Il est facile de se laisser avoir par Cultist Simulator. Avec son nom banal et son trailer qui ne rend pas vraiment hommage à ce que tout le jeu peut proposer, on est tenté de croire au premier abord que le titre n’est qu’un jeu de cartes et de gestion un peu simpliste et facile. On n’aura jamais été aussi loin de la vérité.
Celui qui a créé le jeu est loin d’être un inconnu pour les amateurs de jeux indépendants à inspiration Lovecraftienne : il s’agit d’Alexis Kennedy, fondateur de Failbetter Games, à l’origine de Sunless Sea. Après s’être un peu éloigné des projets de Failbetter, il a décidé de monter un microstudio, Weather Factory et de sortir Cultist Simulator, qui a connu une campagne Kickstarter très réussie. Le but est simple : monter une secte, arriver à recruter des gens tout en évitant les enquêteurs un peu trop curieux et la folie qui vous guette à chaque moment.
Se relever de ses échecs
Lorsque vous lancez votre première partie, vous avez peu de cartes et juste un carré qui représente un verbe : « Work ». Alors, sans trop vous poser de questions, vous y glissez votre première carte, celle qui représente votre job, et vous laissez le temps passer, chaque action prenant de quelques secondes à une minute. D’autres verbes apparaissent, comme « Dream » ou « Explore » accompagnés d’autres cartes de plus en plus obscures. Et c’est là où votre première aventure commence : comprendre les mécaniques du jeu. Cultist Simulator ne s’explique jamais, il se laisse découvrir au fil des expérimentations. Il est malgré tout assez gentil pour faire briller les cartes qui peuvent se glisser dans le carré que vous sélectionnez et vous donne quelques indices dans le texte pour savoir quoi utiliser et quand. Mais les résultats sont imprévisibles et il y aura beaucoup de ratés avant de pouvoir faire quoi que ce soit, des erreurs pouvant même vous conduire jusqu’à la mort. Mais ne vous inquiétez pas, loin de représenter la fin de votre aventure, la mort est une étape essentielle et vous incarnerez tous les descendants qui reprendront le travail de leurs aïeuls.
Loin d’être un défaut, cette absence de tutoriel est ce qui rend le jeu aussi intéressant. C’est même une mécanique à part entière : vous êtes une personne ordinaire avec un travail de bureau classique qui se trouve avoir en sa possession un paquet mystérieux contenant des livres ésotériques. Autant dire que vous êtes un novice complet dans le domaine des sectes, de l’invocation de créatures mystérieuses et des rêves mystiques. Mais comme vous après plusieurs heures, ses descendants s’amélioreront et réussiront des choses beaucoup plus ambitieuses que leur ancêtre. Et si vous n’avez vraiment aucune patience, les discussions Steam sont déjà remplies de personnes répondant aux questions de joueurs perdus, quitte à se gâcher un peu le plaisir de la découverte.
Une inspiration évidente
Vous l’aurez compris, le jeu commence pratiquement comme L’Appel de Cthulhu. Un homme découvre des notes étranges appartenant à un proche, il enquête dessus et ce qu’il découvre dépasse l’entendement. La différence ici est que vous êtes amené à jouer à peu près tous les rôles : la personne dépassée par les événements, l’adorateur prêt à sacrifier des gens et à utiliser leurs corps pour invoquer de sombres créatures, le recruteur et leader qui n’hésite pas à former des pactes avec des personnes mystérieuses et à envoyer ses suiveurs explorer des endroits mortels mais également un peu plus tard l’inspecteur (que l’on peut rapprocher de l’inspecteur Legrasse si on veut vraiment faire un parallèle avec la nouvelle) qui se retrouve à enquêter sur le culte et qui finit par se faire avoir à son tour.
Il est intéressant ici de voir comment Alexis Kennedy a réussi à s’approprier la mythologie Lovecraftienne, en gardant son côté fantastique et terrifique et en la débarrassant du racisme permanent dont elle est remplie. Lovecraft était loin d’être un chouette gars et toute sa mystique est teintée d’un mépris et d’une haine pour les étrangers, qui sont souvent désignés comme des sauvages sanguinaires à l’origine des cérémonies horribles pour invoquer Cthulhu et toutes les autres choses joyeuses. J’irai même jusqu’à dire que selon moi, la peur qu’éprouvent tous ses personnages lorsqu’ils explorent des cités perdues n’est que le reflet de la xénophobie (au sens littéral du terme) de l’auteur face à des cultures qu’il ne connait pas et ne veut pas comprendre. Sans oublier les Grands Anciens, clairement des extraterrestres, qui sont le pinacle de l’horreur pour Lovecraft car ils ne sont même pas terriens, ils représentent l’étranger ultime. Mais on ne retrouve rien de problématique dans Cultist Simulator. Alexis Kennedy arrive à rester extrêmement fidèle au matériel de base et à garder une atmosphère d’inconnu et « d’exotisme » sans pointer des cultures du doigt, les caricaturer et tomber dans le racisme plus ou moins subtil comme Lovecraft. Il y a bien des références à des langues inconnues du personnage mais ce ne sont que des langues anciennes qui peuvent lui être enseignées par certaines personnes ou carrément des langues inexistantes qui ne peuvent être comprises que par des créatures invoquées.
Mais surtout, il est étonnant comme un simple jeu de cartes arrive à faire naître une telle ambiance. Peut-être est-ce juste quelque chose de personnel, ayant toujours été beaucoup plus sensible aux textes qu’aux images, mais j’ai été beaucoup plus immergée dans ce jeu que dans la plupart des AAA avec leurs beaux graphismes et leurs tueries de masse inutiles qui ne servent qu’à briser l’immersion. Pour celui qui accepte de lire un tant soit peu ce qui lui est dit et est prêt à faire marcher son imagination tout y est : l’angoisse du personnage alors qu’il plonge de plus en plus vers le fanatisme et la folie, sa consommation de drogue pour la calmer, les maladies fréquentes, le travail qui demande à sacrifier un peu de son temps et de sa raison à chaque fois, la libération mais aussi une nouvelle forme d’esclavage à travers la connaissance… Sans oublier les lieux, des plus ordinaires comme une librairie ésotérique ou un club glauque aux plus impressionnants, ceux que l’on découvre en parlant à des personnes étranges porteuses de lourds secrets ou que l’on ne voit qu’en rêve. Tout le Londres plongé dans le brouillard et la fumée d’opium, porteur d’atrocités en son sein, y est et l’on peut autant remercier la direction artistique et la musique pour ça que les textes en eux-mêmes.
Une véritable surprise
Je pense que vous aurez compris que j’adore Cultist Simulator et qu’il est une énorme surprise pour moi. Très franchement, quand on me l’a proposé, je n’en attendais rien. Même si j’admire ce que je connais du travail d’Alexis Kennedy, ça ne restait qu’un jeu de cartes. Et pourtant, j’y ai passé un très bon moment comme rarement ces derniers temps. Je ne pense pas que Lovecraft soit un très bon auteur et il est admis qu’il était une personne affreuse. Mais j’ai toujours été fascinée par cette fantasy sombre, à la limite de la science-fiction, si on lui retire tous ses sous-entendus affreux. Mais, comme à chaque fois, tout n’est pas parfait et Cultist Simulator n’échappe pas à la règle.
Rien qui ne gâchera foncièrement votre expérience cependant. Mais des petites choses parfois un peu irritantes, comme l’impossibilité de pouvoir ranger correctement son plateau de cartes car celles-ci ont tendance à ne pas respecter leur place assignée et à se mettre n’importe où lorsqu’elles reviennent sur le plateau après avoir été utilisées. Le fait de devoir les faire glisser, ce qui forcément finit par produire des missclicks où vous faites bouger le plateau à la place ou un carré… Et le jeu étant basé sur l’expérimentation, il est dommage qu’il nous laisse penser que certaines combinaisons sont possibles alors qu’elles semblent ne pas être encore implantées en jeu. Par exemple, votre personnage aura parfois des souvenirs furtifs, que vous pensez pouvoir combiner avec le carré-verbe « Explorer » sans qu’il soit possible de valider l’action pour le moment.
Soyons clair, je chipote. Le titre présente assez de contenu comme ça, avec plusieurs descendants, plusieurs fins et plusieurs cultes, pour que ces petites imperfections restent de menus détails. Le système de jeu pourra peut-être devenir lassant au bout de plusieurs heures si vous y jouez aussi régulièrement que moi mais je n’ai pas honte d’avouer qu’après 15 heures, je pense n’avoir exploré qu’une infime partie des possibilités qui se présentent à moi et que je suis toujours très excitée à l’idée de continuer mon aventure, qui sera bientôt ponctuée de nouveautés. Il est assez dur d’expliquer pourquoi mais Cultist Simulator est un énorme coup de coeur que je conseille à tout le monde, même ceux qui ne se sont jamais penchés sur les oeuvres de Lovecraft.
Fanny Dufour
Rédactrice le jour et rédactrice en chef la nuit. J'aime qu'on me raconte des histoires, mais seulement dans les jeux.
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