Premier jeu de The Moon Pirates, studio bordelais créé en 2020, Don’t Forget Me est décrit comme un jeu cyberpunk et surtout « jazz-punk », inspiré par Her Story pour le gameplay et The Red Strings Club pour l’ambiance. Des modèles prestigieux pour un jeu initialement parti d’un simple prototype créé sur le temps libre de l’un des fondateurs du studio et qui a réussi à convaincre la petite équipe qui l’a rejoint pour en faire un jeu à part entière. A voir si le charme opère aussi avec cette version finale.
J’essaie de plus en plus de ne pas céder aux sirènes de chaque jeu cyberpunk en pixel art qui me tend les bras. Mais clairement je n’y arrive pas très bien puisque me voici en train de vous parler de Don’t Forget Me, qui est totalement un jeu cyberpunk en pixel art. Cependant, ce n’est pas tant l’histoire cette fois qui m’a attirée que le gameplay, basé sur des mots-clés à rentrer pour enquêter sur une conspiration mondiale. Mais toutes les bonnes idées ne sont pas toujours bien réalisées.
Un gameplay intéressant trop rapidement mis de côté
Notre personnage, Fran, se retrouve un jour à la porte d’une clinique mémorielle devant laquelle elle s’évanouit. Elle est prise en charge par le dirigeant de la clinique, Bernard, qui se rend compte que sa puce mémorielle, dont tous les gens sont équipés afin d’enregistrer chaque instant de leur vie, est vide. Fran est donc amnésique et décide de rester avec Bernard afin de l’épauler dans son travail, qui consiste à copier les souvenirs des gens. Une activité illégale, alors même qu’elle ne possède qu’une utilité limitée pour le moment puisque que les gens ne peuvent pas accéder à ces copies, uniquement les conserver dans l’espoir qu’une technologie existe dans le futur pour enfin pouvoir les lire. Ce qui n’empêche pas les patients de se presser à la clinique, au point d’attirer le regard des Oubliés, des opposants au gouvernement, qui vont essayer de recruter Fran et Bernard dans leurs rangs afin d’empêcher l’avènement du nouveau projet gouvernemental pour la puce, qui pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour le futur.
Si la copie des souvenirs de la plupart des patients se fait sans encombre, certains d’entre eux possèdent une sécurité supplémentaire qui nécessite l’intervention de Fran et par conséquent, la nôtre. Pour ce faire, il s’agira de rentrer des mots-clés en rapport avec la raison de la venue du patient et son état mental, afin de débloquer des bulles mémorielles et faire des liens logiques jusqu’à arriver à la bulle finale qui permet de copier ses souvenirs. Plusieurs voies existent pour arriver à notre résultat, et nous avons le choix de soit n’en choisir qu’une, soit de toutes les explorer afin de récolter des informations supplémentaires, qui pourront influencer nos choix futurs.
Une très bonne idée de gameplay, parfaitement dans le thème du jeu et qui nous réserve même des surprises, avec des secrets dissimulés ici et là. Malheureusement, le plaisir sera de courte durée puisque le titre décide de partir rapidement dans une autre direction avec l’ajout sur le fauteuil d’un système permettant de visiter physiquement les souvenirs des patients, qui transforme le jeu en point & click ordinaire et mollasson. Très dommage, surtout quand le système de base était une grosse partie de l’attrait de Don’t Forget Me, qui lui permettait de se différencier des autres titres du genre. Au final, on se retrouve avec deux façons de jouer qui ne sont jamais complètement exploitées au vu de la durée du titre, 3h30 pour moi en testant quasiment toutes les possibilités, ce qui nous laisse sur notre faim. Autre gros point noir : une version française franchement bof, ce qui est surprenant vu l’origine du studio, bourrée de fautes jusque dans les succès Steam.
Un manque de convictions
Don’t Forget Me reprend les thèmes classiques du cyberpunk : une multinationale qui se substitue à l’Etat, des améliorations technologiques qui modifient profondément la société et le comportement humain (ici la puce, qui permet de se rappeler précisément du passé), le renégat seul contre tous… Tous les clichés du genre seront présents dans ce scénario assez prévisible mais tout ça sans jamais vraiment oser être radical dans ses convictions, présentant un cyberpunk mou ne sachant pas comment se positionner. Le choix d’un personnage amnésique, qui reste assez illogique au niveau de l’univers présenté, pourrait permettre au joueur de se projeter et d’affirmer ses propres idées mais le choix n’étant qu’une illusion, au vu des dialogues qui restent globalement les mêmes et des différentes fins dont les conséquences ne sont jamais explicitées, le joueur se retrouve dans la même position que Fran, ballotée au milieu de personnages ayant chacun des idées très arrêtées qu’ils lui imposent à chaque instant.
On passe de Bernard, qui est resté dans un non-activisme confortable pendant des années, attendant d’être cherché pour commencer à agir et qui a commis l’irréparable dans une démarche quasi-complotiste alors même qu’il est en partie la source du problème, à Pear, consciente de la dérive du projet initial mais qui continue de travailler sur des technologies dangereuses pouvant être utilisées à mauvais escient, en passant par Ederel, membre des Oubliés convaincu mais lâche, n’allant jamais jusqu’au bout de sa démarche et faisant la promotion d’une technologie allant à l’encontre de ses combats. Des personnages plein de contradictions qui auraient mérité d’être développés sans que leurs torts soient balayés sous la porte sous prétexte qu’ils sont du bon côté du combat. Et tout ça sans oublier évidemment notre grand méchant, PDG d’une grande corporation mais qui agit selon ses croyances et non dans une démarche d’enrichissement personnel, ce qui permet d’éviter une discussion pourtant bien nécessaire sur le capitalisme.
L’absence d’une remise en cause de l’utilisation de la technologie de façon capitaliste met le titre dans une position presque réac, Bernard étant un farouche opposant à toute forme de progrès, façon « c’était mieux avant », jusque dans ses goûts en musique où seul le jazz est considéré (ce qui nous donne une BO plutôt chouette, c’est déjà ça) et ses choix de bars, très traditionnels. Si une minuscule remise en cause de ces positions existe dans le jeu, avec notre personnage qui fera remarquer à son acolyte que le problème n’est pas tant la technologie en elle-même que l’usage qui en est fait, elle est vite balayée et notre ami passéiste reste présenté comme un héros qui avait raison depuis le début. Et je ne suis même pas convaincue au final que c’était réellement ce que The Moon Pirates a voulu nous faire comprendre mais le jeu ne se laisse jamais le temps de développer ses différents propos tout en nous empêchant de faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre et nous laisse avec Bernard comme seule boussole morale, ce qui nous amène à une conclusion assez décevante.
Don’t Forget Me a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Il est rare que je le dise mais il manque vraiment quelques heures à Don’t Forget Me pour pouvoir développer ses points forts, son gameplay et les possibilités offertes par celui-ci, et corriger ses points faibles, à savoir une histoire où tout se déroule trop vite pour comprendre quel est réellement le propos du jeu ou si même, il y en a un au-delà du thème cool et à la mode de la technologie détournée par le gouvernement pour nous contrôler. On reste sur une impression de grosse démo et sur une bonne base mais trop incomplète pour en faire un très bon jeu. Au final, Don’t Forget Me n’est ni bon ni mauvais, il est oubliable et c’est dommage.
Fanny Dufour
Rédactrice le jour et rédactrice en chef la nuit. J'aime qu'on me raconte des histoires, mais seulement dans les jeux.
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