Si un aventurier des statistiques devait dénombrer, portages et remakes compris, le nombre d’itérations de la série Mega Man, il tomberait sur un total supérieur à 130. Pourtant, des dizaines de portages sur console virtuelle et autres PSN mis à part, la série n’a accouchée depuis 2010 que de projets annulés et de mini jeux sur téléphone portable. Si le désastre Mighty Number 9 nous a pourtant rappelé quelque chose (à part la taille de l’ego de Keiji Inafune), c’est que les jeux “à la Mega Man” n’ont pas décliné pour rien. Outre la révolution conceptuelle qu’ils ont proposé en leur temps, ils sont aujourd’hui absolument dépassés et n’ont, au fond, pas vraiment survécu aux années 90. Mega Man Legacy Collection 2, sorti au beau milieu de la morne plaine de ce mois d’août 2017, en est le témoin mélancolique.
Vendue pour un prix assez modeste (une quinzaine d’euros pour quatre jeux habituellement vendus plus chers à la découpe sur les magasins virtuels), la présente compilation regroupe les épisodes 7 à 10 de la série originelle de Mega Man. Pour vous resituer brièvement les enjeux : la franchise a, presque dès son origine et les épisodes Game Boy, divergé en une multitude de séries parallèles aux concepts et aux lore divers, les amateurs de chronologie farfelue y trouvant là une des gemmes les plus absurdes de l’histoire du jeu vidéo. Mais davantage que pour la qualité (absente) de son univers étendu à base de vilains robots et de savants très fous, ces séries parallèles trouvaient leur intérêt dans la diversité des gameplays proposés. La série Mega Man X, par exemple, affichait à la fois un design plus “cool” et une expérience de jeu moins âpre. La collection Dash tentait elle une approche 3D. D’autres ont privilégié une vision plus enfantine, d’autres se tournaient vers le RPG, la tactique ou le Metroidvania. Et si l’on devait qualifier la série principale à partir de son épisode 7, période qui nous occupe aujourd’hui, deux termes s’imposeraient : “conservatisme et rigidité”.
Des jeux mal édités sous nos latitudes
Si les épisodes de la série X et Zero ont bénéficié d’un certain écho chez les fluo kidz occidentaux des années 90, on ne peut pas en dire autant des ultimes épisodes d’une série mère en déclin relatif à la même époque. L’épisode 7, sorti sur Super Nintendo en 1995, est tombé dans un oubli complet, le huitième (Saturn et PS1) s’est débattu avec l’indifférence des joueurs de 1997 pour la plate-forme en 2D, et les suivants sont des tentatives postmodernes d’effectuer un retour aux sources en simulant la patte graphique des premiers épisodes sur NES. Distribués de manière assez modeste pour un public de niche, on ne peut pas dire que ces épisodes résolument hardcore aient jamais bénéficié d’une exposition digne de ce nom en Occident. Pour la première fois, il faut reconnaître ce mérite à Capcom : une compilation regroupe ces quatre épisodes méconnus.
Et, autre mérite certain, Capcom a cette fois-ci repris l’intégralité de ce portage en interne, en proposant un travail techniquement aussi propre que ce qu’avaient produit les californiens de Backbone Entertainment avec la première compilation. Rien à dire, chaque jeu est émulé à la perfection, le rendu graphique ne bave pas et n’est pas terni par de quelconques shaders hideux, il s’agit ni plus ni moins d’un décalque pur et simple des précédents épisodes, adapté aux résolutions de 2017. Soit. Pas une note de musique n’a été modifiée, pas un sprite retouché : ce que vous avez entre les mains, c’est Mega Man 7 à 10, ni plus ni moins. Les (rares) ajouts concernent simplement l’ajout d’une commande pour modifier (à la marge) la difficulté des différents jeux, et la pose de quelques checkpoints moins punitifs que dans l’expérience originale. Et pourtant, une fois la manette en main, on se pose rapidement la question : A quoi bon ?
Episodes Fatigués
Si les premiers épisodes de Mega Man avaient impressionné en leur temps (le premier épisode a trente ans cette année), c’est parce qu‘ils proposaient une expérience radicalement différente de tout ce que faisait le genre. L’expérience n’était pas linéaire, le game design explorait la verticalité, le système de pouvoir poussait le joueur à déduire l’ordre logique des niveaux, et le niveau de difficulté était, même pour son l’époque, à la limite de l’invraisemblable. Les suites perfectionnaient la formule, et poussaient la NES dans ses derniers retranchements techniques. Cependant, la lassitude s’installe déjà, et pour cause : deux mois après le sixième épisode sorti sur une NES en bout de course sort le spin-off Mega Man X sur Super Famicom. La série mère commence alors à travailler sur une équation perdue d’avance : tenir la comparaison face à des épisodes plus beaux, plus souples et plus intenses des séries parallèles, et parvenir, sans changer d’un millimètre un gameplay figé depuis Mega Man 3, à tenir la dragée haute aux centaines de jeux de plates-formes déversés chaque année sur Super Famicom.
Rien, au fond, ne séparent formellement un Mega Man 8 du premier épisode de la série. Ses sauts rigides jusqu’à l’injustice, son obligation presque absurde de connaître chaque millimètre d’un niveau pour y progresser, ses boss de fin de niveau au pattern illisible qui donnent autant d’importance à la chance qu’au skill, son level design alourdi par des éléments invisibles uniquement là pour ralentir la progression du joueur. Il y a des jeux exigeants et il y a des jeux absurdes : les Mega Man tardifs sont de ceux-là. Ils n’appartiennent déjà plus à l’époque où les sorties, rares, devaient tenir en haleine plusieurs mois des joueurs habitués à passer plusieurs jours (plusieurs semaines ?) sur un même tableau. Ils n’appartiennent pas encore à cette époque où le jeu vidéo de plates-formes s’est conceptuellement réinventé à coup de level-design ambitieux, d’introduction de souplesse et d’une physique dynamique dans les mouvements. Ils sont quelque part dans un entre-deux parfois charmant, souvent frustrant, dont on se demande un peu quel plaisir il peut apporter aujourd’hui, mis à part à une clientèle farouchement nostalgique.
Cette compilation souffre non pas comme on a parfois pu le pointer d’un manque de contenu (cela reste quatre jeux entiers au prix à la pièce inférieur à 4€), mais du fait que ce contenu ne concernera que la toute petite minorité de convertis et de complétistes furieux. J’ai du mal à penser que les joueurs qui avaient, en son temps, attendu Mega Man 10 comme le messie n’aient pas déjà en leur possession une ou deux copies du jeu.
Le Recyclage infini
On ne peut pas tenir rigueur à Capcom de ne pas, à l’instar d’un grand méchant Konami, respecter son propre patrimoine. De remakes en portages, de portages en reboots, de reboots en suites (pas toujours indispensables), Capcom sait faire vivre son fonds, et a souvent moins négligé le public occidental que certains de ses concurrents. Il est aujourd’hui assez simple de rejouer légalement à n’importe quel titre majeur de son catalogue, et ce Mega Man Legacy Collection 2 est une illustration somme toute banale de cette politique d’accessibilité.
Il n’en reste pas moins que si Mega Man est loin d’être une franchise tombée dans l’oubli, elle ne passionne plus les foules depuis longtemps. Le temps des mangas dérivés, des épisodes 3D et de l’Opera Rock hommage est loin. Difficile d’imaginer qui pourrait se laisser tenter par cette compilation. La licence ne parle plus au jeune public, les amateurs de plates-formes se débattent encore avec le brillant The End Is Nigh sorti il y a quelques semaines, la nostalgie est virulente mais se concentre sur des franchises plus fortes. Internalisée et réduite à un honorable service minimum, cette compilation ne semble vouée qu’à être une case de plus dans l’onglet “Capcom” des prochaines soldes virtuelles. Peu probable que l’éditeur ne rentre pas dans ses modestes frais, peu probable que quiconque en reparle un jour.
La rigidité des déplacements, la difficulté absurde, le level-design plus punitif que malin, l’univers extrêmement kitsch : on connaît Mega Man, on s’en souvient parfois avec le parfum de l’enfance, mais a-t-on véritablement envie de se replonger dans ces épisodes 7 à 10, loin d’être les plus brillants, encroûtés dans une formule volontairement ultraconservatrice ? Capcom effectue avec Mega Man Legacy Collection 2 un portage tout à fait correct de certains des épisodes les plus confidentiels de la saga, et ce pour un coût assez modeste. Dommage que ces compilations contemporaines n’explorent pas, à ce jour, les saga parallèles comme X ou Zero qui ont su s’adapter et proposer des expériences de jeu plus modernes et un gameplay plus travaillé que la formule immuable de 1987. La qualité technique du portage de ces quatre jeux ne convaincra que les convaincus, mais, au fond, ils sont sans doute les seuls à qui ils s’adressent.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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