Sans doute faudrait-il ne pas juger la ressortie de jeux terriblement ancrés dans leur époque au regard de critères modernes. Mais la Crash Bandicoot N.Sane Trilogy n’est pas un simple remaster adapté aux résolutions d’écran actuelles : les équipes de Vicarious Visions ont dû, pour des raisons propres à l’histoire mouvementée de la série retravailler à partir de zéro, pour recréer les trois premiers jeux Crash brique par brique. Cette recréation totale constitue, à mon sens, des jeux entièrement nouveaux que nous pouvons traiter comme tels.
Sortie il y a tout juste un an sur Playstation 4, la Crash Bandicoot N.Sane trilogy s’est, sans surprise, vendue par palettes entières. Plus de 500 000 exemplaires écoulés. C’est donc tout naturellement que la compilation s’est portée sur PC et sur Switch, version que nous avons eue entre les mains à l’occasion de cet anniversaire. Hélas, si l’énorme charge nostalgique qui colle au pantalon et aux baskets de ce bon vieux Crash est incontestable, cela ne suffit pas à transformer le clone d’un jeu au gameplay daté de presque 25 ans en expérience agréable.
Crépuscule des mascottes merdiques
Crash Bandicoot « mascotte de la Playstation », c’est toute une époque. Parangon du passage des jeux de plate-forme à la troisième dimension, et avatar crépusculaire de dix ans de marketing forceur destiné à nous imposer des animaux ridicules en représentant du « cool » vidéoludique. En 1996, Sonic n’a QUE cinq ans, et pourtant, c’est déjà la fin de quelque chose. Une demi-décennie passée à nous assommer de Bubsy, Aero, Ristar, Earthworm Jim, Fox McCloud, James Pond et autres Battletoads, bombardement constant d’animaux insolents en slip. A quelques glorieuses exceptions près, le passage à la 3D ne laissera en vie que quelques Grands Anciens (Sonic et Mario) et quelques nouveaux venus à la vie plus ou moins mouvementée (Jak, Daxter, Ratchet, Clank…).
En toute logique, Crash Bandicoot, avec sa tronche de crétin des îles élevé à coup de pelle et son pantalon de fan prépubère des Offsprings, aurait dû être un flop. Le premier jeu de la série multipliait les idées bizarres : game design en couloirs minuscules, course poursuite de face, gameplay mélangeant tourbillons et saut sur des caisses destructibles, combats de boss très confus. Le tout enrobé dans un design pseudo-océanien dans lequel des sauvages cannibales vous chargeaient en criant « ounga bounga », parce que c’était aussi ça, les années 90. Allez comprendre pourquoi, Crash Bandicoot fut un succès monumental, phénomène de société arrivant même à faire sécher les cours à Lisa Simpson pour rester chez elle jouer à la Play.
Naughty Dog, extrêmement fier de sa mascotte et fort satisfait du succès, produira une quantité industrielle de suites, avec trois nouveaux jeux en moins de trois ans dont un mario-kart like, avant d’en perdre les droits au tournant du millénaire. La série Crash entre alors dans un enfer constitué d’une dizaine de studios et presque autant d’éditeurs en dix ans, chacun se relançant la patate chaude d’une série déjà devenue ringarde. Les suites, portages et spin-of se succéderont dans une indifférence relative. Passé entre trop de mains, le malheureux marsupial a fini par bénéficier d’un remake opéré pour ses vingt ans des trois premiers opus de Naughty Dog, dont, semble-t-il, plus personne ne possédait les assets. Pour le compte d’Activision, actuel propriétaire du good boy, c’est Vicarious Visions qui s’y colle : spécialistes des portages et des jeux à licence, ils sont contraint de réaliser un remake intégral et de reprendre les jeux Crash depuis le départ, avec une promesse de réactualisation graphique poussée. D’autres sociétés spécialisées (Toys for Bob et Iron Galaxy) produisent respectivement les portages Switch et PC de ce remake, que je qualifierai par deux simples mots anglais : same shit.
Dorénavant ça être comme avant
Certes, le projet n’était pas de révolutionner Crash. L’idée était de ne surtout pas contrarier vos chers souvenirs en ne modifiant des jeux originaux que les graphismes et la résolution d’écran. De ce point de vue, rien à signaler, Vicarious Visions a fait un travail très propre. Chaque bon sang de pixel des trois premiers jeux Crash Bandicoot a été rebâti avec la patience infinie d’un constructeur de Tour Eiffel en allumette. A quelques niveaux bonus et quelques fioritures près, la Crash Bandicoot N.Sane Trilogy c’est la même chose, mais avec une charte graphique s’éloignant des polygones approximatifs de 1996 pour les remplacer par de la 3D un peu générique de 2017. Ni beau ni moche et fidèle en tout point à un univers dont la direction artistique, déjà à l’époque, ne brillait pas par son bon goût. Jungle ocre et marronnasse, niveau neigeux aux texture douteuses, niveaux « historiques » de Crash 3 au rococo digne du Cesar Palace de Las Vegas : c’était douteux à l’époque, c’est moche maintenant. Mais pour peu qu’on ait été un enfant dans les années 90, on peut se laisser séduire par cette vieille couverture élimée et rapiécée, imitation Ikea vintage des sensations d’alors.
Mais Vicarious Visions (et a fortiori les petits studios ayant effectué les portages Switch et PC) ont surtout pris un soin méticuleux à ne surtout pas toucher à ce qui faisait de la série Crash une série acceptable il y a 20 ans, mais effroyablement datée aujourd’hui : son gameplay. Avec une latence de près d’une demi-seconde sur les inputs des commandes, du moins sur la version Switch, une inertie des sauts et des déplacements du personnage qui confine au grotesque, des zones de collision qui semblent aléatoires et une balourdise générale de l’ensemble, le joueur est dérouté. On y retrouve le même genre de problèmes que dans des platformers opportunistes et fauchés à la Gianna Sisters et autres Bubsy : l’impression de commander un sac à patate lancé à pleine vitesse dans un flipper malade.
Tout le déplaisir de cette terrible expérience est multiplié par un game design effroyable. Les courses-poursuites où Crash se retrouve coursé par des boulets furieux ? Illisible. Les phase de déplacements en véhicules ? On croirait surfer sur des vagues en savon. Les enchaînements de rebonds sur des animaux sauvages pixélisés ? Presque aussi ratés que s’il s’agissait de vrais. Oui, Vicarious Visions a produit une copie plutôt conforme au produit original, déjà plombé à l’époque par toutes ces approximations et ces choix curieux. Que ce soit le choix du développeur ou non, le fait qu’Activision ait considéré qu’il ne fallait rien toucher me semble assez inconséquent. N’avoir choisi de ne dépoussiérer aucun aspect du gameplay et de la réalisation très datée de la trilogie rend l’ensemble assez misérable en face d’une concurrence riche en Celeste, Super Mario Odyssey, ou même face au pauvre Knack sorti avec la PS4 en 2014. Il y a un intérêt mercantile évident à ressortir les jeux Crash, et le faire dans un « 3-en-1-pour-pas-plus-cher » est dans ce contexte louable, mais ludiquement parlant, quelle pauvre proposition !
Ce qu’il reste à Crash Bandicoot vingt ans plus tard.
Voilà bien de l’acharnement envers le malheureux marsupial, qui n’en a guère besoin, déjà handicapé par ses baskets de clown, son jean slim et sa gueule de demeuré hydrocéphale sorti d’un graffiti dans les toilettes des studios Dreamworks. Il faut reconnaître certaines qualités à la trilogie, tout de même, outre la générosité du contenu. Bien que développés dans la précipitation et bourrés de problèmes, Crash 2 et 3 sont incontestablement meilleurs que le premier. Plus variés, moins approximatifs, plus drôles, ils se retraversent avec beaucoup plus de plaisir que le péché originel. Crash Bandicoot est une série qui a incontestablement progressé avec le temps sous la houlette de ses développeurs originaux. On n’en dira pas autant des ultimes épisodes (Crash of the Titan et compagnie), jeux fossoyeurs qui réussissaient l’impossible exploit de rendre l’univers et le gameplay de Crash Bandicoot encore plus confus.
Les menus ajouts consentis par cette copie quasi conforme ne sont pas non plus inintéressants. Sous la forme de quelques niveaux bonus, accessibles dès le début du jeu, ils se présentent sous la forme de die and retry beaucoup plus énervés que les standards habituels de la série. Et pour les grands amateurs qui voudraient boire le calice jusqu’à la lie, un mode contre la montre a été implémenté, car qui n’a pas pour rêve secret que de devenir le plus grand speedrunner de Crash Bandicoot, je vous pose la question.
Ce n’est certes pas grand chose, mais mis bout à bout, les petits riens de cette réinvention des trois premiers Crash Bandicoot (graphismes adaptés, bande son nettoyée, quelques niveaux bonus, trois jeux complets…) justifient sans mal l’existence du projet Crash Bandicoot N.Sane Trilogy ainsi que ses portages sur PC et sur la console hybride de Nintendo. Reste qu’il s’agit d’un titre à ne pas acheter sans avoir au corps chevillé une très, très forte nostalgie des premiers platformers 3D avec ce qu’ils comportent d’imprécisions et de balourdise. Mais si vous êtes un fan inconditionnel du prodigieux Crash, il est à peu près certain que vous avez déjà acheté cette compilation. Et personne ne vous juge.
En recréant méticuleusement de A à Z les trois premiers jeux Crash Bandicoot pour la compilation N.Sane Trilogy, Vicarious Visions a fait un travail tout à fait correct. Hélas, cette copie conforme importe également les énormes défauts qui plombaient les jeux Crash dès le départ : gameplay approximatif, difficulté mal dosée, direction artistique ringarde, game design peu inspiré… Dommage que le projet n’ait pas été l’occasion de repenser certains aspects de ces jeux qui demeurent encroûtés dans des problèmes récurrents des premiers platformers 3D, dans une année 2018 où la concurrence en la matière est plutôt rude.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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