C’était une sale nuit. Je l’ai pas vu venir ce blanc-bec, il parlait bien, il était beau comme un ange et m’a promis le jackpot, l’apogée d’une carrière. Il était drôle aussi, et terriblement malin, trop malin pour être honnête si vous voulez mon avis et ce n’est pas la suite qui va me donner tort. J’ai été assez con pour le suivre cet enfant du diable, et ce salopard, il a bien failli avoir ma peau. Une sale nuit je vous dis.
Ça faisait des années maintenant que je traînais ma carcasse d’un coup à un autre, toujours en binôme, toujours le même déchaînement de violence poisseuse et insensée. Mes faits d’armes, je les avais vécus en compagnie d’Hotline Miami, le meilleur partenaire que j’aurais pu imaginer pour débuter, un grand type, complétement fracassé et impitoyable, autant avec moi qu’avec ses victimes. Mais il m’a formé. Derrière chacune de ses punitions, un enseignement, marqué au fer rouge dans mon esprit et mon égo. Sa violence, en apparence si gratuite, si abjecte, si profondément brutale, avait pourtant pour but de me faire réfléchir et de me ramener à mes propres envies et méthodes, à mon propre rapport à la mort et au meurtre. J’ai fini par bosser avec d’autres types, solides hein, mais pas un seul n’a pu un jour lui arriver à la cheville, pas même son rejeton. Oh, on a bien eu nos heures de gloire avec Ape Out, le gaillard s’est vite rangé, mais je n’oublierai jamais sa bestialité et son efficacité. Un grand amateur de jazz, vous l’imaginez ça ? Les gens sont surprenants. J’ai fini ces dernières années par bosser avec des ptites frappes, par dépit, des gars sérieux, mais rien dans le bide. Je ne vous oublierai pas The Hong Kong Massacre, My Friend Pedro, vous n’étiez pas de mauvais bougres, juste pas à la hauteur.
La nuit du trappeur
C’est là-dessus que l’autre a ramené sa fraise. Il est sorti de nulle part, il s’est dit Québécois, mais je pense qu’il venait tout droit de l’Enfer. Bloodroots il s’appelait. Avec sa belle gueule, ses bons mots et son talent certain pour la musique de western, on s’est direct entendus. Il voulait se venger de son gang qui l’avait laissé pour mort et ne trouverait pas de repos tant que ces trois raclures respireraient encore. Alors je l’ai suivi, ça allait me dérouiller un peu. Ça a super bien commencé, le gars était nerveux, rapide et complètement imprévisible. N’importe quel truc qui lui passait sous la main, il s’en servait pour éclater ses opposants. J’ai vu des hordes de soldats périr sous les coups de carottes et de choux, de tonneaux et de boules de neige. Oh il savait rester conventionnel, et maniait parfaitement le sabre et le revolver, mais ce malade prenait un malin plaisir à amuser la galerie, avec ses pagaies mortelles, ses chaussures géantes et ses exécutions débiles au ralenti. Plutôt poseur le loustic, mais qui ne l’aurait pas été à sa place.
Très vite, j’ai senti qu’un truc clochait. J’ai vu un saut foireux nous faire tomber dans un précipice, un ciblage d’ennemis imprécis nous faire passer bien trop près du décès, une arme mal ramassée nous laissant démunis face à l’adversaire. Mais j’ai choisi d’ignorer ces signaux, il était si drôle, si beau, si rempli de bonnes intentions. Il s’amusait bien, et moi aussi. Mais les choses ont commencé à se gâter, les ennemis se sont vus plus nombreux, plus organisés, plus armés aussi. Je sais pas qui il avait fâché, mais les gars en face étaient de plus en plus remontés. Et lui de plus en plus gauche et imprécis. Tout chez lui devait aller vite, le déplacement, le changement d’armes, l’attaque, le mec se rêvait Hotline Miami – ô qu’il le vénérait, il avait repris sa tendance à compter les points et se donner une note à la fin d’un coup et voulait lui ressembler au point de mettre des chapeaux d’animaux pour changer sa façon de combattre – mais pour cela, il aurait fallu de la dextérité, de la précision. Il lui aurait fallu la rigueur nécessaire à l’exécution de telles exigences. Et Bloodroots en manquait cruellement.
Pire est le loup
Il ne m’avait pas fallu beaucoup plus de temps pour également comprendre qu’il ne ramassait pas ses armes au hasard, comme on aurait pu le croire au premier abord. Alors qu’on enchaînait les massacres, le terrain devenait toujours plus escarpé et dangereux ; les ennemis, toujours plus précisément agencés ; et ses outils de mort ne servaient plus seulement qu’à tuer, mais à se déplacer. Avec un sabre, il pouvait traverser un précipice, une perche lui permettait d’accéder à des plateformes en hauteur et comme cet idiot refusait d’utiliser trop souvent les mêmes objets, il fallait s’en servir avec parcimonie. Moi qui étais venu pour de l’action décérébrée, je me retrouvais face à des puzzles de plus en plus complexes pour plier à ses règles et exigences. Et une fois encore avec lui, cet aspect m’a directement emballé, c’était malin, c’était neuf, c’était inventif. C’était sans compter son éternelle tendance à se jeter dans des trous, à aller trop loin après une attaque, à glisser, taper à côté, bref, à rater méthodiquement tout ce qu’il entreprenait pour me divertir.
Et il en a tenté plein des choses, pour ça, difficile de lui reprocher de pas être créatif. Parfois ça a marché, comme quand il a traversé une mine à l’aide de feux d’artifices, faisant office de jet-pack, ou quand il a massacré un village en chevauchant un ours, mais la plupart du temps il se prenait les pieds dans le tapis en voulant faire le zouave. Changer le point de vue par exemple, ah ben oui, de haut ou de profil il était toujours aussi beau, mais ça ne le rendait pas beaucoup plus talentueux le lascar, pire même, ça rendait l’action plus compliquée à suivre et les sauts, plus durs à doser. Au bout d’un moment, il s’est lui-même lassé de ses pitreries, et certaines arènes se sont simplement réduites à bourriner en espérant que ça passe. Oh ça finit toujours par passer hein, au prix de centaines d’essais et d’échecs, au cours desquels je n’ai rien appris d’autre que la seule stratégie à porter ses fruits serait la force brute et la chance.
J’ai fini par arrêter de les compter ces échecs, quand j’ai pris conscience que Bloodroots et moi n’étions pas partenaires et que plus que nos adversaires, c’était bien contre lui, que je me battais. C’était lui qui me tirait dans le dos, lui qui était à l’origine de la grande majorité de mes échecs, lui qui impitoyablement, me faisait tomber, de par sa gaucherie et ses approximations, pour finalement me juger et me noter. Bloodroots était malveillant envers moi, j’avais fini par en avoir la conviction intime. Oh bien sûr, mon fusil était probablement plus grippé qu’à une époque, et nombre de mes ratés me sont imputables, il faut bien le reconnaître, mais leur proportion est bien faible en comparaison du nombre de fois où cet enfant de salaud m’a plongé la tête dans la boue en hurlant. À de rares occasions cependant, il m’a offert de courts instants de répit, en allant casser des épouvantails (mais c’était chiant à mourir) ou pendant les confrontations avec ses anciens compagnons. Sa haine envers eux, visiblement plus forte qu’envers moi, m’a laissé le champ libre pour me battre sans entraves et, je dois bien l’avouer, dans ces moments-là nous avons fait un duo d’enfer.
Bloodroots a été testé dans les larmes et le sang sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Je voulais l’aimer. J’aurais dû l’aimer et durant de rares et précieux instants, j’ai entrevu tout ce dont Bloodroots était capable, tout ce qu’on aurait pu vivre et accomplir ensemble. Il m’a berné avec tous ses artifices, sa variété d’armes et de mouvements, son charisme et sa belle gueule, son histoire si plaisante à découvrir que malgré tous ses mauvais traitements, je l’ai suivi jusqu’à la fin, en dépit de la douleur, de la frustration et de la colère. Alors que notre ultime opposant rendait son dernier souffle, j’ai profité de son inattention pour fuir. Bien sûr, il m’avait promis plus d’aventures, plus de meurtres, en retournant sur les lieux de nos crimes pour me juger encore et encore, me proposant toujours plus de chapeaux d’animaux à porter et de loups à rechercher. J’ai réussi à briser son pacte et me défaire de son emprise, et vous qui me lisez, prenez garde, si, par une sale nuit, vous avez le malheur de croiser son chemin.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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