Spécialisé depuis 2015 dans les films d’horreur interactifs oscillant entre série B et série Z, le studio Supermassive Games a trouvé avec sa « Dark Pictures Anthology » une formule qui roule : chaque année, un décorum horrifique différent nous permet de piloter une histoire où des acteurs modélisés de manière quasi photoréaliste s’entretuent joyeusement, nous laissant vaguement façonner leur destin. Une formule qui ronronnait un peu, mais que l’épisode House of Ashes entend renouveler en nous emmenant dans de sombres tombeaux irakiens.
Vous aurez peut-être senti mon ironie, mais aussi amusants soient les jeux de Supermassive Games, ils me semblent tous porter exactement le même défaut : si l’intention est louable et la technique généralement au rendez-vous, j’ai toujours trouvé ces expériences, et ce dès Until Dawn en 2015, profondément mal écrites. Embrassant des décennies de films d’horreur fauchés, débauchant des acteurs semi has been pour gesticuler devant des meurtres parfaitement clichés et déroulant des stéréotypes comme s’il en pleuvait, la série The Dark Pictures Anthology a toujours peiné à tisser entre ses personnages et le joueur ou la joueuse le moindre début d’empathie. Et quand on en a strictement rien à faire du sort des gens qu’on incarne, c’est un poil difficile de trouver l’expérience marquante : je mets ainsi au défi quiconque de me citer les prénoms des protagonistes des jeux précédents de la série, qui sortent pourtant au rythme frénétique d’un épisode par an au moins jusqu’à l’année prochaine. En apprenant que House of Ashes empruntait le chemin périlleux de mélanger film horrifique et guerre d’Irak, j’avais peur de me confronter à un des jeux les plus honteux et problématiques de l’année… avant de me retrouver stupéfait face à un produit très imparfait, mais largement meilleur que tous les épisodes précédents.
Sumer Marioles Dudebros
Alors bien sûr, on reste tout de même dans la zone de confort des jeux Supermassive : on part pas sur une écriture à la Guerre et Paix avec une mise en scène inspirée d’Ingmar Bergman. Le scénario de House of Ashes reste globalement bourrin et bas de plafond, nous plaçant quelques semaines à peine après l’invasion anglo-américaine de l’Irak. Toujours à la recherche des fameuses armes de destruction massive (qui n’existaient plus depuis 1991), une bande de soldats américains sortis d’une usine à clichés organise un raid sur un site suspect. Raid qui tourne à la catastrophe quand l’unité est prise en embuscade par les restes de l’armée irakienne, puis à la bavure envers des civils locaux et se termine en explosion généralisée précipitant tout ce beau monde dans un ancien temple sumérien enfoui sous leurs pieds.
Commence alors une aventure de 6 à 8 heures, où vous allez tour à tour incarner les survivants américains (le commandant burné, le soldat gentil en PTSD, le gros con avec une casquette « remember 9/11 » …), une agente spéciale de la CIA et un malheureux soldat irakien pourtant déjà démobilisé et précipité dans cet enfer malgré lui. Ce dernier est incarné par un Nick E. Tarabay toujours présent quand il s’agit d’incarner un « oriental » au sens large (arabe, perse, russe, balkanique tout ça c’est un peu pareil) pour une production anglo-saxonne pas spécialement regardante sur la question. Difficile de vous mentir : la première heure du jeu aura du mal à vous faire tisser ce fameux sentiment empathique avec cette bande de crétins à la gâchette facile (à l’exception du soldat irakien, à la personnalité plus mesurée, j’y reviendrai ensuite). Rarement dans un jeu vidéo sur le thème de la guerre, où il y a pourtant du challenge, on vous aura fait incarner une telle bande de demeurés.
90% des phrases commençant par une punchline sur les mamans, crachat à la tronche de prisonniers, épandage de phosphore blanc sur des assaillants au moindre prétexte, abattage d’un civil dans le dos, vociférations à propos des libertés, de l’Amérique et du 11 septembre : l’ambiance des premières minutes sent tellement le vestiaire d’un rodéo de soutien à George Bush en 2003 que ça en devient presque ridicule. L’ambiance s’améliore largement par la suite, quand House of Ashes commence à déployer son ambiance de film d’épouvante et nous fait voyager au cœur de la mythologie des démons sumériens et akkadiens, avant de pousser tout ce beau monde à affronter une horde de créatures vampiriques venues des profondeurs de la Terre… puis de repartir dans une toute autre direction nous confirmant qu’on est toujours bel et bien dans un niveau d’écriture s’approchant du direct-to-DVD vendu 1€ à la caisse de GiFi. Mais vous savez quoi ? House of Ashes tente sincèrement des choses intéressantes en chemin, et c’est presque assez pour en faire un bon jeu.
Le meilleur jeu de la série
Tout d’abord, notons qu’House of Ashes, si on excepte quelques petits problèmes de performances sur PC, est formellement un meilleur jeu vidéo que les précédents titres de Supermassive Games. Les QTE (l’essentiel de ce que vous ferez effectivement) sont mieux intégrés, les relations entre les personnages sont mieux écrites et leur évolution plus logique, le scénario réserve davantage d’embranchements possibles et de surprises, les options d’accessibilité sont parfaitement pensées pour toutes les expériences, et le jeu ne souffre de presque aucun temps mort, à l’exception d’une séquence de fouille de temple et de redémarrage de générateur qui traine un peu en longueur.
Ajoutons à cela qu’en tant que « film interactif », les développeurs de House of Ashes ont fait l’effort de proposer des décors, des ambiances, un design sonore et des cadrages largement au-dessus des jeux précédents. On est loin d’atteindre l’excellence en la matière, néanmoins pour la première fois de la série on n’a pas l’impression d’assister au tournage d’un mockbuster de The Asylum, mais bien à une tentative de livrer quelque chose d’original au niveau horrifique. Si la thématique des militaires confrontés à des monstres dans un environnement clos reste assez cliché, le contexte mésopotamien et l’ambiance poisseuse des temples ensevelis offrent quelques vues saisissantes et quelques séquences d’action vraiment plus inspirées que dans les autres jeux de la saga.
Plus fluide, plus beau, plus rythmé et globalement mieux incarné par des acteurs mieux modélisés. Il semble loin le temps où tous les modèles 3D dans les jeux Supermassive semblaient être des poupées de cire dans lesquelles on aurait vaguement insufflé une âme. Si les premières et dernières séquences du jeu multiplient les maladresses scénaristiques et se vautrent dans une beauferie « parodique » pas forcément plus agréable pour autant, tout le cœur du propos est ainsi un plaisir un peu coupable mais bien présent. Mais surtout, House of Ashes est un jeu qui prend un risque narratif conséquent en n’hésitant pas à mettre en scène de manière crue et directe l’invasion de l’Irak, et en nous faisant incarner un des seuls personnages irakiens jouables de toute l’histoire du jeu vidéo.
L’Irak demeure un grand absent du jeu vidéo contemporain
Si de nombreux jeux se déroulent sur le territoire irakien, constatons qu’ils se découpent grossièrement en deux catégories principales : les jeux de tir à la première personne où le désert n’est qu’un terrain de jeu anonyme pour nous faire vider des chargeurs sur des « insurgés » (si possibles arabes), et les jeux à consonance historique inspirés des civilisations, religions et folklores de la région du Croissant Fertile. De manière très surprenante, House of Ashes effectue le petit exploit de ne finir dans aucune des deux, traitant le conflit en Irak à hauteur d’homme et n’hésitant pas à rentrer dans les détails les moins reluisants de ce pan désormais presque vieux de vingt ans de l’histoire militaire américaine.
Abordant tour à tour (pas toujours très bien, mais on sent la bonne volonté) la question des bavures militaires, de la torture, du stress post-traumatique ou encore du racisme anti-arabe forcené de certains marines après le 11 septembre, House of Ashes est aussi à ma connaissance le seul jeu vidéo à ce jour nous donnant à incarner un Irakien, nous plaçant ainsi pour une fois dans le cadre d’un conflit au Moyen-Orient dans la position de l’envahi et non de l’envahisseur drapé dans sa « guerre juste ».
Le personnage de Salim est ainsi une véritable réussite à son échelle, nous dressant le portrait d’un homme embarqué à regret dans un conflit qu’il considérait déjà terminé, père de famille aimant et lettré avec une perspective nuancée sur les événements en cours, sans que cela ne vire jamais non plus dans l’excès inverse qui eut consisté à nous montrer un brave et sage irakien paisible face à des américains forcenés. La relation que House of Ashes nous fait tisser tout au long du jeu avec cet homme ayant vu son pays soudainement envahi et bombardé sans qu’il y soit pour quoi que ce soit et des envahisseurs clairement venus pour des raisons qu’ils commencent à découvrir fausses et mensongères est donc assez bien sentie.
Ceci nous pousse, pour la première fois dans un jeu estampillé Dark Pictures Anthology, à faire de véritables choix. Pas des choix basés sur de simples questions morales basiques ou pour déterminer quel personnage insupportable nous allons laisser mourir, mais bel et bien pour tenter de créer une relation cohérente et équilibrée entre des individus se retrouvant opposés par le simple fait du hasard, alors que leurs chemins n’étaient pas supposés se croiser. Cela ne suffit pas à faire de House of Ashes un grand jeu, certes, mais c’est déjà vraiment mieux que tout ce que la série aura essayé jusque-là.
The Dark Pictures Anthology : House of Ashes a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et 5, et sur les consoles Xbox.
Si on reste très loin d’un jeu appelé à devenir un classique du genre horrifique, House of Ashes est une très agréable surprise visiblement pétrie de bonnes intentions. Techniquement assez abouti, il s’agit d’un film interactif de série B qui se laisse suivre avec plaisir, et qui aborde des événements assez rarement racontés dans les jeux vidéo à gros budget, en ne se vautrant que rarement dans la caricature et déployant un bestiaire classique, mais efficace. On regrettera cependant que le début et la fin de l’aventure ne se privent en revanche pas pour ouvrir les vannes du n’importe quoi, que ce soit au niveau des dialogues ou des péripéties traversées par les personnages. Qu’importe, House of Ashes demeure un bon moment, particulièrement quand on en attendait rien de précis.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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