Quatre ans après Gone Home, Fullbright est revenu dans le monde des expériences narratives avec Tacoma, sorti le 2 août dernier sur GoG, Steam et Xbox One. A des milliers des kilomètres de la Terre, au sein d’un vaisseau fantôme, vous êtes chargé de découvrir le destin des habitants avec comme seule aide des implants permettant de récupérer des données en réalité augmentée.
Vous incarnez Amy Ferrier, envoyée à bord de la station Tacoma par Venturis, l’entreprise exploitant la station, afin de récupérer les données sur les anciens occupants de l’endroit et sur l’intelligence artificielle du vaisseau. Guidée par les instructions de l’entreprise et votre propre curiosité, vous entrez dans le vaisseau fantôme, qui n’attend que d’être exploré.
Un voyeurisme dérangeant
Vous voici donc arrivé sur Tacoma. A partir de là, deux options s’ouvrent à vous : soit vous décidez que vous ne voulez rien savoir et vous pouvez rester devant votre espèce de cahier électronique permettant de récupérer les données dans chaque pièce et d’alt-tab en attendant que la progression se complète d’elle-même, soit vous pouvez décider d’explorer le vaisseau afin d’en apprendre plus sur le destin des derniers occupants de la station (et la récupération des données sera beaucoup plus rapide). Si vous choisissez l’option la plus logique, vous êtes donc parti en vadrouille dans la station. Malgré une énorme perte de données signalée au début du jeu, vos implants vous permettent de récupérer des bribes de conversations, que vous voyez en réalité augmentée. Il vous faudra plusieurs écoutes pour pouvoir entendre chaque personnage et avoir des informations plus personnelles sur chacun grâce à leurs ordinateurs qui contiennent des recherches et des conversations privées avec des personnes présentes dans la station mais aussi en-dehors.
On comprend rapidement qu’un accident s’est produit et que l’on sera témoin des derniers instants des travailleurs dans Tacoma. C’est à partir de ce moment-là que le jeu prend une autre saveur. Contrairement à Gone Home, où le mystère concernait la famille du personnage principal, votre personnage est un étranger qui n’a jamais connu les protagonistes et on répugne rapidement à trop fouiller, à déranger la place des objets. Chaque conversation est très personnelle : la docteur confie ses inquiétudes à l’IA Odin, la seule personne dont elle semble proche, les deux couples de la station essaient de se persuader que tout ira bien et l’un des travailleurs essaie de gérer à distance sa relation avec son compagnon et leur fils, qu’il désespère de revoir un jour. Même si chaque protagoniste n’est identifié qu’avec une silhouette de couleur en réalité augmentée, on s’attache à eux tout en se sentant impuissant, redoutant le pire. Ce voyeurisme est tout à la fois dérangeant et fascinant et on ne peut pas s’empêcher de continuer sur notre lancée car chaque objet développe un peu plus la trame de fond du monde dans lequel on évolue.
Des thèmes modernes
Attention, (petits) spoilers
Tout comme dans Gone Home, Fullbright inclut ici plusieurs personnages appartenant à la communauté LGBT : un couple de femmes et un homme homosexuel. Sans que ce soit le sujet principal du jeu cette fois, il est toujours plaisant d’avoir un peu plus de diversité et d’inclusion dans ce genre d’histoire. Mais le grand thème du titre est l’automatisation du travail et l’utilisation d’intelligences artificielles, deux sujets qui font débat à notre époque. Et il semblerait que dans le futur de Tacoma, ce ne soit toujours pas réglé. A travers des prospectus, on apprend l’existence de plusieurs camps : les syndicats d’ouvriers qui cherchent à défendre les intérêts des travailleurs et à stopper cette automatisation, les grosses corporations comme Venturis prêtes à tout pour faire adopter la loi leur permettant de se passer d’humains et un troisième groupe, défenseurs des droits des intelligences artificielles, qui cherchent à leur donner un libre-arbitre et à les libérer de leur programmation par les entreprises qui les exploitent.
Sans que l’on ait beaucoup d’informations sur elle, l’IA du vaisseau, Odin, ressort malgré tout comme le personnage principal. Elle est le lien entre les travailleurs et l’entreprise et le but final de votre exploration de Tacoma. Car loin de se préoccuper des habitants de la station, Venturis vous envoie principalement pour la récupérer. C’est que cette IA n’est pas totalement ordinaire. Contrairement à la plupart des jeux/histoires de science fiction, elle n’est pas cette intelligence artificielle malveillante, qui a développé un esprit de vengeance en gagnant en autonomie. Au contraire, les modifications apportées par l’ingénieure chargée de sa maintenance et membre du groupe de défense des IA, lui font gagner en empathie. Elle est la voix rassurante pour chaque membre du vaisseau, celle qui leur donne des conseils, qui calme leurs inquiétudes grandissantes après l’accident et finalement celle qui dénoncera à sa manière les agissements maléfiques de l’entreprise. Son importance dans l’histoire arrive à sauver le titre d’un dénouement classiquement cyberpunk : la grosse entreprise fait des choses très très méchantes et de pauvres travailleurs se retrouvent être les victimes innocentes de politiques qui les dépassent.
Une expérience narrative, un jeu ou les deux ?
J’aime toujours beaucoup parcourir les reviews GoG ou Steam pour un jeu car elles permettent de se rendre compte des ressentis différents selon les joueurs. Et évidemment, ce titre a fait débat pour la même raison que toutes les expériences narratives : peut-on vraiment les considérer comme des jeux ? D’autant plus que l’expérience est très courte, linéaire, sans possibilité d’influer sur son final et qu’elle est vendue au prix de 19,99€. Certaines personnes ont comparé sa durée de vie (entre 2 et 3 heures) et son prix à ceux d’un film. Une mauvaise comparaison selon moi : certes comme dans un film, on est uniquement spectateur et l’on assiste, impuissant, au déroulé des événements. Mais on a également la possibilité de choisir ce que l’on veut voir ou pas. Le jeu ne nous oblige pas à relancer les conversations pour avoir le point de vue de toutes les parties concernées, il ne nous oblige pas à aller fouiller dans les pièces ou dans les ordinateurs de chaque personnage. Comme dit au début, vous pouvez compléter le jeu en étant totalement AFK, ce sera juste plus long.
Cependant, il y a quelque chose de frustrant dans ces récits interactifs. On redoute toujours que la fin ne nous plaise pas, surtout quand l’histoire est tragique et les personnages attachants. Mais malgré tout, j’apprécie que ce genre d’expériences existent dans le monde du jeu vidéo. Je sais que tout le monde ne sera pas du même avis mais ces petites histoires courtes avec un minimum d’interactions sont toujours une pause bienvenue au milieu des jeux d’action, roguelites, FPS, qui peuvent parfois être stressants.
Tacoma est une très bonne expérience et dont la fin est assez satisfaisante pour calmer la frustration ressentie devant sa linéarité et son absence de choix. Malgré une durée de vie très courte pour un prix assez élevé, le jeu mérite d’être testé par ceux qui ont un budget permettant un tel achat. Fullbright a réussi ici à créer une histoire plus complète et sympathique que celle de leur précédent jeu, qui ne devait son salut qu’au fait d’aborder le thème de l’homosexualité brillamment. On soulignera ici l’excellent travail des doubleurs, qui permettent à chaque personnage de prendre vie uniquement grâce aux variations de leurs voix. On regrettera cependant que la trame de fond politique ne soit pas plus développée pour éviter de tomber dans le cliché habituel du genre.
Fanny Dufour
Rédactrice le jour et rédactrice en chef la nuit. J'aime qu'on me raconte des histoires, mais seulement dans les jeux.
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