Depuis quelques temps, on assiste à un intérêt grandissant de la WWE, plus grande fédération de catch au monde, pour le monde du jeu vidéo. S’ils avaient déjà eu l’occasion de s’y frotter grâce à leurs jeux annuels, ils vont dorénavant plus loin, transformant de petits clins d’oeil plus ou moins discrets en véritable stratégie de communication. Petit historique.
Les jeux vidéo pour se débarrasser d’une gimmick clichée
On peut estimer sans trop se tromper que tout a commencé avec The New Day et Xavier Woods (Austin Creed de son vrai nom). Déjà, l’homme est de base loin des clichés habituels du catcheur : il est doctorant en psychologie de l’éducation. Mais en plus, il est un joueur de jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance et c’est probablement ce qui a sauvé sa carrière dans le catch. En 2014, Xavier Woods a été mis en équipe avec deux catcheurs, Big E et Kofi Kingston, ce qui est très souvent l’équivalent d’une fin de carrière, l’heure de gloire des tag team étant passée depuis plusieurs années.
Mais en plus, il se trouve qu’ils sont noirs et que la WWE est dirigée par un vieil homme blanc ami de Donald Trump, Vince McMahon, qui a tendance à penser que les gimmicks des catcheurs racisés doivent être centrées sur leur couleur de peau. Pendant l’Attitude Era (1997-2002), on a eu droit aux clichés les plus insultants possible : les Black Panthers, mais qui s’appelaient Nation of Domination et qui étaient des heels (des « méchants »), The Godfather qui n’était rien d’autre qu’un proxénète, Mark Henry en Sexual Chocolate (le nom parle de lui-même) etc etc. The New Day eux, ont eu le droit à une gimmick de pasteurs prônant la positivité, qui leur a très vite attiré l’ire du public à cause du ridicule des personnages.
Alors petit à petit, l’équipe a décidé d’incorporer ce qui les intéressait dans leurs personnages et bien souvent, cela concernait le jeu vidéo ou la « culture Internet » en général. Des petites références reconnaissables facilement pour les fans de jeux vidéo et malgré tout assez discrètes pour que les non-initiés n’aient pas l’impression de ne pas comprendre. Xavier Woods, en tant que manager de l’équipe, avait toute latitude pendant les matchs pour improviser de petites choses, comme le thème de victoire de Final Fantasy sur son trombone ou encore hurler « Finish Him ! » à son coéquipier. Au final, l’utilisation intelligente du jeu vidéo a, en quelque sorte, « sauvé » The New Day d’une gimmick encombrante qui aurait pu signifier la fin de leur carrière à la WWE et leur a permis de retourner la chose en leur faveur. Le plus surprenant, c’est que l’équipe créative de la WWE les ait laissé faire. Mais peut-être qu’à l’époque, la compagnie avait déjà compris tout ce que cette utilisation de la culture geek pouvait leur apporter.
La WWE à l’heure d’internet
Depuis toujours, les catcheurs doivent trouver une occupation durant les temps morts en coulisse. Avant, ils jouaient aux cartes ou allaient au bar, aujourd’hui, ils jouent aux jeux vidéo. Et tout cela est visible sur la chaîne YouTube de Xavier Woods, Up Up Down Down, qui improvise régulièrement des tournois entre ses collègues dans les coulisses. Tout comme avec les réseaux sociaux, les catcheurs sont dans un entre-deux un peu gênant : en même temps, ils jouent des personnages à la télévision, avec leurs propres personnalités et histoires entre eux mais d’un autre côté, Internet permet aux spectateurs de voir l’envers du décor et les personnes réelles derrière les pseudonymes. Si certains essaient de respecter les kayfabes en ligne, la plupart renoncent totalement et essaient de se faire apprécier pour ce qu’ils sont réellement plutôt que pour leur personnage.
C’est là où Up Up Down Down est intéressant. Les tournois sont toujours un peu scriptés, avec de fausses rivalités mais naturelles et amicales, comme des amis qui jouent à être ennemis juste pour le goût de la compétition. La chaîne permet également aux athlètes de parler un peu plus de leur vie personnelle en rapport avec le jeu vidéo ou de se faire connaître sous un autre angle, surtout quand à la télévision, ils sont cantonnés à faire les matchs d’ouverture sans enjeux. La WWE a aujourd’hui totalement embrassé cette dualité et garde son côté théâtral à la télévision mais s’ouvre un peu plus en coulisses, sur son site Internet ou encore sur son service de vidéo à la demande, WWE Network. Up Up Down Down a d’ailleurs été intégré à ce dernier et fait donc dorénavant partie des programmes officiels de la compagnie, même si des vidéos sont toujours disponibles gratuitement sur YouTube.
Mais les références aux jeux vidéo n’en sont pas restées là. Pour les Pay-Per-View (de grands shows avec des matchs de championnat), les sportifs ont le droit à des costumes un peu plus travaillés que d’habitude et quelques-uns en ont profité pour presque approcher le cosplay. Lors de Wrestlemania 32 en 2016, The New Day (oui toujours eux), ont rendu hommage à Dragon Ball Z et cette année, à Final Fantasy XIV, dans le cadre d’un partenariat avec Square Enix pour la sortie de l’extension Stormblood. Outre The New Day, une catcheuse, Becky Lynch, a également eu le droit à un costume inspiré d’Aloy, l’héroïne d’Horizon Zero Dawn. En gros, la fédération de catch laisse de plus en plus ses employés faire ressortir leur geek intérieur, pour le plus grand plaisir des fans.
Un moyen de faire revenir d’anciens spectateurs : les adolescents masculins
D’ailleurs les fans, parlons-en. Car si actuellement c’est une femme qui vous parle de jeux vidéo et de catch, le cœur de cible de ces deux divertissements reste les hommes adolescents ou jeunes adultes. Une fanbase qui manque cruellement au catch depuis quelques années, précisément depuis la fin de l’Attitude Era en 2002 et encore après celle de la Ruthless Agression Era en 2008. Depuis, la WWE se veut familiale et supprime tout ce qui lui avait permis de gagner sa bataille d’audiences sur les autres fédérations : les matchs Hardcore, le sang, l’hypersexualisation des femmes, la violence gratuite, les histoires tordues. La conséquence a été la désertification des adolescents, moins intéressés par des storylines simples et des matchs classiques, au profit d’un public composé de familles, avec des enfants à qui il est facile de vendre des t-shirts John Cena à outrance. Mais les audiences ont continuellement baissé et la WWE s’est attiré les critiques de certaines personnalités du catch, comme Mick Foley, qui a regretté que Vince McMahon ne lâche pas un peu plus de lest.
Les jeux vidéo ont permis à la compagnie de trouver un compromis entre envie d’attirer de nouveau les adolescents et envie de rester familiale. Faire (mal) jouer des catcheurs à des jeux de combat sur une chaîne YouTube, les faire intervenir lors de conventions de jeux vidéo, les laisser discuter ouvertement de leurs passions sur Internet, tout cela a permis à un public perdu de revenir et de s’identifier aux personnes réelles derrière les personnages, à défaut de les accrocher avec les storylines. De plus, Xavier Woods n’est pas le seul catcheur à apprécier le média : Asuka, une catcheuse très en vue, a travaillé chez Nintendo et parle régulièrement sur Twitter des consoles qu’elle possède et des jeux qu’elle apprécie. Ember Moon est présente à énormément de conventions et est une rôliste. Les exemples se multiplient et sont régulièrement commentés sur Reddit et autres forums internet.
Même si toutes les références geek au monde ne pourront pas permettre à la WWE de corriger tous ses défauts et de retrouver son éclat d’antan, il ne paraît pas trop prétentieux d’affirmer que les jeux vidéo jouent aujourd’hui un rôle important dans la stratégie de communication de la WWE envers les jeunes adultes, celle-ci ne semblant pas vouloir renoncer à sa politique familiale.
Fanny Dufour
Rédactrice le jour et rédactrice en chef la nuit. J'aime qu'on me raconte des histoires, mais seulement dans les jeux.
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