L’humour dans les jeux vidéo, c’est toujours assez compliqué : matière souvent mal maîtrisée, mal gérée et mal rythmée, le jeu vidéo rigolo est un sous-genre assez bancal, dont les réussites tiennent davantage de l’exception que de la règle. Rien que par son titre évoquant un navet anthropomorphe fraudant le fisc, Turnip Boy Commits Tax Evasion se place d’office dans cette catégorie périlleuse du « jeu pouêt pouêt », et entend nous amuser avec un clone de Zelda au pays des légumes endettés.
J’aimerais avoir davantage à dire sur le concept de Turnip Boy Commits Tax Evasion que ces simples mots « clone de Zelda avec des galéjades ». Mais le jeu des américains de Snoozy Kazoo se résume formellement à cela : si vous avez joué à n’importe quel Zelda 2D vue du dessus, particulièrement à Link’s Awakening, vous avez déjà joué à ce jeu. Progression, donjons, armes, gestion des items, hub central, boss : tout est formellement plus ou moins la même chose que dans les classiques de la série de Nintendo. A savoir un action RPG vue du dessus avec armes à collecter, cœurs à récupérer, et boss de donjon à occire dans un petit open world à l’exploration assez linéaire. C’est donc sur le champ du ton employé que ce jeu entend faire la différence, en livrant un scénario entièrement tourné vers ses gags et son univers loufoque. A partir de là, la seule question destinée à motiver ou non l’achat d’un tel titre c’est : est-ce que c’est amusant ? La réponse ne vous surprendra sans doute pas si vous avez déjà joué à des titres volontairement bouffons comme l’est Turnip Boy Commits Tax Evasion : « oui, mais… »
Boule d’Or
Comme le nom du jeu l’indique si bien, nous voici donc dans les pas d’un petit Navet, injustement expulsé de chez lui par le maire Oignon qui a brutalement augmenté les impôts locaux au point où il est désormais absolument impossible de les payer. Croulant sous le poids des dettes et contraint de devenir l’homme à tout faire du maire, Navet va devoir effectuer des missions aux quatre coins d’un pays peuplé de fruits et légumes anthropomorphes. Le tout en préparant secrètement sa vengeance, qui consiste pour l’essentiel à déchirer l’ensemble des documents papier ayant trait à l’argent : déclaration d’impôt, chèque, facture, devis, reconnaissance de dettes, etc.
Tout au long du voyage (somme toute assez court, comptez 3 à 4h maximum pour en voir le bout), Navet va rencontrer une faune et une flore plus ou moins hostiles, accomplir une foule de quêtes annexes toutes plus débiles les unes que les autres, découvrir le secret de ses origines, et réaliser qu’avant le règne des légumes, un autre peuple désormais reclus dans des bunkers anti-radiations peuplait ce monde cruel. Sans aller jusqu’à dire que Turnip Boy Commits Tax Evasion constitue un chef d’œuvre du thriller fiscal post-apo, je dois dire que cette petite histoire se laisse suivre avec le sourire, même si la tentative d’y insérer des enjeux dramatiques dans les dernières minutes tombe un peu à plat. Loin d’un brûlot libertarien anticonformiste, on se retrouve devant une banale histoire de famille mafieuse avec un sous-texte poussif.
Mais la principale force de Turnip Boy Commits Tax Evasion ne réside pas tant dans la révélation de l’identité secrète du maire Oignon que dans la loufoquerie assumée de l’ensemble. Le jeu ratisse large, puisque la courte aventure se permet de jongler sur un peu tous les registres de l’humour vidéoludique : ironie sur le monde contemporain, pastiche de film de mafia, humour meta sur la nature des jeux vidéo, séquences pipi-caca-vomi (peut-être un peu trop nombreuses à mon goût) ou encore pure absurdité. J’ai d’ailleurs trouvé que certaines séquences pleines de non-sens étaient tout à fait charmantes, à l’image de cette myrtille qui vous aborde avec pour tout dialogue un tonitruant « JE SUIS UNE MYRTILLE ». A la longue, cette litanie de blagues dépotées à un rythme frénétique s’essouffle un peu, mais on est plutôt dans le haut du panier du genre, certaines séquences s’avérant vraiment bien tournées et bien rythmées.
De même, la quête de Navet consistant à tout déchirer (littéralement), le jeu se permet un crescendo absolument délicieux, vous faisant détruire des documents de moins en moins liés à la quête de justice fiscale de notre héros qui se met à déchirer des notes de frigo, des listes de courses et autres fanarts. Bref, Turnip Boy Commits Tax Evasion n’est pas toujours drôle, mais parvient à l’être à intervalle régulier, ce qui est déjà pas si mal. Là où le bât blesse, c’est que cette courte blague est aussi une expérience ludique pas très inspirée qui grippe un peu les zygomatiques.
Un gameplay qui se banane un peu
Je ne sais pas si vous avez déjà eu cette désagréable impression de jouer à un titre « presque agréable » : tout est à peu près là pour être parfaitement jouable et fluide, mais il y a toujours un petit quelque chose qui vient plomber l’expérience. C’est exactement le problème de Turnip Boy Commits Tax Evasion. Comme je le disais ce n’est pas forcément un problème en ce qui concerne l’humour du jeu : certes, ça mise davantage sur la quantité que sur la qualité, mais dans l’ensemble, ça fonctionne. On ne peut pas en dire autant de tout le reste.
Ce qui fait de Turnip Boy Commits Tax Evasion une expérience un peu désagréable, c’est un ensemble de toutes petites choses idiotes qui sont autant de cailloux dans la chaussure du joueur ou de la joueuse : les hitbox des ennemis sont souvent illisibles, les patterns des boss oscillent entre beaucoup trop simples et beaucoup trop injustes, il n’y a pas de minimap ou de marqueur permettant de retrouver facilement un donneur de quête (et certains sont planqués au fond de donjons), et le jeu pousse à un bactracking constant qui vous forcera parfois à retraverser de bout en bout la carte pour des peccadilles. Jusque dans des détails qui ne devraient plus avoir cours en 2021, on s’agace : il est par exemple impossible de zapper une séquence cinématique d’introduction de boss, même si on y a déjà assisté plusieurs fois. C’est un détail, mais c’est énervant. On notera cependant un excellent point qui nuance un peu mon propos : la possibilité de moduler la difficulté voire de la supprimer complètement (invincibilité) pour les joueurs souhaitant juste profiter de l’intrigue et des blagues du jeu.
Aucun de ces défauts n’est assez majeur pour rendre le jeu franchement désagréable, mais vu l’ultra-classisime de la formule (des jeux avec un gameplay similaire, il en sort des dizaines chaque trimestre), on aurait apprécié un peu plus de polish et de maîtrise. Peut-être aussi qu’on aurait apprécié que l’humour ne soit pas le seul et unique atout du jeu. Car si Turnip Boy Commits Tax Evasion possède des boss, donjons, énigmes et secrets tout à fait fonctionnels, on déplore tout de même leur manque d’imagination et de variété : on pousse des blocs, on tire des caisses, on fait exploser des pans de murs avec des bombes et on utilise un canon à portail… D’accord, ça fonctionne, mais au fond on a déjà joué à Turnip Boy Commits Tax Evasion. Trop souvent. Et c’était souvent moins drôle, mais c’était aussi souvent plus réussi.
Turnip Boy Commits Tax Evasion a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch.
Turnip Boy Commits Tax Evasion ne restera pas dans les mémoires comme le pinacle de l’humour vidéoludique. Mais en matière de jeu-blague, il est incontestablement dans le haut du panier et m’a arraché quelques rires, tantôt nerveux (c’est quand même un peu stupide) tantôt de bon cœur (qui n’a pas envie de voir un navet rageur déchirer un fanzine moche de convention de japanime ?). Et c’est franchement tant mieux tant le reste du jeu est tout juste passable. Ce n’est pas grave : il est toujours préférable que la fonctionnalité principale d’un jeu soit réussie et le reste en demi-teinte que le contraire. Mais cet enchaînement de petits défauts empêche cette courte expérience de quitter le rayon des bonnes blagues pour celui des bons jeux. Une blague à 15€ taxes comprises, quand même.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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