Premier jeu du studio LABS Works assemblé pour l’occasion par Matt Kap (Castle in the Darkness), Astalon est un metroidvania à l’ambiance de dark fantasy particulièrement soignée, misant beaucoup sur son système de personnages complémentaires.
Autant vous prévenir : il ne sera pas simple de vous rendre un avis tranché sur Astalon : Tears of The Earth, tant le résultat a l’air d’une monstrueuse créature bicéphale. D’un côté, nous avons un solide jeu d’action et de plateforme avec une réalisation soignée, des combats nerveux, et un scénario accrocheur. De l’autre, on retrouve une expérience détestable en termes de rythme et de courbe de difficulté, poussant l’absurde jusqu’à vous forcer à farmer des heures pour obtenir des fonctionnalités de base. Nous avons là un titre illustrant parfaitement la différence entre de l’assurance qualité destinée à chasser les bugs et le retour critique de l’expérience de jeu en elle-même, qui nécessite un minimum d’équilibre.
Ce que le jeu fait bien : proposer un univers accrocheur dans une ambiance soignée
Astalon : Tears of the Earth vous plonge in medias res à la tête d’une troupe de trois aventuriers dans un monde post-apocalyptique : quelques générations après une fin du monde que l’on suppose d’origine technologique, un village de survivants voit son eau portable empoisonnée par une gigantesque tour que l’on dit maudite et hantée. Ni une ni deux, nos trois aventuriers (un sorcier, un guerrier et une archère comme le veut la tradition) tentent de gravir la tour… Pour être immédiatement massacrés par l’un de ses plus redoutables gardiens. Un pacte avec le démon plus loin, vous voici doté d’un pouvoir de faire vivre à votre équipe une boucle temporelle. A chaque mort, vous pourrez dépenser votre or durement acquis en augmentation de statistiques ou en fonctionnalités bonus (nous y reviendrons), et tenter d’arriver au sommet de la tour. Au cours de l’aventure, d’autres personnages (Simon Belmont et Captain Toad avec à peine une fausse moustache) vous rejoindront dans vos aventures.
Bien entendu, à la manière d’un Lost Vikings ou de Castlevania: Portrait of Ruin, tout va résider dans les différentes capacités complémentaires de vos compagnons : les munitions du mage peuvent traverser les murs et les portes, le guerrier frappe fort au corps à corps, l’archère saute plus haut et tire plus loin, le chasseur de trésor est le seul à pouvoir attaquer vers le bas, etc. Une bonne partie de la progression du jour est ainsi rythmée par votre capacité à employer le bon équipier au bon moment, de nombreuses zones ne pouvant être atteintes que par l’un ou l’autre des personnages. Les différents trésors trouvés au cours de l’aventure vont progressivement doter les loustics de capacités complémentaires : renvoyer les projectiles, escalader les murs, combattre des morts-vivants, éteindre des flammes, etc.
Point notable, et qui aurait pu être une bonne idée (là encore, nous allons y revenir) : contrairement à la plupart des metroidvania et des roguelites, Astalon : Tears of the Earth ne propose quasiment aucune mécanique pour regagner de la vie, à l’exception de moments scriptés précis et de quelques objets destructibles très coûteux à reconstruire. Bref, à chaque run, vous n’avez pour vous qu’une unique barre de vie, partagée entre les différents équipiers.
Tout ce qui concerne l’ambiance du jeu et le feeling des combats est plutôt réussi. La direction très 8-bits fonctionne à merveille, les décors et le bestiaire ennemi sont variés, les combats de boss assez épiques, et le sound design et l’OST du jeu, s’ils peuvent finir par taper sur le système, sont un bel hommage à ce qui se faisait de mieux il y a trente ans. Mieux : le scénario du jeu, mélancolique à souhait, est une excellente surprise. On ne regrette jamais de découvrir de nouveaux pans d’une intrigue de plus en plus désespérée à mesure qu’on s’enfonce dans les entrailles d’une tour évidemment beaucoup plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur, comme tout donjon de jeu vidéo se doit de l’être. Et puis, il y a le reste : le fait que des choix de game design regrettables rendent toute tentative de parcourir Astalon : Tears of the Earth plutôt pénible.
Ce que le jeu fait mal : être rythmé et amusant
Récemment j’ai eu l’occasion de passer quelques heures sur Record of Lodoss War : Deedlit in the Wonder Labyrinth, un des jeux les plus remarqués de l’année dans le genre. Si tout n’y fonctionnait pas très bien, la force de ce jeu était de proposer un rythme effréné et la sensation de n’être bloqué que par son incapacité à passer tel ou tel boss ou à résoudre tel ou tel puzzle, mais jamais par des bugs ou des niveaux mal conçus. Le rythme du jeu était ainsi proche de la perfection. A rebours de cette expérience, Astalon : Tears of the Earth multiplie les décisions incohérentes pour plomber et saborder l’expérience du joueur ou de la joueuse.
Premièrement, la map, immense, nécessite de faire énormément de backtracking : vous allez passer votre temps à grenouiller d’un bout à l’autre des différents biomes de la tour, pour trouver une clé blanche, pour dénicher un objet caché, etc. Rien de grave ou d’inhabituel dans un jeu du genre, mais Astalon : Tears of the Earth a le fâcheux défaut d’avoir dissocié les points de sauvegarde et les rares téléporteurs du jeu. En gros : vous allez (souvent) pouvoir sauvegarder votre progression mais (quasiment) jamais pouvoir respawner à proximité de l’endroit que vous cherchiez à atteindre avant de mourir.
Il en résulte une expérience mal calibrée, de plus en plus frustrante alors que la carte du monde s’étend : certains points nécessitent de traverser dix, quinze, vingt, parfois trente écrans… Pour parfois absolument rien quand vous constaterez à la fin du périple que vous n’avez pas encore le bon item pour progresser. En résumé : vous allez passer une bonne partie des 20h de jeu à retraverser encore et encore les mêmes salles en bâillant avant la prochaine découverte majeure.
Pire : le système monétaire du jeu, utilisé pour faire leveler (lentement) vos aventuriers s’avère partagé avec… Un menu d’achat d’options purement ergonomiques. Astalon : Tears of the Earth est ainsi le premier metroidvania à ma connaissance qui vous fait par exemple payer… Les marqueurs de portes fermées sur la carte. Une décision catastrophique au regard de la quantité d’argent nécessaire pour progresser : pour rendre le jeu à peu près confortable, vous allez devoir passer de longues heures à grinder et à massacrer les mêmes ennemis en boucle… Jusqu’au dernier tiers de l’aventure, où l’xp se met à pleuvoir d’un seul coup au moindre grouillot abattu.
Des fonctionnalités pourtant basiques comme la possibilité de changer de personnage à la volée arrivent elles aussi tardivement, poussant à retourner encore et encore aux feux de camp parfois éloignés pour la simple et bonne raison qu’on a choisi par hasard d’incarner l’archère et pas le magicien dans telle ou telle série de salles. De même, le fait de passer à quatre puis cinq personnages rend beaucoup plus lourd le fait de changer de personnage en plein combat, ce qu’une simple pause active consacrée à cette action aurait rendu beaucoup plus gérable. Sans ces aberrations conceptuelles ralentissant le rythme du jeu à l’extrême et rendant sa courbe de difficulté illisible, Astalon : Tears of the Earth aurait sans doute duré dix heures de moins. Mais c’eût été un bien meilleur jeu vidéo.
Astalon : Tears of the Earth a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur Xbox One, PS4 et Nintendo Switch.
Il m’est assez rarement arrivé de voir un bon jeu si gâché par des idées de game design farfelues digne des pires pay-to-win : obliger le joueur à respawner à l’entrée du donjon, fournir des fonctionnalités de base en échange d’heures entières de grind, éparpiller les téléporteurs à des endroits éloignés de l’action ou encore recourir à des pièges et des ennemis invisibles forçant presque le joueur à la défaite automatique. Astalon : Tears of the Earth mélange difficulté et entraves au gameplay, misant bien davantage sur une map gigantesque que sur les moyens de la parcourir de manière fluide et agréable. C’est regrettable, car il y avait là les bases d’un grand titre, dont la difficulté aurait pu être placée dans les combats et les phases de plate-forme plutôt que dans l’obsession des développeurs à nous faire passer des heures à marcher sur nos propres pas jusqu’à nous voir trébucher.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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