A la fois prouesse technique et artistique trois fois renouvelée et rare représentante du FPS narratif en solo, la série Metro a toujours été à part de la création des blockbusters vidéoludiques. Metro Exodus, le troisième épisode de la série, est librement adapté du roman Metro 2035, et est arrivé avec une volonté d’ouverture, de grands espaces, et d’un gameplay plus moderne. Un postulat qui pouvait effrayer à première vue les fans de la série.
Quand on me dit FPS en Open World, un sentiment de fatigue m’envahit. Je pense aux cartes trop grandes, aux points d’intérêt à foison, aux collectibles à n’en plus finir, aux PNJ insignifiants, aux missions annexes extradiégétiques, aux trop longs trajets, et aux jeux qui ne se résument, réduits à leur plus simple concept, qu’à une série de jauges à remplir via des mini-activités répétitives. Que la série de 4A Games ait annoncé prendre cette direction me rebutait à priori un peu. Pour tout vous dire, ce n’était même pas moi qui, au sein de cette rédaction, était supposé critiquer ce jeu, j’avais trop peur d’être déçu par le troisième épisode d’une série dont je connais les deux premiers jeux par cœur, et dont j’adore les romans à l’origine du projet. Quelle erreur de ma part ! A rebours de tout ce que propose l’essentiel de sa concurrence, Metro Exodus propose au joueur une grande bouffée d’air frais dans un monde pourtant hostile. En lui laissant du temps : le temps de l’ennui.
Le Vide et le Plein
Nul besoin d’avoir joué et rejoué aux deux précédents jeux de la série pour apprécier ce Metro Exodus qui a l’élégance, lors de sa sublime introduction et des quelques dizaines de minutes faisant office de tutoriel très dirigiste, de vous resituer rapidement les enjeux : voilà vingt ans que les survivants d’une guerre nucléaire sont parqués dans les entrailles du métro de Moscou, persuadés d’être les derniers survivants de la race humaine, assiégés par d’affreux mutants. Vous, Artyom, êtes absolument persuadé que de la vie se cache encore à la surface, quelque part au milieu de ce bouillon radioactif. Spoiler : vous avez raison, et c’est à bord d’un train blindé lancé à travers la Russie que vous allez partir explorer le monde avec votre épouse et certains de vos compagnons d’arme. Un voyage de plusieurs mois qui verra défiler saisons et paysages, avec l’espoir de trouver un nouveau foyer au bout de la route.
Les premières minutes de Metro Exodus, aussi sublimes soient-elles, font un peu peur. Explosions, scripts à gogo, séquences qui tiennent plus du Die and Retry que de l’expérience narrative, game design très à l’étroit, multitude de combinaisons de touches à retenir pour parfois pas grand-chose. Mais heureusement, l’impression ne dure pas, et le joueur est bien vite projeté dans le premier mini-open world que propose le jeu. Un pont accidenté au-dessus d’une rivière, avec en point de mire un ancien port fluvial et une église en ruine. Et c’est une fois descendu du train et relié à vos compagnons par le maigre fil d’un contact radio que le sublime commence.
La magie de Metro Exodus, elle opère quand vous réalisez que sur les différentes zones à explorer, il n’y a pas grand-chose à faire. Pas de points qui clignotent dans tous les sens. Pas de PNJ qui vous hurle dessus à tout bout de champ. Pas de tombe bonus à ravager pour débloquer des capacités spéciales, pas ou si peu d’audiologs de huit minutes vous racontant ce que vous n’avez pas besoin de savoir. Metro Exodus se contente de vous donner un objectif, quelques indications parfois assez vagues d’endroits facultatifs à visiter, et, ô surprise, ça suffit amplement. On n’avait plus l’habitude, et c’est ô combien reposant.
Petit mais costaud
Metro Exodus, ce sont des silences. Des remous sur l’eau. Des bruits entre deux buissons. Un fusil qui claque au loin. Un de vos compagnons que vous croisez lors d’une des escales du train, en train de s’acquitter d’une mission pendant que vous menez la vôtre à bien. Un mutant qui se dresse sur le capot d’une voiture, au loin, hésitant à fuir ou à vous charger, vigilant à votre capacité à ne pas empiéter bêtement sur son territoire.
Le monde proposé par ce jeu est petit. Il est dirigiste. Mais il remplit parfaitement son office : vous raconter une histoire, avec ses hésitations et ses temps morts. C’est un jeu superbe. Peut-être trop beau pour la génération actuelle (les temps de chargement sur PS4 pro frisent l’indécence, sachez-le), chaque panorama, chaque détail, chaque effet de particule semble dépasser tout ce qui a été vu jusque là. Seuls les PNJ restent parfois un peu mal dégrossis, mais tout en s’inscrivant parfaitement dans l’ADN assez sombre et rude de la franchise.
En de rares moments, Metro Exodus troque l’approche contemplative et aérée de son game design pour des missions en milieu plus étroit, plus scriptées, et toujours basées sur la capacité du joueur à alterner entre les diverses techniques de camouflage ou de combat qui lui sont mises à disposition. Si elles ne sont pas les moments les plus réussis du jeu, elles permettent tout de même de renforcer la dramaturgie de l’ensemble, et de « forcer » quelques choix moraux discrets (par exemple assommer un adversaire au lieu de le tuer) qui sont l’une des constantes de la franchise. Avec l’idée parfois un peu étrange et peu naturelle que la vie ou la mort du groupe dans le futur est entièrement déterminée par le karma d’un seul de ses membres et sa capacité à aller accomplir quelques quêtes annexes en restant sympa dans un monde de brutes. C’est peut-être le seul moment, à part celui où on se prend invariablement les pieds dans les combinaisons de touches, où le vernis sublime de Metro Exodus s’écaille pour laisser apparaître « juste un jeu ».
Créer, c’est choisir, et choisir, c’est couper
Parallèlement à mon parcours dans Metro Exodus, j’ai profité d’une semaine de vacances au calme pour me lancer comme je le fais parfois dans d’autres gros jeux du même type qui traînaient dans mon backlog : l’excellent Horizon Zero Dawn et le beaucoup, beaucoup moins excellent Far Cry 5. L’un comme l’autre proposent des expériences radicalement différentes : Horizon est très scénarisé, très écrit, et mise beaucoup sur la capacité du joueur à explorer et à comprendre la logique de son univers sans lui en donner toutes les clés, à la manière d’un Zelda Breath of the Wild, le génie en moins. Far Cry 5, quant à lui, est un épuisant parc d’attraction qui ne laisse jamais au joueur la moindre seconde de répit, avec des milliers de points d’intérêt et de machins à débloquer dans tous les sens, deux monnaies parallèles, des boutiques hors ligne et en ligne, des trésors cachés, des énigmes à gogo, des leviers à activer, des véhicules à conduire, des toutous à dresser, de la chasse, de la pêche et des missions scriptées imposées au joueur une fois certaines jauges très visibles à l’écran remplies. Le tout sur fond de scénario tellement bas de plafond qu’y entrer nécessite un sacré niveau en limbo.
Si ces deux jeux, radicalement différents, présentent une approche presque opposée de la narration, ils partagent en commun une sorte d’urgence à ne jamais ô grand jamais laisser au joueur le moindre souffle, la moindre opportunité de se poser, de réfléchir, de regarder au loin, et pendant quelques minutes, de ne pas se préoccuper du prochain niveau, de la prochaine fusillade, du prochain bidule à collecter et de la prochaine partie d’escalade. Ce temps dont on a parfois besoin pour juste admirer un bâtiment, peut-être vide, mais peut-être pas, et de se poser la bonne vieille question « et maintenant, que faire ? ».
Metro Exodus donne au joueur, qui en a parfois cruellement besoin, le droit au silence. Le droit au temps mort, à l’ennui. Il y a des bâtiments qui ne servent à rien. La carte n’est pas illuminée de centaines de petites icônes et de petits curseurs. L’interface est un sac à dos inconfortable et difficile à utiliser. Parfois, dans Metro Exodus, on ne fait rien du tout pendant dix minutes, accoudé aux rambardes d’un train lancé à pleine vitesse dans un pays enneigé à écouter deux de ses compagnons deviser sur le sens de la vie en attendant la prochaine étape. Et vous savez quoi ? C’est diablement reposant.
4A Games a fait, et c’est visible, un certain nombre de choix, a décidé de développer certains axes de gameplay et pas d’autres, a privilégié certaines séquences au profit d’autres. Quitte à parfois s’emmêler un peu les pinceaux. Mais ce que les développeurs ou les producteurs, sans doute bien intentionnés, d’un jeu comme Far Cry 5 n’ont pas encore assimilé, c’est que créer un jeu mémorable ne consiste pas nécessairement à le gaver comme une oie de contenu jusqu’à ce le joueur soit saturé et prêt à roter de satiété et à passer à la prochaine itération de la franchise. Créer un jeu qui restera dans les mémoires, c’est l’axer autour d’idées fortes, et tailler dans le gras jusqu’à obtenir la recette la plus équilibrée possible. Le résultat final de Metro Exodus est une grande aventure humaine avec ses creux et ses bosses plutôt qu’une ballade à la fête foraine lors d’un dimanche de pluie, et c’est éminemment appréciable.
Metro Exodus a été testé sur PS4 Pro via une copie fournie par l’éditeur
Il en a pourtant des défauts, ce Metro Exodus. Des problèmes d’interface, un gameplay parfois brouillon, une spatialisation du son un peu aléatoire, quelques bugs, des temps de chargement un peu rudes. Qu’importe ! En proposant au joueur une aventure pleine de temps morts et de respirations bienvenues, en vous invitant à observer, à explorer, à écouter les bruits de la nature ou de vos compagnons, en vous laissant faire des tâches par altruisme et non pour remplir une quelconque jauge, Metro Exodus montre qu’effectuer de vraies coupes et de vrais choix de réalisation dans un jeu de ce type donne un résultat infiniment plus satisfaisant qu’une gigantesque flaque de points d’intérêt à la Far Cry dont on ne retiendra strictement rien passé le générique de fin.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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