Il faut bien l’avouer : nous ne sommes pas partis du meilleur pied, Acid Nerve et moi, la faute à un Titan Souls certes bourré de bonnes idées et basé sur un concept aussi simple que brillant, mais pétri d’un peu trop de défauts pour que j’arrive à adhérer complètement à la proposition. Tant pis pour moi et le malheureux public du Mardi Douleur. Une déception qui ne m’a cependant pas empêché de m’enthousiasmer comme jamais devant les différents trailers de Death’s Door, le petit nouveau du studio qui débarque six ans plus tard. Combats en arènes, exploration, structure de metroidvania, abandon du pixel art : Acid Nerve promettait avec Death’s Door un contrepied total de son premier jeu, et c’est précisément ce que j’ai eu entre les mains, l’exact inverse de Titan Souls.
Exit, donc, tous les petits soucis du précédent titre, ces allers-retours incessants entre les checkpoints et les boss, les galipettes qui bloquent dans les escaliers, cette latence de tir et de récupération de la flèche un peu trop élevée pour certains combats, ce léger manque d’identité visuelle du pixel art pourtant très joli : Death’s Door est visuellement beau et inventif, merveilleusement bien mis en scène – avec quelques belles fulgurances sur certains boss -, fluide, maniable et maîtrisé. Waouh ! Et donc, c’est bien ? C’est bien, mais c’est « juste » bien. Et si j’ai passé un très bon moment dessus, je me rends également compte que je ne retire finalement pas grand-chose de la quête principale. Ce n’est pas forcément un reproche en soi : je ne le répèterai jamais assez, chaque jeu n’a pas la vocation ni les épaules pour révolutionner son genre, et un titre réussi reste déjà un petit exploit.
La mort en petit bémol
Mon petit souci avec Death’s Door, c’est que si le studio a conçu avec soin un univers original et intrigant, à l’esthétique terriblement accrocheuse, à la fois mignonne et dérangeante, au scénario certes un peu prévisible, mais drôle et efficace – tuer des patrons et des rois : on aime ça -, bref une identité forte, c’est pour derrière se reposer sur un gameplay d’un classicisme absolu. Je l’admets, on est ici entre le numéro d’équilibriste et la dissonance cognitive de ma part, puisque je suis parfaitement tiraillé entre une volonté d’indulgence envers ces mécaniques classiques mais efficaces, et la petite déception éprouvée devant un titre qui ne m’a procuré que très peu de surprises et d’émotions une fois la manette en main, quand tous les éléments me criaient que j’aurais dû prendre mon pied.
Encore une fois, je pense que tout est une question de game feel – et peut-être de lassitude de ma part, à force d’écumer les jeux indés d’action/aventure à longueur d’année. Une nouvelle fois : Death’s Door est un bon jeu, un bon jeu d’action, un bon metroidvania/Zelda-like, un bon jeu d’aventure et je le recommande assez chaudement à toute personne aimant ces genres-là : je ne vois pas vraiment comment vous pourriez passer un mauvais moment. Malheureusement, je ne vois pas tellement non plus comment vous pourriez être surpris en parcourant l’aventure. Absolument toutes ses mécaniques – et la manière dont elles apparaissent – sont terriblement convenues et déjà vues autre part. Combats à l’épée et à l’arc : check ; torches à allumer pour ouvrir les portes : check ; zones à traverser et vider de leurs mobs et mini-boss pour débloquer un raccourci : check ; améliorations de force, magie, agilité : check, double-check ; fragments de cœur à trouver, zones secrètes à débusquer : triple-check. Le cahier des charges est connu et appliqué à la lettre, sans jamais déborder.
J’aurais ainsi aimé que cet académisme soit au moins compensé par un peu de patate, un peu de game feel plus enthousiasmant que ce que Death’s Door nous apporte. Le titre n’est heureusement pas complètement dénué de feedback : on appréciera cet effet de fissuration sur les ennemis qui s’accentue tout au long des combats, ou le visuel particulièrement cool et puissant de l’explosion des bombes, mais on aurait aimé que ce soit également le cas pour les coups d’épée et les attaques à distance. Car sans idées originales ni petits effets ou twists cools pour pimenter les affrontements, ces derniers finissent par se ressembler et lasser un poil, malgré la variété et l’originalité de son bestiaire. Rien de terrible, puisque l’exploration et la résolution d’énigmes sont finalement bien plus au centre de l’expérience que la baston, le jeu se rattrape sur ses quelques boss et le combat reste tout de même globalement juste et agréable. Mais ce game feel un peu quelconque contribue à cet effet de « C’est bien, mais il manque quand même quelque chose ».
Quand y en a plumes, y en a encore beaucoup
Et ce petit quelque chose qui manque, il m’est apparu dans le end game, une fois l’ultime boss vaincu. Sans en dévoiler trop, une nouvelle quête se lance après avoir terminé l’aventure principale, l’occasion de démarrer toute une batterie de quête annexes, basées sur l’observation, l’exploration et une compréhension assez organique de son environnement et de règles implicites érigées par le titre. Tout le monde ne s’y retrouvera pas nécessairement, mais j’ai personnellement passé un meilleur moment dans les 6/7h de recherche et d’accomplissement de quêtes annexes en post game, que dans les 9h de quête principale. Là où tout le titre est fléché et structuré de manière à suivre les clous niveau après niveau, donjon après donjon – et c’est très bien fait, la marche à suivre est toujours claire et précise, on sait toujours où l’on est, où l’on va, ce qu’on doit faire, et ce même en l’absence de carte – , l’après-jeu nous parachute dans le petit monde ouvert dorénavant exploré, et nous encourage à le reparcourir suite à un changement majeur, dans l’ordre que l’on veut.
Ce backtracking aurait pu rallonger la durée de vie de manière terriblement artificielle, mais la variété des quêtes à effectuer, leur intérêt narratif et de mise en scène et la promesse d’une véritable fin en font un chapitre incontournable de Death’s Door, et à mon sens, son tout meilleur. Si le cheminement dans l’histoire s’est passé agréablement mais sans surprise, je suis allé de découverte en découverte dans ce end game, tout enthousiasmé par les multiples compréhensions des règles et secrets de chaque zone, et les conclusions d’histoires annexes. Un peu de chiale, pas mal d’absurdité, une part de mystère : celles-ci mettent en exergue une narration finement écrite, plutôt discrète mais qui dévoile un peu plus de son potentiel dans cette dernière partie.
Une traduction pimpante
Une narration et un sens de l’humour qui bénéficient d’ailleurs d’une petite surcouche très sympathique si l’on passe le titre en VF, puisqu’il s’agit de l’une des multiples traductions de Michel Pimpant – également présent sur celle du récent Loop Hero. Un parti pris qui pourra être clivant, puisqu’il s’agit d’une traduction avec une forte personnalité, ajoutant blagues et jeux de mots potaches à l’écriture originale, pouvant ainsi chafouiner quelques puristes, mais qui personnellement me plaît beaucoup et m’aura décroché quelques rires.
Et au-delà de la qualité de la traduction, cet exercice d’appropriation de l’écriture me semble encore assez insolite dans le jeu vidéo – si l’on met de côté quelques localisations sacrément nanardesques et à côté de la plaque des années 1990. La question est présente depuis un bon moment dans les autres médias : on se souviendra de traductions de romans s’écartant de l’original pour le meilleur (Daniel Roche et son amélioration du style déplorable de Dan Brown pour Da Vinci Code et Anges et Démons, Patrick Couton pour son adaptation complexe du Disque-Monde) et pour le pire (l’humour bancal de Jean Bonnefoy appliqué sur celui de Douglas Adams pour H2G2, le style pompeux de Francis Ledoux pour la première édition du Seigneur des Anneaux), ainsi que de films (Wayne’s World, localisé par Les Nuls, ou What Do We Do in the Shadows, traduit par Nicolas et Bruno) dont la version française porte largement la personnalité et le style de ses auteurs. Que l’on aime ou non l’exercice et le résultat, le fait que ce phénomène se généralise dans le jeu vidéo met à mon sens en avant l’importance de l’écriture et d’auteurs·trices dans le média, en autorisant les différentes versions à avoir leur personnalité propre.
Death’s Door a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur Xbox One et Series.
Si le gameplay et la structure de Death’s Door restent trop sages et classiques pour véritablement marquer, le titre d’Acid Nerve se rattrape avec élégance grâce à une direction artistique magnifique et originale, un end game généreux, une mise en scène sujette à quelques fulgurances et une écriture toute en finesse, transcendée par une version française pleine de personnalité. S’il lui manque un tout petit quelque chose côté game feel pour se hisser parmi les indispensables, Death’s Door reste néanmoins un des très bons jeux d’action/aventure de l’été et annonce un avenir particulièrement prometteur à son studio.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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