Cela ne nous rajeunit pas, mais cela fait près de dix ans que Bravely Default premier du nom est venu hanter nos 3DS. Développé pour Square Enix et Nintendo par un Silicon Studio assemblé de bric et de broc pour faire du neuf avec du vieux, le jeu s’était plutôt bien vendu, sans vraiment convaincre. La faute à une seconde moitié de jeu les plus calamiteuses de l’histoire du JRPG. Sa suite directe, Bravely Second, n’avait pas spécialement relevé le niveau. Des ventes correctes, et une chute dans l’abîme des jeux oubliés aussitôt terminés. Autant dire que nos attentes pour Bravely Default II (le troisième de la série, donc) étaient tièdes.
Ce qui avait frappé tous les joueurs qui s’étaient acharnés à finir les deux premiers épisodes, c’était à quel point sous une montagne de bonnes intentions vouées à apporter une touche de modernité au JRPG des années 80 en dépoussiérant ses mécaniques, Silicon Studio manquait de moyens. Ces jeux avaient une ambition folle, qui s’avérait particulièrement à l’étroit dans un nombre d’environnements réduits et un système de donjons étriqués qui finissait en boucles temporelles et en allers-retours bien pratiques pour masquer leur manque de diversité. Comme si le scénario était sacrifié sur l’autel de la technique. Bravely Default II était l’occasion, d’aucuns diraient la dernière chance, de proposer cette alliance de nostalgie et d’air du temps sans pour autant se cogner dans les murs d’un jeu trop étroit. A ma grande surprise, bien que loin d’être parfait, Bravely Default II abandonne tout ce qui plombait la série, en sublime le meilleur, et propose une expérience délicieusement addictive et attachante.
Magie et Cristal
Le scénario de Bravely Default II est tellement classique et désuet qu’il en apparaît presque original, tant ce genre de trame naïve et simpliste est devenue une denrée rare : un jeune marin échoué rencontre par hasard une princesse en exil et deux mercenaires de passage, et en deux coups de cuiller à pot et une défaite cuisante contre un méchant très méchant plus loin, les voila intronisés héros légendaires, mobilisés pour récupérer quatre cristaux élémentaires et réparer l’équilibre entre les royaumes, menacés par des catastrophes naturelles et des guerres ourdies par des méchants encore plus méchants. De ce point de vue, Bravely Default II nous rappelle qu’il est l’héritier direct des premiers Final Fantasy : de la fantasy simple et fourre-tout, une quête axée sur des bidules à retrouver, et un bon prétexte pour aller arpenter des donjons un peu partout dans des zones stéréotypées.
Là où Bravely Default n’a pas oublié les qualités (car ils en avaient) des jeux précédents, c’est dans le soin apporté à soigner ses personnages jouables, quatre clichés sur pattes certes, mais plutôt bien écrits et dont la dynamique de groupe est plutôt réussie dans son évolution. Les cutscenes font mouche, les personnages secondaires sont nombreux et plutôt agréables, les adversaires rivalisent de méchanceté et de plans démoniaques… Du conte de fée classique mais solide, servi par une direction artistique plutôt bien pensée, avec ses villages en superbes dioramas que l’on peut zoomer et dézoomer à l’envie. On admire aussi la capacité de Bravely Default II à nous mettre un, parfois deux compagnons de route supplémentaires, qui donnent une coloration particulière à tel ou tel chapitre du jeu.
Bien sûr, difficile de conseiller cette intrigue simplissime à ceux qui affectionnent les RPG pour leur profondeur et leur subtilité, on est assez loin d’un Disco Elysium dans le ton comme dans le fond. Mais si vous avez été sensible à des initiatives comme Destiny Connect : Tok Tok Travelers paru l’an dernier, ou d’autres expériences simples, abordables et rétro, le scénario de Bravely Default II vous parlera assurément… Tout en gardant à l’esprit qu’il est surtout au service d’un système de combat omniprésent et d’une montagne de quêtes secondaires nécessitant de looter, grinder, et recommencer. Car c’est aussi ça, les jeux d’antan.
Pourquoi tu te trouves pas un job ?
Au final, ce avec quoi vous allez le plus dialoguer pendant votre partie de Bravely Default II ce ne sont pas les personnages, mais les subtilités du système de combat, intégralement basé sur la possibilité que les quatre personnages jouables ont de changer de job à la volée. Davantage que sur les simples niveaux (qui montent assez vite et influent sur les statistiques de base), le nerf de la guerre de tout le gameplay du jeu sont les points de compétence, qui permettent de faire progresser les personnages dans leur métier principal (chaque personnage pouvant choisir un métier secondaire, dont l’XP ne progresse pas). Tous les quelques niveaux, les compétences passives débloquées par les points de compétence (bonus d’XP, capacité à détecter les coffres, bonus sur certains styles de combat…) peuvent être conservées et ainsi faire bénéficier de gros avantages permanents lors d’un changement de job, et ainsi de suite jusqu’à pouvoir produire, mettons… Un ninja, avec des compétences passives de sorcier et de dresseur, et les compétences de combat secondaire d’un mage blanc.
Le jeu incite fortement (mais de manière très progressive) à construire des builds dont l’efficacité peut parfois confiner au délire, pour peu qu’on arrive à associer les bonnes compétences et des accélérateurs de gain d’xp liés à certaines classes. En réalité, le niveau de difficulté du jeu est quasiment inscrit de manière discrète dans ce système de jobs : pour peu qu’on mette un peu le nez sous le capot, on transformera son équipe en horde de bulldozers hors de contrôle… Et pour peu qu’on ne le fasse pas assez, on pourra se retrouver totalement démunis face aux boss du jeu, particulièrement résistants ou brutaux. En réalité, le fait même de grinder ou d’enchaîner les combats dans Bravely Default II perd vite tout intérêt si on ne joue pas avec ce système de métiers, tant les seuls gains d’XP ne suffisent pas à faire la différence face à un build bien optimisé.
C’est une proposition très clivante, en ce qu’elle peut rendre le jeu particulièrement déséquilibré pour des joueurs peu désireux de triturer les mécaniques de montée en puissance et qui préfèrent se laisser porter par l’aventure… Et peuvent donc se retrouver face à des murs de difficulté absurdes lors de moments clés de l’intrigue, particulièrement après les deux premières zones, au bout d’une dizaine d’heures, quand le jeu enlève définitivement les petites roues et vous laisse pédaler tout seul. De plus, cette nécessité de jongler entre les métiers et les équipements des personnages influe forcément sur le rythme de l’aventure… Probablement ma plus grosse réserve sur le jeu.
Mou et speed à la fois
Bravely Default II est un jeu qui donne l’étrange impression d’être à la fois très rapide et horriblement poussif. Au cœur du système de combat on retrouve la possibilité de tout passer en vitesse double, triple ou quadruple, rendant les confrontations mineures ultra vives. De même, le système de Brave et de Default permet d’accélérer encore la plupart des affrontements : le « Brave » vous permet d’attaquer plusieurs fois d’affilée en dépensant des « Brave Points » (quitte à ne plus pouvoir attaquer pendant plusieurs tours ensuite). Le « Default » lui, vous permet de vous défendre pour stocker davantage de Brave Points… Ce qui signifie que vous pouvez, en début de combat, attaquer jusqu’à 16 fois de suite, et passer ces attaques à la vitesse quadruple, réduisant à quelques secondes des combats qui prendraient en temps normal deux, trois ou cinq minutes.
En revanche, ces combats ultra nerveux (qui ne tournent en guerre d’attrition que si votre équipe est mal optimisée) sont tout de même plombés par leur nombre beaucoup trop élevé dans des donjons pas toujours très intéressants, et une progression dans l’aventure qui s’avère souvent frustrante : pour progresser, le joueur est sans cesse lourdement incité à accomplir de nombreuses quêtes secondaires, dont les récompenses en valent souvent la peine et facilitent l’aventure… Mais ces dernières nécessitent souvent beaucoup de combats supplémentaires et d’allers-retours fastidieux. Ces derniers ayant été eux-mêmes raccourcis par un système de caravanes et de téléporteurs basique mais efficace. En somme, on oscille sans arrêt entre l’impression que tout a été fait pour que l’aventure ne soit jamais lente ni frustrante, tout en tombant régulièrement dans des ventres mous d’une heure ou deux où l’on ne fait rien de bien passionnant. Cependant, cet équilibre imparfait mis à part, on sent que la formule est enfin maîtrisée : Bravely Default II est ce que toute la série aurait dû être, et c’est une heureuse nouvelle.
Bravely Default II a été testé sur Switch, via une clé fournie par l’éditeur
Bravely Default II ne plaira pas à tout le monde. En réalité je ne suis même pas sûr qu’il soit fait pour plaire à grand monde en dehors d’une niche de nostalgiques en quête d’une expérience de RPG complètement désuète, mais adaptée aux besoins d’un jeu vidéo contemporain. Néanmoins, pour la première fois depuis longtemps dans un projet éditorial de cette nature porté par Square Enix, et assurément pour la toute première fois dans la série, Bravely Default II est une authentique réussite de modernisation des JRPG de l’âge d’or des premiers Final Fantasy, et c’est difficile de penser que ce n’est pas une excellente nouvelle pour le catalogue de la Switch, qui manque cruellement de jeux réussis dans ce registre précis.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
Articles similaires
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024
Great God Grove - Queer et élastique
nov. 11, 2024