
On note d’abord Absolver, premier jeu du studio Sloclap (Sifu), un jeu de combat multijoueur en ligne décrit par son créateur artistique Pierre Tarno comme « un jeu de combat où l’on se fait des amis et où les combats peuvent s’apparenter à des danses ». Ce dernier demande au compositeur d’imaginer, sur la base de cette idée, une ambiance sonore hors du temps et de l’espace (en voilà une consigne précise).
Le résultat est un album où Tom Strahle joue avec un nombre impressionnant de guitares différentes pendant que Kristin Naigus apporte un côté intemporel et mystique au travers des sonorités d’un bansurî, flûte traversière indienne.
Le projet suivant, Tooth and Tail, semble moins hors du temps puisque son décor s’apparente à une société européenne du XIXe siècle, mais avec des animaux anthropomorphes. Et l’heure est à la révolution et au combat contre l’ordre établi bien trop inégalitaire dans ce jeu de stratégie en temps réel. Voici comment Austin Wintory raconte sa discussion avec Andy Schatz sur la ligne à suivre pour créer la musique du jeu :
Andy: « Notre jeu se base sur une tension croissante avec une explosion d’action. Peut-être pourrions-nous partir sur une base de tango et de danses latines ? Après tout, les jeux de stratégie en temps réel peuvent s’apparenter à une salle de danse. »
Austin: « Oui, et on pourrait faire cela en utilisant des instruments russes du début du XXe siècle ! Ça ferait sens. »
Andy: « Sauf que notre jeu est rude et sauvage, alors jouons des instruments comme si on était bourrés. »
Austin: « Ok, faisons ça. »
Ne comptez pas sur son jeu suivant pour sortir de l’absurde. Deformers est un jeu de combat en ligne avec des créatures déformées de manière sphérique afin de se déplacer et de n’attaquer qu’en roulant vers leurs adversaires. Cette fois, Austin Wintory nous présente son travail comme la bande-son d’un western-spaghetti sous stéroïdes, mélangée avec de la musique de cirque psychédélique et du flamenco.
Un éventail d'univers
Retour vers le folklore nordique en 2018 avec le troisième et dernier opus de The Banner Saga. Toujours dans les hautes latitudes européennes, Austin Wintory signe les musiques de Pode, un jeu indépendant créé par un studio norvégien Henchman & Goon. À l’instar des deux violons symbolisant les jumeaux d’Assassin’s Creed Syndicate, ce sont cette fois deux violons hardanger, variante norvégienne de l’instrument à cordes, qui servent à représenter musicalement les deux personnages du jeu. Et tel un retour aux sources, c’est avec l’orchestre symphonique de la radio macédonienne, comme cela était le cas pour Journey, qu’il travaille.
Toujours là où on ne l'attend pas, il signe la même année 5 morceaux pour un jeu mobile, Command and Conquer: Rivals. Sans que cela ne soit son travail le plus connu et salué, il y a fort à parier que la symbolique fut forte pour lui qui avait tant joué à la série durant son adolescence.
Autre licence mondialement connue à laquelle vous ne saviez probablement pas que vous pouviez associer le nom d’Austin Wintory : Counter-Strike Global Offensive. Dans le cadre du système de Music Kit qui permet aux joueurs d’acheter des musiques à l’unité pour les incorporer dans leur expérience de jeu, il compose en 2014 un premier morceau, "Desert Fire". Au sein du conséquent catalogue de Music Kit, on note la présence de grands noms de l'industrie comme Sarah Schachner, Jesse Harlin, Leonard Paul, Laura Shigihara ou encore Chipzel (clause Shift activée, je vous en ai déjà parlé plus haut, c'est contractuel).
En 2020 et 2021, le Denverite se prête de nouveau à l'exercice avec deux nouveaux morceaux intitulés "Bachram" et, mon préféré, "Mocha Petal", qui est l’improbable rencontre d’une polka à l’accordéon et de la musique metal. Le tout par le compositeur de Journey. N’est-ce pas merveilleux ?
Le film tiré du jeu tiré du film
En parallèle de tout ce que je vous ai présenté jusqu’à maintenant, Austin Wintory n’a jamais cessé de composer pour le petit et le grand écran. Mais c’est en 2019, en travaillant sur Erica, qu’il fusionne ces deux univers en un seul projet. Premier jeu du studio Flavourworks, Erica est un FMV (Full-Motion Video), équivalent vidéoludique d'un film interactif. Malgré son expérience dans le cinéma et le jeu vidéo, il explique que l’approche nécessaire face à ce type de format fut particulièrement difficile et nouvelle, allant jusqu'à définir son travail pour Erica comme le plus complexe de sa carrière.
Toujours à cheval entre le 7e et le 10e art, c’est avec un jeu adapté d’un film qu’il enchaîne, John Wick: Hex. Créé par Bithell Games, le studio de Mike Bithell (Thomas Was Alone), John Wick: Hex est un jeu de stratégie au tour par tour où l’on incarne le personnage interprété par Keanu Reeves dans la désormais quadrilogie. Afin de respecter au mieux l'univers musical créé par Tyler Bates, compositeur des films, Austin Wintory a pu s'entretenir régulièrement avec son homologue. Mais cela n'a pas dû être très difficile, les deux étant amis de longue date. Rock, électro, très percussive, mais jamais orchestrale, la bande son de John Wick: Hex est probablement celle où il est le plus dur de reconnaître le « style Wintory ». Et à ce stade de l'article, vous mesurez ce que cela signifie.
Maintenant que plus rien nous peut vous surprendre dans la discographie du compositeur, c’est le bon moment pour vous parler d’Aliens: Fireteam Elite. Après Command and Conquer, Counter-Strike, et John Wick: Hex, vous ne devriez même pas vous autoriser un seul sourcil levé à l'idée de le retrouver dans l’univers d’Alien.
Un projet avec une saveur particulière pour lui, car le compositeur du premier film de la licence n’était autre que Jerry Goldsmith. Comment ne pas y voir une opportunité en or de rendre hommage à celui dont les musiques l'ont poussé vers cette incroyable carrière ? Amateur d’instruments atypiques, le compositeur décide cette fois de faire intervenir un serpent dans sa composition. Pas l’animal, mais l’instrument de musique qui porte le même nom en raison de sa forme très caractéristique. Anecdote amusante, il enregistre aussi les sons des travaux à côté de chez lui durant son travail de composition via des micros collés sur son mur, pour ensuite les incorporer dans le mixage final.
Fort heureusement pour lui, l’aventure s’avère bien moins problématique que pour les compositeurs des trois premiers films. Beaucoup de tension entre Goldsmith et Ridley Scott sur le premier, idem entre James Horner et James Cameron pour le deuxième, quant à Elliot Goldenthal, il aime prétendre qu’Alien 3 n’a jamais existé. Au fil de la bande-son du jeu, Austin Wintory rend hommage à ces trois compositeurs, tout en apportant son propre univers pour un résultat étonnamment angoissant tout en étant reconnaissable dans le style de son compositeur. Après Journey, Aliens: Fireteam Elite est son second travail nommé pour un Grammy Award, en 2023 dans la toute nouvelle catégorie, Meilleure bande-son pour un jeu vidéo ou autre média interactif.
Retour aux sources
En 2020, Austin Wintory revient du côté du jeu indépendant en tant qu’arrangeur et orchestrateur pour les compositions de Darren Korb sur Hades. L’année suivante, il étend son travail aux musiques des autres jeux Supergiant Games pour diriger l’orchestre symphonique de Londres lors de l’enregistrement de l’album Songs of Supergiant Games.
Toujours en 2020 sort The Pathless, nouveau jeu de Giant Squid. À nouveau contacté par Matt Nava, le compositeur d'Abzu accepte de composer pour ce projet dont le directeur artistique lui parle depuis la sortie de son dernier jeu. Fasciné par la découverte du monde de la fauconnerie mongole, Matt Nava donne à son jeu une direction en ce sens, bien que le jeu ne définisse jamais clairement la mythologie dans laquelle il se déroule. Cette décision inspire Austin Wintory qui décide de faire appel à The Alash Ensemble, un trio de musiciens chanteurs originaires de Touva, une république sibérienne frontalière avec la Mongolie. Autour d’eux, et pour accompagner certains chants gutturaux, rien de moins qu’un orchestre de 104 musiciens et toujours des instruments que l’on découvre comme le nyckelharpa, instrument à cordes frottées suédois qui donne une sonorité très reconnaissable à la musique du jeu.
Cette même année, Austin Wintory compose les musiques de Tread, un film relatant la tragique histoire de Marvin Heemeyer, qui a modifié un bulldozer pour s'y enfermer et détruire une partie de sa ville en réponse à de nombreuses complications juridiques avec la municipalité et son voisinage.
En 2022, à l’occasion des 10 ans de Journey, tremplin d’une incroyable carrière, le compositeur décide d’écrire une ré-orchestration des musiques iconiques du jeu de thatgamecompany. De son propre aveu, l’idée de cette initiative lui est venue après avoir travaillé sur l’orchestration de l’album des 10 ans de Supergiant Games.
Il n’est nullement question de corriger ou faire en mieux la musique de Journey qui fait déjà l’unanimité, mais de lui offrir un changement de perspective et de profondeur pour permettre, comme il le dit lui-même, une nouvelle « première écoute » pour toutes les personnes qui avaient déjà été émerveillées par la bande-son du jeu. En travaillant avec l’orchestre symphonique de Londres, Wintory avait peur que le résultat soit grandiloquent, ce qui aurait été à l’opposé de son objectif et de l’identité de Journey. De mon avis, il n'en est rien. Au travers de cet album de ré-orchestration, Austin Wintory souhaitait remercier comme il le pouvait toutes les personnes qui lui avaient transmis des messages de remerciements et des anecdotes touchantes en rapport avec la musique du jeu.
Et maintenant ?
En 2023, après Strayed Lights, premier jeu du studio français Embers qui a réussi à avoir Austin Wintory pour sa composition musicale, c’est dans un projet encore une fois totalement différent des précédents qu’il revient, Stray Gods.
Sorti en août 2023, Stray Gods est un jeu narratif et une comédie musicale, de quoi attiser la curiosité. Avec un casting de voix 5 étoiles (les joueurs de The Last of Us ne seront pas dépaysés) et des musiques d’Austin Wintory, le jeu a tout pour surprendre. En raison de ses différents embranchements scénaristiques, souvent en plein milieu d’une chanson, la bande-son du jeu est sortie en quatre albums différents pour chacun des trois tempéraments proposés dans les choix de dialogues, le quatrième album étant un mélange des trois. Ces multiples albums témoignent d’un important travail d’interactivité dans la musique du jeu. Pour mesurer un peu plus la richesse de cette bande-son, une analyse fascinante et saluée par Austin Wintory lui-même a été réalisée par la chaîne 8-bit Music Theory. Parfois pop, parfois rock, parfois de nouveau orchestrales, les musiques de Stray Gods sont un excellent exemple de l’étendue des styles maîtrisés par le compositeur.
Et pour finir en beauté, c'est à la composition de Lego Fortnite qu'il termine l'année. À la date d'écriture de cet article, les crédits n'étant pas encore sortis, il est difficile de savoir qui de lui ou de Rom Di Prisco se trouve derrière chacun des morceaux. Pour le Main Theme, le doute n'est pas permis puisque Wintory a partagé le morceau sur sa page YouTube avec ses notes de compositions.
Si vous ne connaissez pas la chaîne YouTube du compositeur, sachez qu'il s'agit d'une mine d'informations pour qui apprécie ou suit son travail. On peut y trouver certaines de ses OST avec des commentaires écrits pour chaque morceau afin d’en apprendre davantage sur leur création et les inspirations du compositeur. Mais vous pouvez aussi y écouter des morceaux avec défilement en direct de la partition et des annotations d'Austin Wintory. Et si vous n’avez pas de difficulté avec l’anglais oral, il y publie ses deux podcasts, Game Maker’s Notebook où il reçoit des créateur·ice·s, majoritairement compositeur·ice·s du milieu du jeu vidéo, et You Gotta Hear This! qui sont des discussions avec le doubleur Troy Baker autour des musiques de jeu et d’autres médias.
Pour la version audio de cet article, c'est ici que ça se passe :
Rifampicine
Je vous dirais bien ce que j'aime comme style de jeux mais ça change toutes les 6 heures. Alors disons que j'aime aussi beaucoup les musiques de jeux vidéo et écrire dessus.
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