Jeu d’infiltration à hauteur d’enfant sur fond de western kitsch, El Hijo est la troisième production du studio allemand Honig, qui s’était jusque-là distingué pour des adaptations d’albums jeunesses et des mini-jeux pour tablette et smartphone. Leurs points communs : ces programmes sont superbes, et toujours bienveillants.
Le saviez-vous ? Bien que le terme « western spaghetti » soit souvent appliqué de manière un peu sommaire à tous les films de Far West réalisés en Italie, cette appellation désignait à l’origine davantage tout western produit en Europe, englobant des propositions venues de France, d’Espagne ou encore de Suède. Au-delà du rideau de fer ont même été produits des « Osterns », leurs équivalents soviétiques. Dans cette production foisonnante, aux thématiques bien souvent plus sociales et plus humanistes (et parfois également plus tournés vers les joies de la série Z) que les westerns américains, l’Allemagne ne fut pas en reste, produisant au moins une quarantaine de films situés dans les grandes plaines de l’Ouest sauvage, particulièrement dans les années 60. El Hijo est en quelque sorte l’héritier de ce terroir méconnu, en proposant une aventure pleine de passion et de justice, à travers les yeux d’un enfant espiègle parti se venger de bandits cruels et sauver des enfants des griffes d’adultes sans scrupules.
Petit, malin, et armé d’un sombrero magique
El Hijo, littéralement « le fils », vit seul avec sa mère dans une ferme quelque part à proximité de la frontière mexicaine. Un beau jour, une bande de bandits sans foi ni loi pillent et incendient la propriété. Pour protéger son rejeton, maman le dépose dans un monastère local, avant de partir dans une quête de justice. Mais ce n’est (presque) pas elle que nous allons incarner, puisque El Hijo nous met aux commandes du petit bonhomme, armé d’une simple fronde, qui découvrira bien vite que les moines utilisent leurs pensionnaires orphelins comme une main d’œuvre un peu trop corvéable.
Le fils n’aura alors plus qu’un but : libérer tous les enfants du joug des adultes qui en font une force de travail servile, et retrouver sa maman. Au cours de l’aventure d’El Hijo, on traverse consécutivement un monastère, des jardins, des étendues désertiques, un camp de bandits et une ville en pleine effervescence, des décors on ne peut plus classiques des clichés du western, mais ici déroulés avec soin pour raconter une histoire à hauteur d’enfant, où le petit bonhomme n’aura de cesse de se cacher, de jouer des tours et de déployer des trésors d’inventivité pour avancer.
Dans El Hijo, pas de combats, à vrai dire, pas de conflits du tout : vous avez moins de dix ans et vous devez échapper à la vigilance de moines patibulaires et de bandits armés, il n’est donc pas question de les terrasser par paquets de douze, mais bien d’échapper à leur vigilance pour traverser chaque niveau de bout en bout sans se faire capturer. Chaque niveau pouvant être traversé de deux manières différentes : en ligne droite, ou en prenant contact avec tous les enfants esclaves d’un même niveau, pour les « inspirer » (les pousser à cesser le travail).
Loin d’être un simple jeu de cache-cache, El Hijo vous livrera petit à petit toute une panoplie d’objets évoquant le monde de l’enfance (des jouets, des feux d’artifice, un lance-pierre…), dont le seul but sera de distraire les adultes pour pouvoir vous frayer un chemin. La manière dont le jeu déroule son gameplay en introduisant quasiment jusqu’à la fin une idée par niveau est à ce titre exemplaire. On regrettera cependant quelques facilités, à l’image d’un sombrero servant de camouflage façon « boîte en carton de Metal Gear » qui est un gadget un peu magique qui simplifie un peu trop les énigmes, ou quelques niveaux faisant varier le gameplay qui ne servent pas à grand-chose. Oui, à l’image de tout être humain adulte fonctionnel, je déteste les chariots de mine dans les jeux vidéo.
Un jeu (un peu trop) simple à maîtriser
Là où El Hijo est quasiment exemplaire, c’est dans cette approche d’un gameplay qui se dévoile tout en douceur, et qui n’atteint jamais la masse critique de fonctionnalités qui le rendraient confus. Tout est très simple et très visuel dans le jeu, et chaque objet n’a qu’une seule fonction précise, et une seule touche assignée, permettant cependant de créer assez souvent plusieurs approches à un même problème : souvent, briser une lampe, créer un nuage de poussière ou créer une diversion avec un jouet sont autant de solutions possibles à une situation donnée.
À ce titre, El Hijo me semble être un jeu parfait pour entrer en douceur dans le monde des jeux d’infiltration : quatre ou cinq commandes simples à comprendre, un level design très simple, et une courbe de difficulté qui monte vraiment très lentement. Il me semble même qu’il s’agit d’un rare cas de jeu du genre qui peut aisément se faire en coopération avec un enfant assez jeune, la direction artistique cartoon et la narration muette étant d’autres points forts qui rendent le jeu pleinement accessible.
On regrettera cependant deux points : d’une part, cette simplicité d’approche se traduit dans la dernière partie du jeu par un manque de challenge assez évident : une fois tous les gadgets et compétences en main du protagoniste, El Hijo devient vraiment trop simple, y compris quand on cherche à compléter la libération de chaque enfant du niveau. D’autre part, les quelques dernières heures de jeu ont été pour ma part parsemées de bugs et de petites approximations de game design, laissant penser que la fin du jeu a été développée de manière moins complète et un peu plus rushée que le début. Rien qu’un patch ne puisse pas corriger, mais il reste éminemment frustrant de se retrouver coincé à l’intérieur d’une poutre buguée après dix minutes à arpenter un niveau (sachant qu’il n’y a dans les niveaux que des sauvegardes temporaires : un plantage vous renverra au début).
Une expérience bienveillante
Ce que je retiendrai cependant de mes dix heures nécessaires à terminer le jeu, c’est qu’El Hijo est une tentative réussie de jeu au message profondément bienveillant. À chaque fois que vous « inspirez » un enfant, celui-ci cesse ses activités d’esclave pour redevenir un simple gamin qui se cache pour jouer, dessiner, faire des farces, ou simplement se reposer. Le joueur est ainsi poussé à explorer le jeu pour faire cesser la souffrance causée par des adultes esclavagistes eux-mêmes dépeints comme veules, fainéants, cyniques (on y voit l’Église, les bandits et l’armée s’y adonner au trafic d’êtres humains en pleine collaboration) et violents.
Le jeu pousse sans cesse à trouver des solutions non-violentes à des problèmes violents, et ses derniers niveaux sont une métaphore de l’entraide et de la coopération, les niveaux ne pouvant plus être traversés sans libérer les orphelins (c’est facultatif dans les premiers niveaux), qui coopèrent avec le joueur pour pousser des échelles ou créer de nouveaux passages. Cette mécanique simple et cet éloge de la coopération face à des adultes travaillant pour l’essentiel en solitaire et usant et abusant de la brutalité armée est un message clair : laissez les enfants être des enfants, ou les enfants s’en chargeront eux-mêmes. À cet égard, l’épilogue du jeu, que je me garderai bien de spoiler, est un puissant message d’optimisme et de résistance à l’oppression. Il me restera longtemps en tête comme un des plus beaux rayons de soleil vidéoludiques de 2020.
El Hijo a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Sans jamais révolutionner le genre du jeu d’infiltration, El Hijo livre une expérience vraiment maîtrisée et adorable, au message joyeux et bienveillant. Jamais à court d’idées, il livre une histoire simple et redoutable d’efficacité, et prouve à tout moment qu’il y a une voie moins étroite qu’on le dit souvent pour du jeu vidéo non-violent, y compris dans des contextes et des types d’univers qui ne semble pas s’y prêter. Une sorte de Desperados III à hauteur d’enfant, où des feux d’artifice et de simples fleurs de cactus suffisent à rendre justice face à une bande d’adultes cruels et sans honneur. Et si le jeu n’est pas exempt de défauts et de problèmes de finition, sa générosité suffit sans peine à les faire oublier.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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