Si la série Ys jouit au Japon d’une notoriété infiniment plus grande qu’en Europe, c’est entre autres parce qu’il aura fallu attendre plus de vingt ans pour que sa distribution sorte de la confidentialité. L’erreur est désormais réparée, et ce Ys VIII : Lacrimosa of Dana bénéficie d’une sortie soignée, en version française et en multi plate-forme. Mettant en scène une classique histoire de naufragés et de rescapés sur une île pas si déserte, cet épisode se pose en excellent point d’entrée dans une saga qu’on aurait tort de résumer à l’axiome « c’est juste Zelda, mais en plus bête ». Il faut bien avouer, cependant, qu’on a parfois envie de se laisser aller à cette facilité.
Une épée, une carte vierge, en avant l’aventure.
La note d’intention est là dans les premières minutes de ce Lacrimosa of Dana : on ne vous demandera ni de phosphorer pour comprendre les tenants et aboutissants du lore de l’interminable série de Falcom ni de vous avaler trente mille mots de mise en contexte. Après un tutoriel de quelques minutes mettant en scène Adol, le héros de la série en marin embarqué pour payer une traversée en bateau, un naufrage au large d’une île mystérieuse vous échoue sur une plage déserte. En une heure, on vous aura posé les trois axes autour desquels s’articuleront les intrigues : rechercher des naufragés éparpillés sur la carte, gérer votre village de rescapés en améliorant leur ordinaire à coup de mini quêtes, et percer les mystères de l’île de Seiren. Minimalisme des dialogues, rapidité de l’exposé, relative liberté laissée au joueur : on est sur une aventure « A la Zelda », et cette concision est, disons-le tout net, assez bienvenue.
A rebours des jeux de rôle mettant des heures à installer une trame poussive, Ys VIII préfère ne pas vous raconter grand chose et en revenir aux fondamentaux : une plage, une épée plantée dans le sable, et de la castagne de monstres. Les combats sont simples, le leveling est rapide et efficace, la fiche de personnage réduite à portion congrue. Il devient presque étrange, alors, qu’au bout de dix ou quinze heures finisse par poindre une histoire de fond plus ambitieuse et plus ampoulée dont la narration restera cependant assez approximative (bien que réservant d’étonnants rebondissements). Peut-être est-ce mon amour secret des trames en ligne droite, mais je me serais parfaitement contenté de ce démarrage digne d’un Link to The Past. Tant pis : les banalités supposées nous faire nous passionner pour l’histoire de l’île ne deviennent jamais envahissantes, et sont toujours insérées avec une certaine poésie dans l’ensemble.
Cependant, tout est fait pour paver la route au joueur pressé. Vous serez rapidement doté d’une carte de l’île déserte, qu’il vous incombera de remplir. Si vous souhaitez n’aller qu’à l’essentiel, les divers objectifs de l’histoire y seront toujours affichés en clair, et la progression de l’intrigue est pensée pour pouvoir se boucler relativement rapidement (une vingtaine d’heures en ligne très, très, très droite). Le système de déplacement instantané, très permissif, limite grandement l’écueil habituel des allers-retours inutiles. A l’inverse, les joueurs qui, comme moi, aiment bien ouvrir le moindre coffre et résoudre la moindre sous-intrigue se verront gratifier d’énormément de contenu bonus, grottes à explorer, trésors enfouis mais aussi, hélas, incompréhensibles murs invisibles omniprésents perturbant la progression.
Sur le menu c’était marqué Open World, mais la serveuse m’a apporté un Labyrinthe
Il n’y a que les premières minutes qui trompent. L’immense carte de Seiren, ses nombreux donjons, son apparente liberté de déambuler, tout cela n’est que l’irritante mascarade graphique masquant une structure bien plus classique de l’Action-RPG : une succession de (grosses) arènes et de tunnels, le tout ponctué de donjons au level design lamentable. Une sorte de Xenoblade Chronicle un peu malade.
Ys VIII, graphiquement très limité, ne fait cependant pas les choses à moitié pour vous montrer d’immenses paysages, des plages à perte de vue, des gouffres à franchir et des montagnes à gravir. Les chemins pour y parvenir sont parsemés d’embûches : d’excellentes idées sont parfois distillées pour freiner votre progression et vous empêcher d’aller trop loin trop vite (des monstres dans le brouillard, un rocher trop gros pour être poussé avec peu de rescapés…). Hélas, la plupart des problèmes de progression que vous allez rencontrer lors de votre périple n’ont pas tant de subtilité, et se contentent d’être de simples murs d’air. Un trésor est situé juste en dessous ? impossible de sauter au-dessus du talus de 2 centimètres de haut. La prochaine zone vous fait face au-dessus d’un gouffre large comme un saut de puce ? Impossible de faire tomber ce tronc pour en faire un pont avant que le jeu ne l’ait décidé. Le dispositif confine presque par moments à la farce, quand vos personnages, pourtant mandatés pour explorer les lieux, exigent que vous ne quittiez pas une zone parce que vous devez encore y ramasser des cailloux pour le bien de l’intrigue principale.
L’agacement est à son maximum dans les donjons, pour l’essentiel très ouverts et vastes, et dans lesquels on se retrouve confiné à un chemin minuscule, entouré de vide infranchissable, dans un dédale de couloirs dont il convient de comprendre l’enchaînement. Sous son vernis de liberté et de grandeur, Ys VIII se présente concrètement sous la forme d’un grand labyrinthe. Ce n’est pas vraiment un problème, des titres comme Dark Souls le font depuis des années sans que cela choque. Cependant (et contrairement à ce que prétend le marronnier), n’est pas Dark Souls qui veut, et le moins qu’on puisse dire, c’est que si certains environnements se prêtent bien à une structure de labyrinthe oppressant (châteaux, stations spatiales, ruines…), les plages et les jungles d’YS VIII rendent le procédé éminemment artificiel. La minimap illisible n’est que la cerise sur cet irritant gâteau. Ce détail du gameplay est un des symptômes de la maladie dont souffre le titre : Falcom ne parvient jamais tout à fait à rester dans les rails de ce qui pourrait en faire un excellent jeu.
Joyeuse Robinsonnade Bourrine
Tout ce qu’Ys VIII tente du point de vue de la Robinsonnade est une franche réussite. La construction progressive du village, avec ses diverses personnalités qui mettent en commun leur passé et leur passif pour améliorer l’ordinaire, fonctionne bien. Le mérite revient en particulier à ce souci du détail assez inattendu : vivre en repartant de zéro, c’est aussi devoir installer des rideaux pour que les femmes puissent se changer à l’abri des regards, c’est l’installation du confort nécessaire, c’est devoir faire ses besoins dans la nature avec les risques encourus. L’aventure principale est ainsi parcourue de diverses missions annexes nous plongeant les deux mains dans les problématiques quotidiennes du petit groupe de survivants, aux personnalités simples mais agréablement variées.
L’amélioration du village est un excellent moteur qui pousse à aller de l’avant, pour trouver davantage de ressources et améliorer un peu plus la vie quotidienne des survivants. Chaque nouveau rescapé occasionne de superbes petites scénettes de retrouvailles qui sont autant de fois le sentiment du devoir accompli pour le joueur (soulignons l’impressionnant travail de Takahiro Unisuga et Hayato Sonoda sur l’OST). Alors que la trame principale avance, des scènes insérées sous forme d’artworks superbes viennent raconter certains secrets de l’île et apporter la touche de mystère et d’onirisme nécessaire au bon fonctionnement de cette petite mécanique. C’est simple et efficace. A mesure que l’on avance, et même si l’on en dira pas trop, les mystères de l’île et de son passé se révèlent assez surprenants et motivent à en savoir plus quand sont convoquées des références telles que l’Atlantide ou le Monde Perdu.
Sur la bonne voie
Il est un peu dommage alors que dès qu’Ys VIII s’écarte de l’essentiel et du nécessaire, il se heurte à ses propres limites : son interface mal fichue, le craft et l’échange des matériaux récoltés qui devient rapidement une horreur, les menus confus, l’équipement des objets contre-intuitif, l’équilibrage douteux, les donjons incohérents, les artifices idiots pour remettre une linéarité forcenée là où tout l’habillage du jeu donne envie de se perdre. Chaque heure qui passe fait un peu plus se demander pourquoi Falcom ne s’en est pas tenu à la formule posée au départ du jeu : un zelda like ultra nerveux, une communauté de survivants à gérer, et un mystère fort mystérieux au bout du tunnel. Une certaine sobriété de design et une action plus ramassée auraient sans doute sorti Ys VIII de l’écueil dans lequel il tombe : se retrouver à la croisée des chemins entre trop de titres meilleurs que lui (Zelda, Dark Souls, Monster Hunter, Xenoblade).
Mais être trop sévère serait nier qu’Ys VIII fait partie de cette étonnante vague de titres japonais qui semblent avoir compris comment penser le fun à destination d’un public globalisé, comment sortir de la petite niche rabougrie des adultes Otakus Tokyoïtes pour penser en terme de marché mondial. En choisissant un thème assez original et néanmoins universel (l’île déserte, la gestion des survivants), en se parant d’atours loin d’être ridicules (les graphismes sont pauvres mais l’habillage sonore et les artworks sont superbes), en insufflant un dynamisme plus que bienvenu dans les combats et en utilisant une approche de gameplay récompensant également les joueurs pressés et les chasseurs de trophée, Ys VIII se pose en très agréable surprise. En vrai représentant de cette race qu’on pensait éteinte du « Double A » à la japonaise susceptible de faire passer un bon moment autant au fan de longue date de la série qu’au joueur occasionnel cherchant un défouloir coloré. Si tous les jeux d’action en faisaient seulement autant, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
Difficile de ne pas aimer ce Ys VIII : fun, rythmé, facile à prendre en main et perclus de petites fulgurances artistiques que l’on attend pas forcément d’une série techniquement si en retard. En mettant en scène une histoire simple et quasiment séparée du reste de la série, nous avons là un véritable « jeu pour les fans et les nouveaux venus », selon la formule consacrée. L’ambiance, entre Lost et les Robinson Suisses, pousse à l’exploration et donne toujours envie de renouer avec ce vieux rêve humain : aller voir ce qu’il y a derrière la prochaine colline. Néanmoins, difficile aussi de ne pas voir les limites du dispositif : un level design catastrophique perclus de murs invisibles et de cartes illisibles, des allers-retours parfois laborieux, et une pauvreté technique qui commence vraiment à faire mal sur grand écran.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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