Quasiment depuis que la technologie le permet, les développeurs de jeux vidéo ont choisi de détourner le golf pour en faire un peu n’importe quoi d’autre qu’un sport ennuyeux pour riches pédants du Rotary Club et présidents dégénérés de pays en crise. Tour d’horizon d’une vingtaine de jeux de golf plus ou moins stupides ayant marqué l’histoire ou ne demandant qu’à le faire, pour toi lecteur du Pixel Post.
J’ai mis plusieurs semaines à organiser mon corpus. Il faut dire que le nombre de jeux concernés est beaucoup plus important que prévu, et que depuis début 2020, le nombre de jeux de golf idiots n’a cessé de croître. J’ai fini par classer mes types de jeux de golf stupides en trois catégories organisées par un conseil scientifique composé de moi-même et des araignées qui ont élu domicile chez moi depuis le confinement : ceux qui restent des jeux de golf mais qui ont un habillage un peu con, ceux qui détournent les règles du golf pour rendre la discipline amusante, et ceux qui ne sont pas vraiment des jeux de golf et qui n’essayent même pas vraiment de faire semblant.
Quand le golf met son nez de clown
C’est peut-être les moins intéressants du lot au regard de nos recherches : ces jeux partent du principe que le golf, c’est chiant, mais que c’est quand même très important de faire des jeux de golf. D’une certaine manière, ils s’efforcent de simuler le golf dans des habits rigolos. Ici, pas de vieux CEO japonais et de restaurant ennuyeux où tout le monde porte du blanc : Mario, des robots, des pin-ups et un peu n’importe quoi envahissent les terrains. Je les diviserai en deux sous-catégories : ceux qui essayent d’être « sympas » et ceux qui essayent d’être « délirants ». Les premiers sont souvent de meilleur goût.
C’est par exemple le cas de la série Mario Golf. Dès 1984, Nintendo cherche à développer un jeu de golf en y plaçant ses personnages. Le très sobre Golf ouvre la marche en 1986, et sera suivi d’une demi-douzaine de jeux de moins en moins sérieux à mesure que le bestiaire et la galerie de personnages du Marioverse se développe. Toute proportion gardée, ces jeux restent cependant assez sérieux, avec un enrobage familial et rassurant, témoins de la passion japonaise pour ce sport. Cependant, c’est dans une certaine confidentialité que la série s’achève (pour le moment du moins) sur 3DS en 2014.
Un peu dans le même registre, la série des Minna no Golf (Everybody’s Golf) fait les beaux jours des machines Sony depuis 1997. Ici, le moteur physique et les règles du golf sont globalement respectés, mais l’emballage joue à fond sur les polices de caractères rigolotes, les postures et les danses de personnages de cartoon, et un emballage qui essaye à toute force de mettre du fun et du kawaï dans des actions qui ne le sont que modérément. On retrouve une sorte d’héritier graphique dans le MMO sportif PangYa, un jeu coréen sorti en 2004 assez mal distribué en France (il fut un temps un des produits phares de GOA, la plateforme de jeu en ligne de France Télécom, si vous avez compris cette phrase, vous êtes vieux). PangYa, sous diverses formes, via divers éditeurs et non sans éviter certains scandales liés à des micropaiements frauduleux, finira sa vie sur une version mobile, fermée il y a quelques semaines, en février 2020. La série des Minna no Golf se porte elle beaucoup mieux, puisqu’un épisode VR a même vu le jour en 2019 sur PS4.
De l’autre côté du spectre, on trouve donc des jeux qui, bien que restant des jeux de golf, poussent les potards du n’importe quoi à 200%. 100ft Robot Golf est de ceux-là. S’il joue un peu sur la physique pour varier un peu le gameplay, ce jeu de gros robots qui golfent entre des immeubles n’est pas si innovant que ça. Pire, beaucoup de joueurs déplorent un moteur physique et un gameplay à la fois pas très carrés et pas très innovants, à l’image de Bolf, qui remplace la balle par une boule de bowling… En lui donnant exactement la même physique qu’une balle de golf. Mais c’est toujours mieux qu’Outlaw Golf, un jeu semi-obscur sorti sur console en 2002, avec un mauvais goût très Californie du début de siècle : ici, pin-ups, yuppies cocaïnés et rednecks s’affrontent sur des terrains relativement réalistes, entrecoupés de QTE de baston et d’humour extrêmement gras. Côté réalité, on peut signaler l’existence d’Everyday Golf VR, un jeu pas du tout rigolo, mais qui mise beaucoup sa communication sur le fait que vous allez avoir l’air d’un parfait crétin à gesticuler dans votre salon.
Quand le golf devient un sport extrême
Voilà, maintenant que les jeux avec une vague prétention à la dignité sont évacués, abordons le cœur du sujet avec des jeux de golf qui prennent ce sport comme une expérience légèrement plus extrême qu’il ne l’est dans la réalité.
Histoire de commencer par une valeur sûre : avant de commencer par le Maxi Golf, vous pouvez commencer par la version Mini, avec Golf With Your Friends, un simulateur de minigolf en multijoueur qui tient presque autant de Mario Kart que d’un simulateur de Tiger Woods. Resté en accès anticipé pendant fort longtemps, Golf With Your Friends a enchaîné les critiques très élogieuses pendant des années avant de sortir en mai dernier en version complète. Golf It!, en early access depuis 2017, fait sensiblement la même chose en mettant le paquet sur un outil de création de parcours assez abouti et une physique plus travaillée… A ceci près que le jeu ne semble plus du tout mis à jour, et que nous n’avons trouvé aucune trace de Perfuse Entertainment depuis au moins deux ans sur Internet. Golf It! semble donc condamné à n’avoir jamais de version définitive, au contraire de l‘Infinite Minigolf de Zen Studio, moins abouti et aux graphismes fluo un peu irritants, mais qui est lui sorti en version complète et stable.
Ces jeux n’auraient probablement pas existé sans le sillon laissé par les traces de l’étrange Dangerous Golf, sorti en 2016. Pas d’expérience multijoueur ici, mais un concept relativement similaire : utiliser le principe du golf (mettre une balle dans un trou avec un bâton), mais mélanger les mécaniques avec un autre jeu, en l’occurrence les simulateurs d’accident à la Burnout. Dangerous Golf fait plus que s’inspirer de Burnout, puisqu’il en reprend tous les gimmicks (explosions, commentateur énervant, système de score, etc.). S’il est toujours question de finir par faire rentrer la balle à la fin, Dangerous Golf vous propose surtout de le faire dans des environnements étriqués (cuisines, salles à manger, galeries d’art…) et d’utiliser un astucieux système de rebonds, de balle enflammée et d’explosions diverses pour faire exploser un maximum de choses avant de mettre la balle au fond. Le principe est assez amusant, même si on peut déplorer que le jeu soit surtout une blague pas très aboutie techniquement : les temps de chargement sont longs, les environnements répétitifs, et le gameplay pas très précis.
Mais rendre les parcours plus tordus et plus explosifs ou utiliser le golfeur pour casser des assiettes n’était pas la seule voie possible pour épicer le golf : il y avait aussi celle de faire vivre au sportif du dimanche une expérience narrative inédite. C’est le choix de l’incroyable Golf Story, une exclu Switch de 2017 qui vous propose pas moins qu’un simili JRPG où vous incarnez un jeune garçon bien décidé à devenir le roi du golf pour accomplir une promesse faite à son père, et qui va aller de terrain de golf en terrain de golf pour gagner des compétitions en luttant contre sa rivale. Un esprit très comique, une histoire étrangement solide et un gameplay au poil qui vous entraînera avec une vibe très Shonen dans des terrains de golf hantés, peuplés de dinosaures ou perchés sur des falaises mortelles. Ce qui fait de Golf Story un titre marquant, c’est que par ailleurs, son gameplay tenait parfaitement la route. Sa suite, Sport Story, devrait par ailleurs voir le jour en fin d’année. On peut voir dans les très très lointains ancêtres de cet étrange projet le bizarroïde Ninja Golf (1990), où des ninjas rivalisaient d’adresse pour faire le put parfait, tout en se déplaçant entre les serpents, obstacles et… les autres ninjas qui menaçaient de les assassiner pendant leurs déplacements sur le terrain.
Plus bizarre encore, nous allons clôturer cette catégorie golf de l’extrême par la mention d’Aqua Teen Hunger Force Zombie Ninja Pro-Am, qui adaptait en 2007 une obscure série télévisée pour mettre en scène les aventures au golf d’une poubelle et d’un cornet de frites (je n’invente rien). Au programme, un jeu effroyablement naze mélangeant (très vaguement) un authentique jeu de golf absolument inconséquent avec un beat them all grotesque et injouable. Mais c’est un des rares jeux vidéo où vous incarnez une poubelle et des frites, ça doit bien compter pour quelque chose.
Quand le golf n’est pas vraiment du golf
Voilà pour les jeux qui poussaient les potards du golf un peu trop loin. Et puis il y a… Vous savez. Les autres. Ceux qui ont un rapport lointain, mais alors vraiment très lointain avec la pratique du golf telle qu’on la connaît sur notre planète. Ceux qui, à un moment précis de leur développement, se sont juste dit « hey, pourquoi on rajouterait pas du golf là-dessus ? », et ce parfois en dépit du bon sens ? Pas toujours de mauvais jeux, mais souvent si éloignés du concept même de pratique du golf qu’ils forment une catégorie bien à part.
Kirby’s Dream Course, sorti en 1994 sur Super Nintendo, est incontestablement de ceux-là, hommage vibrant au fait que le golf constitue un des grands sports nationaux du Japon. Projet d’HAL Laboratory de jeu de mini golf avec des objets munis d’yeux globuleux bizarres en guise de personnages, il a été décidé à mi-parcours d’y ajouter un skin Kirby. En résulte un jeu étrange, entre Sonic 3D, un puzzle game et une sorte de Q-Bert cocaïné auquel on aurait adjoint des pouvoirs bizarres. Pas un mauvais jeu à proprement parler, Kirby’s Dream Course est surtout difficilement jouable aujourd’hui, et entretient des rapports aussi distants avec Kirby qu’avec le golf. A noter que le jeu d’origine, Special Tee Shot, a fini par sortir sur Satellaview, l’extension satellitaire de la Super Nintendo et il avait l’air encore moins bien. Autre jeu à licence, autre ambiance : Acclaim fit développer en 1993 par les australiens de Beam Software le jeu Itchy & Scratchy in Miniature Golf Madness. La planète était alors en pleine Simpsonmania, aussi, quoi de plus naturel que de mettre en scène les personnages gores et bouffons d’Itchy la souris et Scratchy le chat… dans un puzzle platformer Gameboy incluant de vagues éléments de golf. Loin d’être un chef d’oeuvre, Itchy & Scratchy in Miniature Golf Madness est un parfait reflet de cette période du début des années 90, riche en jeux à licence produits à la chaîne pour écouler rapidement des cartouches, médiocres sans être honteux .
Sans licence forte mais pas moins bizarre, le Zany Golf d’Electronic Arts en 1988 atterrit lui aussi dans cette catégorie des jeux de non-golf : avec son gameplay bizarre à la souris, sa vue isométrique qui ne fonctionne jamais et ses niveaux mélangeant allégrement labyrinthes et flipper, le joueur a l’impression d’être sans arrêt baladé d’un hémisphère à l’autre du cerveau des développeurs. Zany Golf est néanmoins un petit succès qui lui vaudra un grand nombre de portages, dont une injouable version Megadrive en 1990. Par ailleurs, si le choix de la 3D iso est déjà bizarre pour un jeu de golf, que dire de Party Golf qui, en 2015, passe carrément à la 2D. Plus proche de Worms ou d’un jeu de course que d’un jeu de golf, Party Golf vous propose de placer jusqu’à huit balles dans un tableau à scrolling horizontal, chaque joueur ayant l’objectif de toucher le drapeau avant les autres. Amusant mais confus, Party Golf n’a pas rencontré un grand succès. (et puisqu’on parle de Worms, notons que les vers de guerre ont eu eux aussi droit à leur mauvais jeu du genre)
D’apparence plus classique, Vertiginous Golf a cependant encore moins d’intérêt : sa promesse de faire du golf sur des plate-formes suspendues « de dystopie steampunk » cède vite la place à l’un des plus gros n’importe quoi de toute cette sélection. Explosions, pluie, oiseaux, divers modes de visée, jetpack… On n’y comprend pas grand-chose, ce n’est pas spécialement amusant, et le jeu a une fâcheuse tendance à planter toutes les dix minutes. Quitte à aller dans le n’importe quoi, autant le faire bien, et c’est exactement ce qu’a livré le formidable What The Golf ? de Triband en septembre 2019. Sous-titré « pour les gens qui détestent le golf », ce titre que nous avions déjà évoqué vous propose de faire… tout sauf du golf. Envoyer un golfeur dans une cage de foot, une balle de golf sur un oiseau, des voitures dans des moulins de mini golf : ici tout a un rapport très très lointain avec le sport favori des boomers.
Trop de trous sur le terrain
Je pourrais continuer longtemps comme ça. Je n’ai même pas encore commencé à aborder la question des simulateurs économiques comme le très sage Sim Golf réalisé par Maxis et édité par EA en 2002 ou le beaucoup plus bizarre Golftopia qui sort dans quelques jours et qui mélange le management de terrain de golf avec du Tower Defense, parce que pourquoi pas. Mais ce que je souhaite pointer, c’est que ce dossier a été d’autant plus long à écrire que plus j’ai creusé le sujet, et plus je me suis rendu compte d’à quel point le simulateur de golf bizarre était un genre en vogue, beaucoup plus que ce que j’avais anticipé.
De quelques titres par an, le genre de la parodie ou du détournement de golf propose désormais des dizaines de variations annuelles : dans des dioramas, dans de la géométrie abstraite, en faisant de l’escalade, avec un frisbee, avec des chiens, avec des bombes à la place des clubs, sur du papier ou sur Mars, il semble que le nombre de jeux qui s’amusent avec le golf soient désormais infiniment plus nombreux que les jeux qui simulent ce sport « pour de vrai ». Plus qu’un simple effet de mode ou le simple résultat de l’augmentation infinie du nombre de jeux paraissant chaque jour, il me semble que le jeu de golf est un allié naturel du jeu indépendant.
« Lancer un truc dans un autre truc avec un bâton » : difficile de faire plus simple, et plus transposable sous forme ludique. Facile à imaginer en jeu coopératif, bon exercice concernant la physique de différents moteurs de jeux, règles simples faciles à détourner, le jeu de golf se prête particulièrement bien à de petites expériences faciles à moduler, d’autant qu’il s’agit d’un sport largement connu mais peu pratiqué autour duquel ne flotte aucune aura sacrée (désolé Donald Trump et les CEO d’entreprises ennuyeuses au Japon) : tout est réuni pour que la démocratisation des outils de création de jeux ait poussé depuis 5 ans de jeunes créateurices et de jeunes sociétés à expérimenter sur ce terrain, au risque de saturer.
Le principal problème de toutes ces expériences récentes est qu’elles sont, pour une bonne partie, assez médiocres, voire carrément nulles. A l’exception des stars de la discipline que sont les Golf Story, Dangerous Golf ou What the Golf, la plupart des jeux du genre sortis depuis 3 ans détournant les codes du golf ne sont pas à la hauteur de leurs promesses, peinent à sortir d’Early Access, ou tombent dans un oubli immédiat. Pire : de plus en plus d’entre eux commencent à tenir du clonage d’autres concepts, à l’image du très opportuniste RPGolf, décalque éhonté de Golf Story. L’enjeu des prochaines fournées de jeux de golf farfelus sera donc à mon sens d’abandonner cette production chaotique et anecdotique pour livrer des jeux plus solides, plus aboutis, et ne misant pas uniquement sur l’effet rigolo que peuvent avoir les trailers de lancement sur YouTube. N’est pas What The Golf qui veut, et ils sont désormais trop nombreux à essayer.
Sport adapté sous des formes plus ou moins baroques dès les premières années du jeu vidéo, le golf a néanmoins vu un énorme regain de popularité vidéoludique ces dernières années, nous permettant de faire du golf bizarre à peu près partout, sauf sur un terrain de golf normal. L’effet de saturation et d’opportunité, porté par cette frange étrange du gaming que sont « les YouTubeurs qui crient en jouant à des jeux bizarres » ne doit pas faire oublier qu’au-delà de la simple blague, la discipline du jeu de golf stupide a produit en moins de dix ans une série d’excellents titres dans pas mal de sous-genres différents, allant de la course au RPG en passant par le jeu en coop locale. On attend la relève avec impatience.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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