Fait plutôt insolite : j’ai davantage été satisfait de découvrir l’existence d’Elli que de réellement le recevoir et y jouer. Savoir qu’il était là, jouable et, hourra, assez bon me suffisait amplement. Ceci étant, je ne me suis pas contenté de l’observer bêtement dans ma bibliothèque Steam – je fais parfois ça quand je reçois des bouquins que j’attendais depuis longtemps, mais que je n’ai pas le temps de lire de suite, on ne juge pas – ce Elli, et il a bien fallu s’y mettre, par petites doses, tous les matins. La raison de ma satisfaction, c’est qu’Elli est un platformer pour « enfants et grands enfants » – dixit le presskit – , et que c’est très bien qu’il en existe. Ce qui m’a fait un peu me demander ce qui faisait un bon jeu pour gosses – et si ceux de mon enfance en étaient vraiment.
Bien qu’ayant grandi dans les années 90 et 2000, je suis passé à côté de bon nombre de titres cultes de cette période, ceux auxquels mes copains et copines jouaient, principalement par manque de machines et de sous, mais pas mal aussi par manque d’affinité avec certains genres (étant possesseur d’une Game Boy Advance, rien n’aurait empêché par exemple, de me mettre à Golden Sun ou Advance Wars, comme tout le monde dans la cour de récré à cette époque-là). Mais non, mon truc, dès mon plus jeune âge, ce fut les platformers – je vous vois, je devine votre surprise immense – et les jeux avec lesquels j’ai grandi ne sont autres que Rayman, Kirby, DuckTales, Super Mario, Tintin et le Temple du Soleil, le tout premier Prince of Persia – oui oui, celui de 1989, que mon papa lançait depuis une disquette -, Aladdin – encore des disquettes – ou un peu plus tard, Les Sables du Temps. Et si vous avez touché ne serait-ce qu’à un seul de ces trucs – récemment ou enfant/ado – vous vous rappelez probablement qu’ils étaient particulièrement vénères, au même titre d’ailleurs que tant d’autres platformers de la même période. Les gens qui ont joué à Crash Bandicoot savent de quoi je parle.
Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans doivent émuler
Et si vous avez grandi avec ces titres, vous saurez également que tout ce petit monde était estampillé « pour gosses ». Tintin, Picsou, Aladdin ou Astérix pour les raisons évidentes que ceux-ci étaient adaptés de séries, films ou bandes-dessinées également adressées à un public sinon jeune, assez familial ; Rayman, Kirby ou Mario pour leurs univers colorés et esthétiques enfantines – ce qui n’empêchait bien évidemment pas un public plus âgé de s’y retrouver également. Les finances familiales étant ce qu’elles étaient, la politique de la maison encourageait très largement le ponçage d’un jeu avant de pouvoir en acheter un nouveau, ce qui a nécessité au mieux une sacrée persévérance – souvent avec l’aide des parents pour passer certains niveaux – au pire le mensonge et l’abandon. Malgré la façon dont ils étaient marketés, étaient-ils vraiment des bons jeux pour enfants ? Honnêtement, pas tous.
À l’exception de quelques monstres de difficulté absurde – gnnnnnn Wario Land 3, jamais pu le terminer – les titres Nintendo s’en sortaient pas mal, j’ai certes sérieusement galéré sur certains Mario ou Kirby, mais rien d’insurmontable in fine, de même pour le Rayman d’Ubisoft. Mais au-delà de leurs esthétique et univers, ces titres se démarquaient surtout sur deux aspects : la simplicité de leur gameplay, souvent réduit à pas plus de deux ou trois actions et une difficulté – bien qu’élevée – souvent juste. Juste de par leurs hitboxes un peu permissives, leur physique suffisamment rigoureuse pour que, du haut de mes dix ans et quelques, je puisse comprendre que la défaite venait de mes erreurs et non du jeu et de game overs assez peu punitifs – pour peu que l’on ne soit pas trop adeptes du scoring, que j’ai très vite appris à ignorer. On ne va pas se mentir, j’ai aussi subi un paquet de jeux bien moins réussis, à base de contrôles approximatifs ou absurdes, d’angles de vue fumés, de difficultés absurdes et démesurées, le tout emballé dans l’apparence rassurante de mes films et animés favoris. Je regarde dans ta direction, Les Looney Tunes passent à l’action sur Game Boy Advance. Cela dit, c’est aussi des trucs comme ça qui mènent à streamer The End is Nigh sur la chaîne de TPP quinze ans plus tard.
Ellipse Narrative
Bon hé, et Elli alors, c’est une critique de jeu vidéo ici ou un Skyblog ? La couleur globale du texte et l’utilisation modérée de majuscules auraient pu te mettre sur la bonne voie désagréable internaute, mais l’interrogation reste pertinente et j’y viens. À Elli, pas au Skyblog. Durant toute ma partie sur le titre de BandanaKid Games, je n’ai jamais pu m’empêcher de faire des comparaisons avec tous les jeux précédemment cités – et bien d’autres – et la conclusion était toujours la même : le studio y a joué, à ces jeux pour gosses, et les développeurs ont parfaitement compris et synthétisé ce qui y fonctionnait et fonctionnait moins. Et si l’esthétique, l’écriture, le scénario et les personnages renvoient vers un univers relativement enfantin – avec ses décors cartoonesques et colorés, ses bruitages amusants et mignons et son scénario sur la passation de savoir et pouvoir des anciens aux plus jeunes – le gameplay s’adresse autant aux enfants qu’aux parfaits néophytes du genre, se posant comme une parfaite porte d’entrée dans le genre du platformer.
Au moment du test, Elli n’était pas encore sorti et manquait cruellement de polish : cuts étranges au lancement des cinématiques, bouts de ficelles encore apparents, pistes audio qui se font la malle ; rien de bien méchant – et qui sera (je l’espère) corrigé pour la sortie officielle – puisque que ces soucis techniques ne sont que d’ordre purement plastique et surtout que le titre s’avère irréprochable dans ses mécaniques et sa physique. Elli, c’est un condensé de tout ce qu’il faut faire dans un platformer pour que celui-ci soit accessible aux plus jeunes et aux plus inexpérimenté·es du genre – mais malheureusement pas à tout le monde, puisqu’en 2020 on continue de proposer des énigmes basées sur des couleurs proches, sans les associer à des formes différentes.
Qu’est-ce que c’est, donc, un platformer accueillant ? C’est un jeu simple – attention, pas simpliste – dans son gameplay et dans les boutons à utiliser. Dans Elli, on parle de trois actions différentes : sauter, utiliser son bâton magique et attraper/lancer des objets. Tout l’enjeu de ce genre de titre, c’est de pouvoir composer avec une configuration de base très épurée – ici quatre boutons, aucune combinaison de type LT+RB+A puis X – et d’apporter la variété non pas dans les actions possibles, mais dans la façon d’interagir avec le décor. C’est ce que fait très bien Elli, en proposant des énigmes basées sur une sorte de Simon, diverses variations de plateforme en ajoutant de nouvelles règles sur les objets que l’on peut porter et leurs comportements, des jeux de lumière et de caméra – fixe, et la plupart du temps, assez bien placée – des plateformes invisibles à dévoiler, un labyrinthe étonnamment très bien fichu, bref, vous avez saisi l’idée. Elli change très fréquemment de règles, d’environnements et de style, tantôt orienté plateforme pure aux chemins remplis de pièges, de trous et d’interrupteurs, tantôt rapidité, avec des mécanismes à rebours et portes qui se referment, recherche d’objets, énigmes : jamais rien d’original, mais toujours très bien exécuté.
C’est le deuxième point important pour qu’un platformer soit accessible, c’est une physique précise et juste. Dans Elli, quand on saute sur une plateforme, on sait précisément où l’on va atterrir et surtout, on sait qu’il n’y aura pas d’inertie imprévisible ou de glissade qui nous expédiera dans un trou. C’est très banal dit comme ça, mais pour avoir touché à un nombre incalculable de platformers 2D et 3D, cet aspect n’est clairement pas acquis pour tout le monde et sans cette base, les idées qui suivent pourront être excellentes, le jeu aura toujours de grandes chances d’être tout raté et exaspérant. Mais les bases d’Elli sont solides, donc. Par dessus ces bases, BandanaKid Games a su empiler les bonnes idées pour que l’expérience soit la plus confortable et la moins frustrante possible. Checkpoints très fréquents, régénération de la vie à intervalles très réguliers, niveaux courts et au level design clair : la mort est très peu punitive, jamais injuste et l’on ne tourne jamais en rond dans une zone. Hormis un dernier acte un peu en-dessous avec l’ajout d’une mécanique qui tombe comme un cheveu dans la soupe, Elli parvient à tenir l’équilibre entre un jeu et des mécaniques simples, un challenge tout de même acceptable, une quasi-absence de frustration, une sensation de progression fluide et l’impression de ne jamais être pris pour un nul ou un idiot. Simple, mais pas simpliste, disais-je.
Elli a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur Nintendo Switch.
Avec son absence d’originalité dans ses mécaniques et sa structure et sa difficulté plutôt légère, Elli s’adresse surtout à un public jeune et/ou inexpérimenté en jeux de plateformes. Bien qu’ayant passé un moment très agréable dessus – je ne vois sincèrement pas comment il pourrait en être autrement, tant il est bienveillant avec le joueur – j’ai vite compris que je n’étais pas le public visé par Elli, avec mes centaines d’heures passées sur des platformers plus ou moins masocores, mais ceci est loin d’être une critique. Au contraire, il est plaisant de savoir que ce type de jeux existe et, qui sait, pourrait permettre au mieux à de jeunes joueurs ou réfractaires au genre d’y entrer par une porte accueillante, au pire de prendre du plaisir sur au moins un seul platformer. Ce qui serait déjà très bien.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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