Quand on attend trop un jeu, on prend le risque d’être déçu. La formule est d’autant plus vraie quand on en oublie même de faire attention au studio qui en a la charge et les moyens qu’il possède. Alors si en plus le gameplay n’est pas totalement abouti, tout cela devient bancal. Vous sentez le truc venir, et à raison : Iron Harvest convient parfaitement à cette description.
Hé oui, Iron Harvest n’est pas à la hauteur de ce que moi, en tant que joueur de STR, j’attendais. Est-ce que pour autant ça veut dire que toi, lecteur, tu dois oublier ce jeu ? Pas forcément. J’ai toutefois des points à exposer, positifs comme négatifs. Mais si, comme moi, tu étais intéressé par l’univers fouillé, je t’invite à te rendre directement à la conclusion de cette critique. Si ça n’est pas le cas, je te laisse te faire ton propre avis via mon expérience du jeu.
Posons les bases : les développeurs ont récolté près de trois fois la somme demandée via un Kickstarter, il y a un peu plus de 2 ans (l’objectif était de 450 000 dollars, ils en ont obtenu 1 298 726). Il faut dire que le projet avait tout d’attirant. STR (jeu de Stratégie en Temps Réel) basé sur les travaux de l’artiste Jakub Różalski, les visuels montrent des campagnes du début du XXe siècle, dans lesquels se trouvent souvent des soldats et surtout d’impressionnants robots. Un monde appelé “1920+” qui a par ailleurs aussi servi de base au jeu de plateau Scythe, il n’est donc pas étonnant de retrouver dans le Kickstarter quelques mots du créateur de ce dernier et de Różalski.
Le dieselpunk, ça carbure
Il me faut faire un aparté sur ce que signifie 1920+ pour Iron Harvest. C’est simple mais pour y arriver, rapide cours d’histoire (réelle puis fictive). À la sortie de la Première Guerre mondiale, les frontières de l’Europe sont redessinées. On assiste à la chute de trois empires : l’Empire allemand, l’Empire austro-hongrois, les deux suite à la défaite, et l’Empire russe devenu, après la révolution communiste de 1917, la RSFSR (République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie) qui deviendra l’entité dominante de l’URSS à partir de 1922.
Comme souvent dans son histoire, la Pologne est alors la variable d’ajustement territorial des grands traités et des velléités d’expansion. Ayant à peine obtenu son indépendance, elle se retrouve dès 1919 victime de l’appétit soviétique qui souhaite voir l’Europe entière se tourner vers l’idéologie communiste. Cela se traduira par une guerre directe avec la Pologne, porte d’entrée vers Berlin et l’Europe de l’Ouest. Suite à un miracle militaire lors de la bataille de Varsovie, les forces communistes sont repoussées et une paix est signée en 1921. Alors comment tout ça se traduit dans l’univers uchronique de Jakub Różalski, et en particulier celui d’Iron Harvest ?
Dans la timeline du jeu, l’Allemagne est resté un empire mais porte le nom d’Empire de Saxonie. La Pologne, ici République de Polonia, est largement occupée mais n’abandonne pas la résistance. Quant à la Russie, elle n’est pas devenue communiste et s’appelle le Tsarat Rusviétique (avec, à sa tête, Nicolas II puisque pas de bolcheviques). La guerre entre la Russie et la Pologne a bien eu lieu mais n’a abouti qu’à une trêve fragile, qui s’effondre d’ailleurs dès le début du jeu. On suivra donc le parcours de trois personnages, un par faction, avec en toile de fond une même histoire.
Tout cela met en place un contexte déjà très intéressant, sublimé par l’ajout de puissants mecha. Dans l’univers 1920+, les technologies entrevues avec l’arrivée des tanks se sont étendues et de gigantesques monstres de métal se battent aux côtés de l’infanterie. On se retrouve en plein dans le courant « dieselpunk », situé de la fin de l’époque victorienne jusqu’aux années 1950. Ce courant a surtout pour caractéristiques principales d’offrir un univers alternatif où les progrès technologiques, le plus souvent militaires, ont pris des proportions gigantesques au milieu d’une société encore meurtrie par la Première Guerre mondiale. Des éléments qu’on retrouve dans Iron Harvest avec la compréhension très littérale de l’immensité des progrès via la présence d’immenses mecha. Ce que l’on va voir maintenant en abordant le gameplay de ces forces mécanisées, qui dominent un peu trop le champ de bataille.
Mechs mortels
C’est vrai que je n’ai pas pu en parler jusque-là, mais Iron Harvest est un STR d’un genre spécifique. À la différence d’un Warcraft III ou d’un Age of Empires II, l’accent est mis sur la tactique de combat au détriment de la récolte de ressources. Ça se traduit par une grande importance des points stratégiques sur la carte, le plus souvent près de ressources à capturer. En gros, on s’approche davantage d’un type de STR à la Company of Heroes ou Warhammer 40K : Dawn of War. Je n’ai jamais joué au premier et j’ai beaucoup joué au second. Je pense, hélas, que mon expérience n’est pas allée en faveur d’Iron Harvest puisque je crois que le gameplay se rapproche surtout de Company of Heroes. Je vous explique, si vous êtes peu connaisseurs de ce sous-genre.
Comme je le disais, il existe des points à contrôler, en l’occurrence des ressources de type pétrole et fer. Une fois capturés (uniquement par l’infanterie), ces points rapportent des ressources passives. À côté de ça, le terrain est un facteur important dans le déroulement d’une partie puisqu’en profiter pour se cacher ou pour tendre un piège permet de prendre un avantage certain sur les troupes ennemis.
Je peux être client du genre lorsqu’il est bien foutu. Ca m’avait, à l’époque, accroché sur Dawn of War. Mais l’intérêt majeur du jeu tenait, à mes yeux, aux multiples choix de factions qui changeaient le gameplay. Ici, le gameplay reste identique. Les bâtiments sont très limités et ont une fonction assez similaires, mais, surtout, l’asymétrie entre infanterie et mecha est la même, que vous soyez polonien, saxonien ou rusviétique. Pour le meilleur et, particulièrement, pour le pire.
Le meilleur, c’est la satisfaction de renverser le cours d’une bataille avec un ou deux mecha, là où l’ennemi prenait l’avantage grâce à un nombre de troupes supérieur (et le hasard des batailles, un peu aussi). Le pire, c’est que les robots dépassent vite le statut de soutien de valeur. On ne se met plus qu’à fabriquer ça avec les ressources obtenues et les armées à pied deviennent une quasi gêne. Leur seul vrai intérêt se trouve être la recherche de ressources sur la carte et la capture de points.
Alea Jacta Est
Le cœur d’un STR qui se veut stratégique, ce sont les combats et la manière de les appréhender avant leur déroulement, plus que pendant la bataille elle-même. Vous vous doutez bien que des mecha de fer et de pétrole n’ont pas la même réactivité que des petits contingents d’humains spécialisés. Il faut donc placer tout cela à l’avance avec soin pour éviter de devoir appuyer sur le bouton de retraite et voir nos troupes fuir vers la base pour être soignées/réparées.
Une grande importance est accordée, avec les troupes d’infanterie, à l’utilisation de zones de couverture. Dès que l’on déplace une escouade (une escouade = 1 unité, plus celle-ci perd de la vie, moins il y a de soldats dedans) vers un muret ou des sacs de sable, le curseur se change pour indiquer où va se « cacher » l’escouade afin de se préparer à tirer. Et là, on a un gros point négatif d’Iron Harvest. Ce système est vraiment hasardeux. Ce n’est pas du tout une mauvaise idée à la base mais on sent que la décision n’a pas toujours de sens, le placement non plus, et c’est très difficile de mesurer l’impact que cela va avoir.
Or l’IA ennemie ne fait pas de cadeau. Mais vraiment pas. Au-delà de la difficulté de certaines missions de la campagne, les combats entre infanteries sont imprévisibles et trop souvent en faveur de l’IA. Les placements malheureux et involontaires, couplés à des unités qui ont une sacrée tendance à refuser de tirer pour une raison obscure, rendent le tout vraiment rébarbatif. Les méchas apparaissent une nouvelle fois indispensables car moins soumis à ces aléas gênants.
La difficulté de certaines missions oblige parfois à passer plus d’une heure sur une seule d’entre elles. Une grosse frustration quand on sait qu’un combat peut se dérouler parfaitement comme se changer en une déroute ridicule par la seule force d’un placement mal géré par l’IA de nos propres troupes. Là où celle de l’ennemi bénéficiera d’un avantage certain. Je ne vous cache pas que si cette critique arrive aussi tardivement après la sortie du jeu, c’est spécifiquement parce que j’ai dû mettre un temps bien trop long sur des missions qui ne devraient pas l’être.
Diversité dans l’adversité
Pour autant, je ne remets pas en cause le travail effectué par les développeurs sur Iron Harvest. Cela se traduit d’ailleurs par un grand soin apporté pour créer une vraie diversité d’unités, comme je le disais plus haut. Un mecha armé de deux grandes faux, un autre qui se change en canon à longue portée, des mecha presque humanoïdes, rapides et mobiles… Il y a du choix et du style. Les trois factions seront peut-être amenées à être plus nombreuses, via des DLC ou autres mises à jour. Un choix qui ne serait pas incohérent du tout puisqu’elles sont au nombre de 8 dans l’univers de 1920+.
Une diversité qu’on retrouve aussi dans les différents modes de jeux: Défis, Escarmouche ou multijoueur en ligne (compétitif ou non). Une bonne base de jeu pour celles et ceux qui ont envie d’y investir du temps et de partir à la conquête du ladder ou se challenger eux-mêmes. Concernant le compétitif, le studio King Art Games a déjà commencé à mettre l’accent sur l’esport et espère sûrement développer ce versant à l’avenir.
Enfin, derniers éléments sympathiques : un beau travail réalisé au niveau des effets sonores ; les musiques sont dans le ton de l’uchronie présentée, on passe des grands thèmes de guerre aux touches plus douces d’un monde nouveau qui se cherche entre élans passéistes et rigueur d’une modernité mécanique. Et si les cinématiques accusent un gros retard technique, les graphismes en jeu sont plus adaptés. On est effectivement loin des standards actuels d’un Total War, par exemple, mais les impacts de l’artillerie sur le terrain, l’effondrement des bâtiments et structures au passage d’un mecha, les changements d’environnement… Tout ça est plutôt bien géré et donne un vécu différent à chaque carte.
Iron Harvest a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur
Iron Harvest possède de vrais points forts. Déjà, son univers et sa mise en scène. Cet univers alternatif a quelque chose de consistant et, même si l’histoire elle-même n’est pas transcendante, on entre facilement dedans. Ensuite, l’offre assez vaste des modes de jeu en ligne et hors ligne. Enfin, une grande diversité d’unités et de mecha stylés pour chaque faction. Si on peut passer sur les graphismes et les cinématiques datées, il demeure malgré tout deux problèmes à mes yeux : un gros souci d’équilibrage et un gameplay pas totalement abouti. Des éléments hélas essentiels pour la réussite d’un STR. Reste l’espoir que cela pourra être corrigé à l’avenir.
Veltar
Joueur de jeux vidéo qui aime la politique. Du coup j'écris surtout des trucs qui parlent des deux. Stratégie, Outer Wilds, Metal Gear Solid et indés en pixel art.
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