Après des mois à suivre son avancée via les posts de son développeur sur Twitter, Grapple Dog sort, rayonnant et grappin en main, prêt à revisiter les jeux de plateforme des années 1990.
On croit presque se souvenir d’un des premiers messages que Joseph Gribbin a postés sur le sujet : « Je me suis remis au travail sur un prototype que j’avais laissé de côté ». Quand bien même on l’a sûrement aperçue, oubliée puis réarrangée à notre sauce, cette réplique prend une autre dimension lorsqu’on voit jusqu’où une idée d’abord délaissée est finalement arrivée. Ouvrant la voie des premiers titres édités par Super Rare Games, Grapple Dog est de ces jeux qu’on a eu le temps d’imaginer en suivant leur rythme de développement, par l’intermédiaire des nouvelles qu’en donnait son développeur. Quelles idées se cachaient derrière les gifs montrés avec excitation ? Comment la volée de platformers auxquels jouait Gribbin pouvaient bien influencer son propre jeu ? Une fois en main, on a vite constaté que Pablo le chien en a sous le museau, plus qu’on l’attendait, et s’approprie habilement les influences d’une décennie de jeux de plateforme, de la SNES à la GBA.
Good Boy Advance
Officiant en solo, Joseph Gribbin a fait ses armes entre le PC et le mobile, notamment avec Nitrome, éditeur avec lequel il a sorti Spike City. Outre un style visuel évocateur au regard de son nouveau jeu, le puzzle platformer parait avoir tenté le pari d’une action protéiforme, soucieuse d’adapter la maniabilité instinctive du tactile au besoin de rythme du jeu de plateforme. Avec Grapple Dog, la balance penche sans peur vers le platformer, profitant peut-être du regain de forme que le genre connait depuis quelques années déjà pour s’y abandonner avec joie, sans pourtant laisser de côté sa tendance à une approche généreuse. Au contraire, le développeur anglais semble même en avoir profité pour laisser s’exprimer sa passion pour des titres devenus des influences, qu’on devine multiples. Au centre de celles-ci, on trouvait des mascottes charismatiques, tradition que Gribbin se fait un plaisir de perpétuer avec Pablo.
Ce gentil toutou, niais comme il faut, travaille pour la Professeure aux côtés de Toni, une lapine mécano. À bord de leur fier navire à deux étages, ils voyagent à la recherche d’indices pouvant mener à mieux comprendre qui était l’Inventeur, curieuse figure historique dont les statues décorent le paysage. Alors qu’ils explorent une île, Pablo tombe dans une caverne et fait la connaissance de Nul (un L supplémentaire aurait pu être utile par chez nous), gentil robot cassé qui se révèle vite tyran mécanique, lâchant ses sbires sur la région. Son objectif : les reliques mises au point par l’Inventeur, contre lequel il semble avoir une dent. Si la trame ne recèle en soi ni grande surprise ni double fond qui serait question à interprétation (à moins que ça nous ait échappé), le casting est au moins de bonne compagnie et la visite de la base flottante bienvenue, bien qu’une pincée d’humour un peu plus piquant n’aurait sans doute pas été de trop. Qu’importe, le chien mignon promis est là, la possibilité de le caresser également, ne manque plus que l’autre protagoniste qui donne sa seconde moitié au titre.
Il a le style qui fait mal
De Bionic Commando à Spider-Man, de A Story About My Uncle au plus évocateur Grapple en passant par le furieux Remnants of Naezith, le grappin soutient depuis longtemps la dimension plateforme du jeu vidéo – et plus encore si on se laisse aller à marquer la différence entre grappin et filin tracteur. Le temps passant, la physique intégrée par les jeux s’est enrichie et a permis l’introduction de cet outil à même de redynamiser l’ancestrale mécanique de saut, jouant de plus en plus avec l’idée de balancier. Le plaisir qu’on a à prendre de l’élan tient évidemment à l’équilibre de la physique entre pesanteur et vitesse prise par l’avatar, et comment il impacte nos déplacements en y inscrivant de l’aléatoire. C’est un élément supplémentaire à prendre en main et maîtriser, mais la satisfaction apportée est proportionnelle à la suite de mouvements qu’on se voit capable d’enchaîner. On est bien loti, Grapple Dog est pensé avec application et faire courir, nager ou se balancer Pablo s’avère délectable, d’autant que les animations du petit chien se permettent une science du détail qui le caractérisent avec harmonie, oreilles rebondies au vent. L’influence de précédents titres se ressent dans la physique établie et on pense notamment à l’inertie de Donkey Kong Country, si celle-ci était concentrée dans les sauts et laissait de côté la lourdeur parfois frustrante de la marche/course. Ici, la panoplie de mouvements s’aborde comme un charme et même avec naturel, pourrait-on dire, ce qui n’est pas une mince affaire à atteindre.
Cette fluidité de déplacement ne servirait pas à grand-chose sans un level design adapté et varié afin de lui donner de quoi s’exprimer. Sur ce point, Grapple Dog adopte deux directions dont on ne soupçonnerait pas forcément la bonne rencontre mais force est de constater que le résultat rend plutôt bien. La première visite d’un niveau s’orientera vers la découverte de sa structure et de sa composition, titillant nos envies d’exploration. C’est l’occasion de tester la variété des plateformes rencontrées, qui multiplient canons, rebonds, accroches fixes puis en mouvement et autres wall jumps ; viennent ensuite les obstacles, que représentent les ennemis (pas très variés mais peu importe), piques et scies en tout genre ; et enfin les collectibles, dont la récolte permet la progression d’un monde à l’autre.
Accumuler les gros améthystes permet en effet, une fois un nombre donné atteint, de débloquer l’accès au boss de la région. Le sentiment de corvée est malgré tout évité car sept joyaux sont à récupérer par niveau, pas besoin de ramasser le moindre petit machin pour tout débloquer, et des niveaux bonus centrés sur une courte épreuve les distribuent trois par trois. On navigue ainsi tranquillement, appréciant l’ambiance tranquille d’un titre qui ménage sa difficulté, bien que les derniers niveaux viennent avec leur lot de complexité – sans compter le contenu post-game visant avant tout les complétionistes. Gribbin a toutefois tenu à proposer des options d’accessibilité à qui en éprouverait le besoin et qui, si elles ne sont pas complètes (manque par exemple la reconfiguration des touches), intègrent au moins l’invincibilité et des sauts infinis pour dépasser une résistance temporaire.
Pablo, est-ce qu’on s’barre ?
La seconde direction vers laquelle se tourne Grapple Dog se manifeste plusieurs fois au cours de l’exploration à la cool, lorsque la progression se fait des plus fluides. Une fois un niveau terminé, un mode contre-la-montre se débloque et lève le voile sur la nature secrète du jeu, tendue vers le speedrun et son propre court-circuitage. À la faveur d’un mouvement de balancier un peu trop vite expédié, il arrive qu’on soit témoin de l’éjection de Pablo à grande vitesse vers la suite du niveau, outrepassant la progression attendue. Là, on sent que le gentil flow qui nous tenait précédemment peut s’énerver et basculer vers la fièvre du parcours millimétré et optimisé. Une sorte de double visage à la Sonic, autre influence du développeur anglais, proposant à la fois un level design (légèrement) tortueux et la faculté de dépasser, ou presque, son cadre. Personnellement, on est moins friand de la proposition du hérisson que de celle du chien, tirez-en les conclusions que vous voulez.
Là où cette construction tirant constamment son joueur/sa joueuse vers l’avant trouve ses limites, c’est que malgré l’effort de diversification des niveaux, le calibrage amène parfois certaines situations à se répéter sur la longueur. Un même sentiment emprunt les affrontements de boss, sympathiques mais un peu plan-plan, vu leur fonction de barrage à dépasser immanquablement pour progresser. Profitons-en pour noter que sur Switch, on a noté des ralentissements dans les niveaux les plus chargés, surtout les derniers, et une tendance à des chargements un peu longs, qui malmènent parfois la continuité de la progression. Enfin, un petit accro fait que lorsqu’on est renvoyé à un checkpoint, certaines plateformes tout juste détruites ne se rechargent pas hors-champ et n’ont pas le temps de réapparaitre au moment d’y revenir. Ce ne serait pas un problème s’il n’y avait pas des rangées de piques en dessous.
Difficile, néanmoins, de s’attarder sur ces points plus moyens vu l’énergie que met le titre à donner son meilleur, en termes de contenu proposé comme à l’heure de bâtir son identité. Là encore, une influence est à soulever, indiscutable une fois identifiée et plutôt à la mode ces temps-ci. Si le pixel art au rendu façon cell-shading pouvait donner un indice, c’est la très énergique soundtrack de queenjazz qui met à jour toute l’influence qu’a pu avoir le Jet Set Radio de Sega sur Gribbin – et on fait un coucou en passant à Thommaz Kauffmann, si tu nous lis, qui officie aux bruitages additionnels et qu’on a hâte de retrouver en tant que compositeur après son travail, magistral, sur Dandara. Si la signature sonore du jeu de roller étonne lors des premières parties et entre quelque peu en collision avec l’image qu’on a du reste du jeu, elle ne tarde pas à nous convaincre avec son électro swing et ses percées vocales typées scratch. Si vous êtes comme nous sensible à la répétition, on conseillera toutefois de baisser, voire de couper tout bonnement cette soundtrack endiablée (sacrilège) pour l’écouter tranquillement hors-jeu : les boucles sont relativement courtes et à une musique par monde, on préfère préserver notre entrain à son encontre que de devenir zinzin en la maudissant. Vous aurez de quoi entendre les chants d’oiseaux qui habillent le fond sonore, comme ça, et ce n’est pas moins agréable.
Grapple Dog a été testé sur Switch via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur PC.
Grapple Dog avait tout pour nous plaire et il fait même presque mieux. La fluidité avec laquelle on virevolte et se balance d’un plaisir à l’autre, d’une bouille de chien trop mignonne à des parcours entre scies et piques acérées fait le cœur de l’expérience de ce platformer sous influences, mais qui ne s’en contente pas. On commence doucement et déjà nous voilà prêts à se frotter aux défis speedrun encouragés par le jeu et son level design même. Entre le grappin et le filin tracteur, Pablo ne choisit pas et s’en va rebondir les deux en poche. C’est pas nous qui allons nous plaindre.
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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