Dernière production du petit studio parisien Game Source Studio, Mahokenshi est un jeu de stratégie/RPG au tour par tour basé sur des mécaniques de deck building. Un mélange à première vue indigeste qui passe pourtant plutôt bien.
Janvier, c'est rarement un bon moment pour sortir un jeu vidéo. Personne n'a d'argent à dépenser, plein de gros jeux ont saturé le marché dans les semaines précédentes, les rédactions, streamers et influenceurs sont en vacances… Ce qui explique sans doute que le premier jeu que je reçois chaque année pour The Pixel Post n'est jamais mémorable : Fallen Legion + en 2018, Lucius III en 2019, Ciel Fledge en 2020, Supermash en 2021 et Aquamarine en 2022, autant de jeux médiocres, voire pire, dont vous aviez certainement totalement oublié l'existence. Est-ce que Mahokenshi et son décor pseudo-japonisant mélangeant allègrement diverses tendances majeures du jeu vidéo de ces dernières années arriveront à briser ce cycle infernal ? Par bonheur, oui. Malgré des problèmes d'équilibrage et d'ergonomie incompréhensibles, il s'agit d'une excellente surprise.
Entre trahison et modernité
Mahokenshi, c'est d'abord un univers-prétexte avec un joli emballage. Il n'y a pas vraiment de scénario, mais plutôt un contexte général émaillé de missions faisant vaguement avancer le tout. Piochant aléatoirement dans les clichés du folklore japonais, le jeu se déroule dans des îles célestes où quatre royaumes pseudos-nippons vivent en harmonie. Une porte démoniaque s'ouvre à la suite des manigances d'une secte perfide, des monstres des enfers corrompus attaquent, et les quatre mahokenshi (littéralement des mages-soldats) protégeant tout ce beau monde vont devoir résoudre le problème.
Une seule campagne nous proposant de contrôler alternativement les quatre personnages jouables, une vingtaine de missions et pas de modes de jeux alternatifs, ni de sandbox, ni d'ajustement possible de la difficulté : en matière de contenu, Mahokenshi est un peu à l'étroit pour nous présenter son univers et ses évolutions. Une quinzaine d'heures et vous en aurez vu l'intégralité. Un pari audacieux, de même que celui consistant à nous présenter un scénario à peine esquissé et sans rebondissements majeurs, et qui nécessite un système de jeu très solide pour ne pas lasser rapidement. Parce que certes, Mahokenshi est très très beau, avec des illustrations et des scènes cinématiques absolument époustouflantes de détail et de finesse, mais cela n'a jamais suffi à faire un bon jeu.
Et on ne peut pas dire qu'annoncer une grosse tambouille à base de cartes, d'hexagones et de combats au tour par tour semblant prendre aléatoirement des tendances fortes du jeu vidéo de ces dernières années pour les mélanger n'importe comment soit a priori très engageant. Les deux ou trois premières missions ne font que renforcer l'angle de levage de nos sourcils : on ne peut jouer qu'un seul personnage, qui se retrouve à errer sur des maps très scriptées et étriquées à dégommer des ennemis en défaussant des cartes trop puissantes pour qu'ils opposent la moindre résistance. Et puis heureusement, bien vite, tout se corse et se complexifie.
Progression à la carte
Mahokenshi a beau avoir une interface assez chargée, ce qu'il vous propose de faire est en réalité simplissime : vous commencez chaque mission avec un deck de départ vous donnant des capacités précises (attaquer, se défendre, se soigner…). Jouer une carte coûte de l'énergie, se déplacer aussi. Vous devez accomplir un objectif principal et des objectifs annexes, généralement en temps limité, consistant tantôt à tuer un boss, tantôt à activer des portails ou à récupérer un objet. Quand vous n'avez plus d'énergie, vous passez votre tour, et les ennemis se déplacent et agissent, et ainsi de suite. En chemin, vous pouvez récupérer davantage de cartes ou de l'or, modifier votre deck, visiter des temples renforçant vos compétences de base ou appliquant des modificateurs aux cartes, etc.
Deux subtilités viennent enrichir ce système qui fonctionne déjà très bien : d'une part, le petit mur de difficulté que le jeu vous met rapidement dans les dents, et qui s'avère être en réalité une incitation à refaire les missions précédentes pour en accomplir les objectifs annexes, qui modifient complètement la manière d'aborder ces scénarios. Terminer une map en 20 tours ou la boucler après avoir éliminé tous les ennemis implique des decks et une manière de jouer absolument différents. D'autre part, le double système d'expérience du jeu est une réussite : vos personnages gagnent individuellement de l'XP en tabassant des monstres (ce qui débloque des cartes et des artefacts qui leur sont propres), mais en gagnent collectivement en accomplissant les objectifs liés à chaque scénario. C'est via ce système que l'on progresse dans des arbres de compétences partagées qui, à mesure qu'ils se débloquent, transforment de plus en plus vos possibilités de jeu.
Mahokenshi ne propose ainsi pas une multitude de cartes différentes à collectionner, mais plus on progresse dans le jeu et plus il devient aisé de les combiner et d'utiliser des combinaisons impressionnantes de leurs pouvoirs. Par exemple : certaines missions vous demandent de traverser très, très rapidement le terrain de jeu de bout en bout pour activer ou désactiver des portails. À première vue impossible à réaliser, ce genre de prouesses devient extrêmement aisée une fois qu'on a assemblé assez d'énergie et des cartes basées sur le mouvement, le vol ou la téléportation. On se retrouve parfois à arriver à jouer trois, quatre, cinq, voir huit fois lors d'un même tour, juste par le biais de déplacements savamment étudiés et d'un deck bien organisé.
Sauve qui peut
La difficulté n'en devient pas anecdotique pour autant : si Mahokenshi n'est pas un jeu particulièrement ardu pour peu qu'on prenne le temps d'accomplir les missions annexes de chaque mission de la campagne, ses moments clés proposent des confrontations stratégiques vraiment complexes, virant de temps en temps au véritable casse-tête, mais laissant toujours une grosse marge de manœuvre en fonction du personnage et des decks que vous choisirez. Plus vous avancez dans le jeu et plus on vous laissera libre du choix de votre combattant, de vos cartes de départ, de votre équipement et de vos compétences annexes.
En revanche, Mahokenshi souffre de deux défauts majeurs qui sont un peu le miroir de toutes ces bonnes idées et de ce joyeux mélange, à savoir un manque criant d'équilibrage sur la fin du jeu et une absence de système de sauvegarde absolument aberrante. Pour l'équilibrage, il s'agit surtout de problèmes dus à des cartes liées aux deux derniers personnages débloqués, basées sur le déplacement rapide et les assassinats : certaines combinaisons de cartes accessibles vers la fin du jeu sont si puissantes qu'elles rendent toute tentative de déployer d'autres stratégies un peu vaines. À l'inverse, certaines classes d'ennemis arrivant tardivement dans le jeu prolongent inutilement les combats en saturant votre pile de cartes de merdouilles maudites que vous allez passer votre temps à exorciser sans pouvoir attaquer, on a vu plus amusant.
Mais le principal grief que je retiendrai contre ce jeu pourtant très amusant, c'est que la plupart des missions qu'il propose sont assez longues (rarement moins d'une demi-heure, souvent plus d'une heure), et que, de manière absolument stupéfiante, aucun système de sauvegarde n'a été prévu. Je ne parle même pas d'un système de sauvegarde rapide qui permettrait de "tricher" en rechargeant sa partie à gogo si une attaque tourne mal, mais d'un système de savestate qui permettrait, par exemple, de quitter une mission en cours pour y revenir par la suite comme le proposent la quasi-intégralité des jeux de stratégie depuis au moins deux voire trois décennies. Une fonctionnalité dont l'absence est assez consternante et qui vient un peu gâcher la fête : tout le monde n'a pas deux heures d'affilée à consacrer à ce genre de jeux.
Mahokenshi a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Si on excepte quelques petits soucis de gameplay en fin de campagne et l'absence consternante de possibilité de sauvegarder une mission en cours, Mahokenshi est une franche réussite, et un des jeux de stratégie les plus innovants sortis depuis un bon moment. Sa proposition baroque est vite assimilée, et son pari de proposer un contenu court, mais maîtrisé est vraiment réussi. On espère néanmoins que quelques mises à jour post-lancement pourront améliorer les aspects un peu pénibles qui gâchent pour le moment la fête.
Les + | Les - |
- Le concept fonctionne globalement super bien | - Impossible de sauvegarder pendant une mission, non mais vous plaisantez ? |
- Les quatre personnages ont un gameplay très varié | - Certaines missions traînent un peu (et en plus on ne peut pas sauvegarder) |
- Grosse rejouabilité des missions | - Trop de cartes et d'ennemis mal équilibrés (énervant de perdre alors qu'on ne peut pas sauvegarder) |
- Système d'expérience bien pensé | - Ai-je mentionné l'absence de système de sauvegarde ? |
- C'est très beau |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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