Candleman : The Complete Journey est un très beau jeu de puzzle-plateforme 3D développé par le tout jeune studio chinois Spotlightor. C’est leur premier jeu. Divisé en chapitres et sous chapitres, il se veut narratif, avec la quête initiatique d’une petite bougie à la recherche d’elle-même. Mais des défauts de traduction gâchent l’immersion et c’est dommage parce que le message qu’il délivre est grandement philosophique, voire même d’une sagesse millénaire. Venez avec moi, je vais vous en parler un peu. Oh et attention : il y a du spoil. Mais pas de poils. On sait tous que les poils ne résistent ni à la cire ni au feu, et comme on incarne une bougie… CQFD.
Leçon n°1 : Le respect des cultures
Cette première leçon traite des points négatifs du jeu que le studio Spotlightor ne devra plus faire dans ses prochains opus. Il y en a trois principaux. Le quatrième est court : il aurait fallu mettre moins de chapitres parce que ça délaye tellement l’histoire qu’on finit par ne plus savoir pourquoi on joue.
Le premier reproche : pourquoi « man » dans le titre ? On incarne UNE petite bougie, quoi ! En chinois, il n’y a pas de genre dans la grammaire. Très bien. Mais ils n’ont pas pensé aux problèmes que ça crée dans les autres pays où la langue est genrée ! Ils auraient donc pu choisir Tiny Candle, ou Candlegirl (admettons, s’ils voulaient vraiment genrer, parce que Candlewoman, c’est trop long), ou Candle-tout-court, tiens. Mais non. Donc pourquoi avoir choisi « man » ? C’est très marquant, quand même. J’imagine la réunion pour trouver le nom du jeu, et par là-même, du personnage : « – La bougie sera un homme ! – Oh ouais ! Trop bonne idée même si ça n’a aucun sens ! »… Bref, c’est pénible pour faire les accords. Candleman est-elle une bougie ou est-il une bougie ? Ok, peut-être que c’est aussi un problème de la langue française trop centrée sur une dualité sexuelle discutable.
Le second : quand on fait un jeu à tendance narrative, on fait vraiment attention à ne pas utiliser la traduction Google pour les textes. Ça craint à mort : on a l’impression que le produit n’est pas fini (et qu’on se moquerait pas un petit peu de nous, quand même ? 15 euros, ça reste 15 euros, surtout en période de crise financière infinie). Sur un plan marketing, c’est mauvais. Sur le plan culturel, ça froisse l’égo. Comme c’est un petit studio, on va mettre ça sur le manque de moyens pour obtenir les services de traducteur.trice.s compétent.e.s. Mais faudra pas nous la refaire au prochain jeu, s’il y en a un.
Le troisième : pourquoi une configuration non négociable du clavier en QWERTY ? Tout le monde n’a pas de clavier QWERTY (ou de manette sous la main, ou envie de configurer son clavier juste pour l’occaz) ! Il faudra dire à Spotlightor qu’il existe un principe de base très pratique : donner le pouvoir aux joueur.euse.s de configurer ses propres commandes. Est-ce que c’est facile à mettre en place ? Aucune idée. Est-ce que c’est essentiel quand on veut toucher le plus large public possible ? OUI !
Leçon N°2 : Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers Candleman
Le jeu commence quand une petite bougie se regarde dans un miroir et prend conscience d’elle-même. Elle se regarde et elle se demande pourquoi elle brûle, comme ça, sans raison, et pourquoi les autres non. « Pourquoi suis-je différente ? » Elle décide de s’éteindre pour s’économiser, et part chercher la réponse à cette question essentielle qu’on se pose tous un jour. Car c’est une vérité universelle : nous sommes tous différents les uns des autres. En découle une autre question : quoi en faire, au final, de cette différence ?
C’est exactement ce que se demande la petite bougie, très rapidement. Et tandis qu’elle déambule sur le ponton d’un bateau, elle découvre une lumière bleue au loin, celle d’un phare. Elle décide alors de le rejoindre, et en cours de route, se met à rêver de devenir comme lui, un guide dans la nuit.
Et nous voici à diriger cette petite bougie vers son but, dans de très beaux décors chargés de symbolisme. Déjà, l’obscurité. L’obscurité est partout. La vie est la lumière, la mort est l’obscurité. De l’obscurité naît la lumière et inversement. Le néant menace perpétuellement la Vie. Mais surtout, l’obscurité rend les décors bien plus lumineux sur l’écran.
Il y a aussi beaucoup d’eau dans laquelle la lumière se reflète. L’eau représente également la vie, la matrice, mais aussi l’inconscient. L’eau peut détruire notre avatar comme le feu, le noyer définitivement (et ça va arriver plusieurs fois), tout comme l’inconscient peut nous engloutir et nous mener à notre perte, en vrai.
Puis les livres. Les livres sont le Savoir (avant Internet et après Internet). Une des cales de ce bateau qu’on traverse est digne de la Bibliothèque d’Alexandrie. Confucius a dit : « Étudier sans réfléchir est vain, mais réfléchir sans étudier est dangereux ». Candleman le sait, cela ne fait aucun doute, vu le nombre de bouquins qu’il gravit !
Ensuite, il y a le feu, symbolique de la colère, du désir, de la destruction. Le feu est fascinant pour l’humanité, à tel point que dès le départ, quand on voit qu’on peut allumer la bougie comme on veut alors que tout est sombre, eh bien on ne résiste pas à la tentation d’appuyer longtemps sur la touche qui fait s’allumer la mèche. Bim. Première mort stupide. Elle ne brûle que 10 secondes. Après, il n’y a plus de cire. Pourquoi une telle précision ? Parce que le jeu a été imaginé pendant les 48 heures du Ludum Dare en 2013, et que le thème était « 10 secondes ». Basiquement. Revenons à notre bougie. Candleman doit surtout réussir à dépasser sa colère de ne pas encore être un phare ou de ne pas être né (nu) phare.
La petite bougie s’aventure aussi dans une forêt, à la suite du naufrage du bateau. La forêt est le lieu de transformation par excellence dans toutes les littératures et représente l’inconscient en psychanalyse. De toute manière, ça se rejoint : pour se transformer, il est nécessaire d’explorer son inconscient. Armée de ses petites jambes et de son courage, notre bougie se croit tout près de la réussite. Là, elle croise à nouveau son reflet dans un miroir. Elle se voit en mini-phare bleu, et se perd dans ses désirs narcissiques de puissance.
Ce niveau est particulièrement intéressant, puisqu’on la suit dans son esprit échauffé : tantôt on est dans le miroir à incarner la bougie-phare, tantôt on joue la bougie tout en devant se fier aux désirs reflétés dans le miroir et qui font apparaître un chemin qui n’existe pas. Si on allume la lumière, la bougie reprend conscience. Tout disparait alors et on peut tomber dans le vide. Il faudra d’ailleurs jouer sur cette dualité psychique pour terminer ce chapitre. Une sorte d’application du De l’autre côté du miroir de Lewis Carroll, en somme.
Le thème du reflet et du miroir est d’ailleurs très présent dans le jeu. Il débute sur la prise de conscience devant son reflet, perd ensuite le joueur dans les désirs de son avatar, qui comprend enfin son essence et quelques unes de ses capacités en voyant son reflet dans un miroir de glace, plus tard. Autant de seuils à franchir pour que la petite bougie sache qui elle est vraiment.
Puis il y a le final du chapitre 9, celui par lequel cette expérience vidéoludique s’est terminée sur la Xbox One avant la sortie de l’extension de trois chapitres. Sur Steam, l’histoire est complète.
Dans ce faux-final point d’orgue de l’histoire, on assiste à la rencontre de notre avatar avec le maitre-phare. La petite bougie se retrouve face à son désir d’être, et elle doute. Elle prend même peur. Ce n’est pas ce qu’elle croyait. Trop froid, trop gros, trop vorace. Elle se sent trop petite, vulnérable, et craint de se dissoudre dans ses rêves et désirs. Elle doit fuir.
C’est un passage très angoissant d’ailleurs, avec une musique qui m’a rappelé celle du film Silent Hill. Si j’avais dû finir ce jeu là-dessus, j’aurais été choquée. Mais heureusement, non. Il y a une fin moins pessimiste. Elle ne termine pas folle, notre petite bougie ! Ni mangée par le méchant phare ! Il reste utile d’apprendre à se connaître et à avoir des rêves ! Tout est dans la connaissance de soi, et de savoir prendre du recul.
Leçon N°3 : Ce qui compte, ce n’est pas la destination mais le voyage
Eh oui. Tout bon philosophe vous le dira. Et les trois derniers chapitres le prouvent. Ils sont totalement imprégnés de culture chinoise, et sont particulièrement nécessaires pour ne pas déprimer, le jeu fini. Dedans, on y croise des feux d’artifices et des lanternes volantes qui nous aident à sortir du gouffre, à prendre le recul nécessaire sur ce que nous avons accompli, petite bougie et joueur.se épuisé.e. Et la morale est très confucéenne.
Avec ce véritable final, on comprend ce qu’il s’est passé durant ces longues heures de jeu, pourquoi on s’est fait chier à allumer autant de bougies partout durant des niveaux parfois interminables. Cela donne enfin une raison valable aux morts où on réalise une action en kamikaze pour allumer une bougie alors qu’on ne sait pas vraiment à quoi ça sert de le faire. J’ai appelé ces morts « m’en fous, je l’ai allumée ».
Oui, ça y est : elle sait qui elle est, quel est son rôle, ce qu’elle peut apporter aux autres. Et nous, on a aidé la petite bougie à devenir ce qu’elle voulait être, mais selon des critères différents. Elle n’est peut-être pas le beau phare bleu dans la nuit, mais elle devient un guide à part entière. Grace à son voyage intérieur, elle se comprend et peut donc enseigner à son tour. Exactement comme le préconise Confucius.
Contrairement à ce que sa fuite devant le monstre pouvait suggérer, elle a bel et bien réussi à dépasser le maître, au sens propre (puisqu’elle est très haut dans le ciel à ce moment-là) comme au figuré. Ce processus est très bien vécu en Extrême-Orient, alors qu’en Occident, les maitres n’aiment pas être dépassés, parait-il. Une sombre histoire d’orgueil… Candleman devient ici un guide bien plus subtile, plus chaleureux que le phare. Et ce qui compte, ce n’est pas vers où il s’envole à la fin, mais ce qu’il a accompli, son voyage, ce filet de lumière qu’il laisse dans l’obscurité. Son enseignement pour les générations futures. C’est très touchant.
Cette histoire de Candleman, si elle n’avait pas été autant alambiquée et maltraitée par une mauvaise traduction, aurait pu être une excellente expérience vidéoludique. Là, l’effort d’aller jusqu’au bout du jeu a été pénible. Mais c’est un peu le propos, au final : dans la vie, on veut des trucs, on en chie, on doute, on a peur, on fuit, on contourne, et quand on peut enfin regarder en arrière, on a finalement de quoi être content.e. En tout cas, il est vraiment beau. Ça, on peut pas dire le contraire. Et l’ambiance est très bien rendue par la musique naturelle qui accompagne parfaitement les scènes. Espérons que le studio Spotlightor va s’améliorer sur les points négatifs cités plus avant. Ils ont déjà de sérieux atouts pour développer de véritables pépites.
bob thebob
Mes parents ont trouvé ça drôle de m’appeler Bob, notre nom de famille étant Thebob. Ça vous en bouche un coin ? Moi pas. Pour une raison simple : je n'en ai pas, de coin. Du coup, même si je
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