Décrit comme un « soap-opera mutant » par ses créateurs du studio danois Die Gute Fabrik, Mutazione est un jeu indépendant narratif avec quelques éléments de point n’ click. On y incarne Kai qui découvre l’île mutante de Mutazione afin de nouer des liens avec son grand-père mourant et découvrir les lieux qui ont ponctué l’enfance de sa mère.
Il est toujours bizarre de finir par rencontrer sa famille perdue de vue et toute une communauté qui semble nous connaître par coeur alors qu’on n’en a jamais entendu parler. C’est le cas de Kai, avec la difficulté supplémentaire d’arriver dans une ville en deuil puisque son grand-père, très respecté des autres habitants, est mourant et que personne ne semble voir une amélioration possible. Mais plus que son histoire personnelle, c’est les relations complexes entre les différents personnages qui sont explorées ici et tout ce qui peut ressortir à un moment-clé.
Narration maîtrisée
Les premiers jours de Kai à Mutazione ne sont pas de tout repos : il s’agira pour elle de créer des liens avec un grand-père très affaibli qui ne peut pas discuter plus de quelques minutes, de visiter la ville et de rencontrer tous les habitants qui la composent. Si le jeu guide vos pas grâce au journal de Kai où elle répertorie ce qu’elle doit faire dans sa journée, il est fortement recommandé d’aller voir de soi-même les habitants pour comprendre un peu plus ce qui se trame dans le quotidien de la communauté autogérée. On apprend les passions de chacun, leurs routines et puis au fur et à mesure, leurs rêves, leurs espoirs, leurs relations mais aussi leurs peurs, nourries par un passé que personne n’ose ressasser. Des choses banales donc, contrebalancées par l’étrangeté de la situation. Car une chose est sûre : les choses sont différentes ici.
Tous les habitants sont des mutants, suite à une catastrophe incluant une comète, mais leur différence physique n’est que très rarement soulignée. Les plantes sont étranges, des ruines de l’ancien monde parsèment les terres envahies par la végétation. Mais nous ne sommes ni dans le post-apo joyeux et coloré ou poussiéreux et déprimant. Die Gute Fabrik a ici réussi à imposer son propre style, entre les deux, avec un charme étrange qui ne laissera pas indifférent. Autre point à souligner dans leurs choix artistiques, les mutants sont ceux qui ont droit à des visages détaillés contrairement à Kai qui n’est qu’un canevas, sans yeux ni bouche, pour que les joueurs puissent se projeter librement sur elle. D’ailleurs, on n’en saura au final peu sur notre personnage : si parfois, il y a quelques choix à faire dans nos conversations avec les autres qui dévoilent quelques détails de sa vie, Kai est d’autres fois passive, juste une silhouette dans le fond qui assiste à des dialogues entre amis. La narration est assurément le point fort du titre, il y a une continuité entre les dizaines de mini-histoires qui parsèment notre aventure, et il est naturel d’aller rendre visite à untel pour voir s’il avance sur son bateau, à une autre pour voir comment avance sa relation, même si rien dans le journal ne nous dit explicitement de le faire.
Le côté bizarre et intriguant de Mutazione lui donne un certain attrait mais semble parfois un peu superflu, notamment lorsque l’on part dans le mysticisme, avec des créatures étranges qui apparaissent en rêve pour nous aider à guérir notre grand-père ou des rituels chamaniques, qui ne semblent pas vraiment avoir un but précis à part capter l’attention du joueur, qui était pourtant déjà suffisamment accroché par les simples discussions entre personnages. J’y retrouve ici ce que j’avais déjà à reprocher à un jeu du même genre, Night in the Woods : sans gâcher le jeu, l’histoire surnaturelle, qui semble être là pour donner un fil rouge au joueur, ne sera pourtant clairement pas ce que l’on gardera en mémoire, même si elle a tendance à mieux se comprendre dans l’univers mutant de Mutazione.
L’hymne de nos campagnes
Entre deux conversations et une fois que votre grand-père sera un peu plus en forme, il s’agira d’apprendre de lui et de continuer son oeuvre, même s’il se montre très évasif sur le pourquoi, au grand désespoir de notre personnage. Son oeuvre à lui, c’est le jardinage, et ses jardins disséminés un peu partout dans la ville avaient l’habitude d’apporter la joie parmi la communauté. Non pas pour la beauté des fleurs mais plutôt pour leurs talents cachés : ils sont musicaux et émotionnellement chargés. Ce sera le seul élément de gameplay du jeu : il faudra créer des jardins en choisissant correctement les plantes pour coller à l’émotion de la personne pour qui on les fait. Chaque plante correspond à un instrument de musique ou un son et les plus créatifs d’entre nous pourront se créer une vraie petite mélodie à chaque fois, les autres n’auront qu’à suivre les exigences et faire un peu n’importe quoi. Et là où certains parlent à leurs plantes dans l’espoir que ça les aide un peu, ici on leur fredonne des mélodies et on joue du tambourin pour les encourager à fleurir. Sans être révolutionnaire, l’idée est bonne même si j’en attendais un peu plus, je ne trouve pas que les mélodies se distinguent très bien et j’espérais quelque chose de plus poussé pour qu’au final, tout se mêle à la BO et qu’on puisse se créer sa propre musique de fond personnalisée. Cependant, je comprends que les développeurs aient pensé à ceux qui sont moins sensibles musicalement et n’aient pas souhaité les noyer dans un gameplay qui n’est juste là que pour donner quelque chose à faire au joueur de temps en temps.
En tant que bonne millennial des villes, et même si ce n’était pas forcément voulu par les créateurs, il est dur de ne pas faire automatiquement un parallèle entre ce qu’il se passe dans le jeu, l’écologie et l’envie des citadins de se reconnecter avec la nature. Quand Kai, elle-même issue de la ville, arrive, tout est en train de mourir : le grand arbre sur la place ne fleurit plus, il n’y a plus de jardins et la communauté elle-même est dans un état de délabrement, où les relations pourrissent petit à petit à cause des non-dits. Quand la nature revit sous l’impulsion de l’invitée, les citoyens se retrouvent connectés avec leurs émotions et osent enfin résoudre les conflits et les douleurs lancinantes qui traînaient depuis des années au fond de leurs esprits. Kai elle-même y trouve quelque chose : elle y trouve une nouvelle famille, un héritage insoupçonné, un nouveau lieu de paix, loin de ses préoccupations quotidiennes.
Mutazione représente une vision idéalisée de la campagne, celle qui attire tant les citadins d’aujourd’hui qui s’imaginent une meilleure qualité de vie et un environnement moins stressant, bien loin de la vérité des déserts médicaux et de l’abandon des services publiques. On y vit du troc entre habitants, la cuisinière de la ville fait pousser ses propres légumes, une chasseuse s’occupe de la viande et de temps en temps, un bateau fait un aller-retour vers la ville. Une peinture d’un monde parfait pour nos néo-ruraux hippies de la vraie vie. Sans aller jusque là, on peut tout de même reconnaitre que la tendance du retour à la nature est forte en ce moment, il n’est donc pas étonnant que le jeu vidéo s’en fasse écho, même inconsciemment. Jusqu’au coeur des centres-villes, beaucoup d’initiatives sont mises en place pour encourager les jardins communautaires, on va même jusqu’à suggérer aux gens de fleurir les pieds des arbres à Paris, les toits végétalisés, tout pour mettre un peu de vert dans le béton, car, comme l’illustre Mutazione, quand la nature se meurt, c’est l’être humain qui meurt aussi un petit peu.
Mutazione a été testé sur PC, via une clé fournie par l’éditeur.
Parfois il suffit de peu pour faire un jeu vidéo. Si je reste éternellement sceptique face aux walking simulator qui dévoilent leur histoire au fur et à mesure de l’exploration, je suis admirative des titres qui arrivent à donner autant de vie à des personnages, à travers de simples dialogues, qui arrivent à capturer ce qui fait le charme de l’amitié et des communautés soudées depuis des années. Mutazione remplit parfaitement ce point et je n’ai pas pu m’empêcher d’avoir un pincement au coeur à la fin tant j’aurais aimé rester avec eux. Je suis personnellement un peu déçue que la musique ne soit pas plus au coeur du jeu final mais ce n’est qu’un détail qui ne gâche assurément pas la grande qualité du titre.
Fanny Dufour
Rédactrice le jour et rédactrice en chef la nuit. J'aime qu'on me raconte des histoires, mais seulement dans les jeux.
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