Développé par le studio indépendant allemand Maschinen-Mensch et édité par Thunderful Games, Curious Expedition 2 est la suite du précédent jeu du studio sorti en 2016. Après une longue période d’early access, il est enfin arrivé le 28 janvier sur Steam (il arrivera plus tard sur consoles de salon). Cependant, avant d’aller plus en avant sur ce que je pense de ce jeu, il va falloir que je contextualise un peu mon rapport aux roguelites.
Je n’aime pas les roguelites et les roguelikes. Ça fait partie de ces styles de jeux que je trouve usés jusqu’à la corde par les studios indépendants et le fait qu’on en bouffe depuis que The Binding of Isaac a fait le carton qu’on lui connait n’aide pas à me faire desserrer les dents. D’autant plus que depuis la sortie d’un certain Slay the Spire, une horde de développeurs plus ou moins inspirés ou cyniques ont décidé de mélanger ce genre au deck-building, que j’aime encore moins (je ne suis pas très bon aux cartes). Cependant, certains roguelike/lite arrivent de temps à autre à me faire kiffer. J’ai par exemple énormément d’affection pour Darkest Dungeon et pour Vambrace : Cold Soul qui sont tous deux des rogues avec une grosse emphase sur leur narration et leur ambiance, et bien sûr deux de mes jeux indés préférés sont Hand of Fate et sa suite. Cette relation conflictuelle avec les rogues fait que lorsqu’un de leurs représentants me plait, il a tendance à me marquer et moi à l’apprécier d’autant plus. Curious Expedition 2 rentre dans ce schéma et voici pourquoi c’est un excellent jeu, surtout si vous n’aimez pas les rogues.
Rogue’N Roll the Dice
Abordons tout d’abord le point le plus faible du jeu d’après moi : son gameplay. D’une certaine façon, Curious Expedition 2 a une très nette filiation avec Darkest Dungeon sur cet aspect précis : les deux sont des RPG dont le but est d’explorer une zone inconnue avec un groupe de personnages ayant des caractéristiques différentes, et où vous devrez faire autant attention aux dangers du terrain qu’à ceux créés par les névroses et la santé mentale de vos compagnons. Le point de rupture entre les deux titres se fait au niveau de la gestion des combats et de l’interaction avec l’environnement.
Les combats, ainsi que les évènements aléatoires, se règlent avec des jets de dés. A chaque personnage est associé un nombre de dés prédéfini en fonction de leur classe (par exemple, les chiens ont deux dés alors que les soldats n’en ont qu’un), et de leurs objets. Le système de combat est très simple, même s’il implique parfois quelques longueurs, mais il permet tout de même une bonne dose de stratégie. La résolution d’évènement se fait de la manière la plus simple du monde : on jette tous les dés correspondants aux personnages du groupe, si on obtient assez de faces de la bonne couleur c’est tant mieux et à nous les gains, mais si on rate, le jeu lui ne nous ratera pas.
Pour ce qui est de la dimension rogue du titre, elle se retrouve d’une part dans le fait que les compagnons d’expédition sont générés aléatoirement lorsque vous les recrutez, et d’autre part dans la création des missions d’expéditions, dont les objectifs et le terrain seront définis procéduralement. Même si certains aspects seront toujours présents, par exemple il y aura forcément un village et au moins un temple sur les îles que l’on visite, ils varieront sur quelques points (toutes les peuplades ne sont pas accueillantes par exemple). D’ailleurs, si la difficulté du titre est plutôt bien dosée, le mode facile étant plutôt accessible et les difficultés au-dessus donnant un bon challenge, il arrive parfois que le jeu nous déteste et nous file un terrain pas du tout favorable à la réalisation de notre objectif. Si le gameplay n’a rien d’exceptionnel même s’il se tient, le fait est qu’il n’est pas frustrant d’enchainer des parties en boucle car la narration et les variations nombreuses de situations viennent briser la répétitivité qui pourrait s’installer.
AAAHH ! Esteban, Zia, Tao mangent des morts !
A ce propos, la narration est ce qui m’a le plus accroché au titre. Je ne parle pas là de l’intrigue principale qui se laisse suivre tranquillement mais est oubliable, je parle spécifiquement de la manière dont se fabriquent nos péripéties tout au long de nos aventures. Curious Expedition 2 n’est pas vraiment un titre où l’on parcourt une histoire déjà écrite, mais plutôt un canevas sur lequel les grandes lignes du scénario sont définies et dont on remplit les blancs par nos actions. Cette sensation, un peu artificielle mais tout de même bien présente, d’écrire au fur et à mesure des aventures se déroulant au fin fond d’îles inexplorées avec un groupe d’aventuriers aux caractères divers est ce qui me fait rester encore aujourd’hui sur le jeu. D’autant plus que même avec des caractéristiques de départ similaires, deux expéditions ne se ressemblent jamais vraiment à cause des aléas du territoire, des locaux, ou simplement parce qu’un de vos compagnons aura décidé de devenir paranoïaque après une nuit de camping sauvage.
J’ai une partie qui m’est particulièrement restée en tête en termes de narration émergente. Tout avait bien commencé, mon équipe était équilibrée et j’avais énormément de nourriture pour pouvoir mener mon expédition à bien. Malheureusement, si j’avais prévu beaucoup de repas, je n’avais pas pris le temps d’allouer du budget à l’équipement de soin, ce qui a entrainé une mort bête par septicémie. Ensuite, une série de coups du sort doublée d’une carte immense ont entrainé la mort du chien de mon groupe (petit ange parti trop tôt et de manière horrible) et la perte de santé mentale de tous les autres personnages, à tel point qu’après des jours à errer à la recherche notre objectif, et suite à quelques hallucinations, un des trois derniers membres du groupe a décidé d’en manger un autre. Cette histoire a fini sur le décès du cannibale, mort suite à la piqûre d’un insecte à un jour de marche de l’objectif final. Il n’aura finalement pas survécu à cette triste expédition. Si tout ceci n’est qu’une petite anecdote somme toute insignifiante, le naturel avec lequel elle est arrivée, ainsi que son imprévisibilité, et le fait que chaque partie puisse devenir une histoire comme celle-ci, rendent les parties successives de Curious Expedition assez intéressantes pour avoir envie d’y retourner régulièrement.
Face à nous, la jungle danse.
Un gameplay simple et efficace, ainsi qu’une bonne variété de situations ne suffisent pas à faire de Curious Expedition 2 le générateur d’histoires qu’il est. Bien que ce statut tienne autant à ma manière de jouer qu’à sa narration, je dois reconnaitre que la direction artistique fait de petits miracles. Inspirée par des bandes dessinées comme Adèle Blanc-Sec, la DA rend super bien malgré le minimalisme des graphismes. Le tout est enrobé avec une bande-son qui remplit très bien son rôle d’habillage, même si aucun morceau ne restera dans les annales.
Enfin, pour pouvoir captiver avec ses histoires, le titre mise beaucoup sur son contexte : les années 1880 avec un fond de mystère et la fièvre de la découverte. Par contre à ce cadre intéressant, je suis obligé de mettre un énorme bémol, car nous sommes en 2021 et qu’il y a des problèmes dont on doit parler frontalement. Le jeu se déroule en pleine époque des Empires coloniaux, et tout son gameplay nous invite à découvrir des contrées lointaines peuplées de « sauvages » alors que nous sommes des gens « civilisés », et à piller des « trésors archéologiques ». Bien qu’il soit indiqué à plusieurs reprises dans le jeu que le comportement des gens de l’époque n’est pas le bon, il n’en reste pas moins que via ses objectifs et par le biais de certains personnages, le jeu véhicule un message au mieux maladroit et ambivalent, au pire de mauvais goût. En jouant en présence des membres de la rédaction, quelqu’un a fait une remarque fort pertinente : « Pourquoi ne pas avoir gardé le même jeu, mais plutôt que de nous faire piller des civilisations non européennes, ils n’ont pas placé l’action dans l’espace et on pillerait des vestiges de races aliens disparues ? », et je suis d’accord. Le contexte colonial n’est absolument pas nécessaire au jeu en lui-même et s’il tenait tant à cœur aux développeurs, il aurait peut-être été judicieux de réfléchir un peu plus le gameplay histoire de pas récompenser le fait de voler des objets sacrés à des gens qui n’ont rien demandé. Mention spéciale d’ailleurs à la mission principale qui nécessite de monter deux villages indigènes l’un contre l’autre histoire de voler un objet occulte. Voilà, si jamais vous voulez tenter l’aventure, soyez tout de même prévenu de cet aspect du jeu.
Curious Expedition 2 a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est aussi disponible sur Switch, PS4 et sur Xbox Series.
Au final, j’ai beaucoup à raconter sur les histoires vécues dans Curious Expedition 2, mais peu à dire sur celui-ci. J’aime beaucoup son côté générateur d’aventure à la chaine, et son aspect rogue ne me déplait pas mais d’un autre côté, son message ambivalent vis-à-vis de la colonisation ternit indéniablement le tableau. Si l’occasion de le tester se présente à vous, donnez-lui sa chance.
Un Rieur
J'aime tous les jeux, surtout les jeux un peu nazes ou cassés. C'est pas parce que c'est nul que c'est pas bon, et puis j'aime aussi la bouffe, et le JDR
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