Cette fois-ci dans Partie Rapide, Shift a traversé l'enfer et le purgatoire avec son groupe de 33 [réf. nécessaire] immortels et Zali essaye de s'échapper de la prison surréaliste de Centum.
33 Immortals
Thunder Lotus, c’est le genre de studio qui aime passer d’un univers et d’un style à l’autre jeu après jeu. Après l’action/exploration en mythologie nordique avec Jotun, le metroidvania lovecraftien avec Sundered, le jeu de gestion narratif sur le thème du deuil avec Spiritfarer, le studio québécois revient avec 33 Immortals, un roguelite multijoueur dans lequel les joueur·euses traversent l’enfer, le purgatoire et le paradis pour affronter un dieu cruel. J’avais prévenu, ça change du cozy game précédent, et j’apprécie toujours quand les studios, à la manière de Klei ou Supergiant, partent explorer d’autres horizons de gameplay, tout en affirmant leur patte jeu après jeu.
Bande de bâtards on est que deux
Car oui, au fil de ses quatre jeux, Thunder Lotus a peaufiné une esthétique qui était déjà très efficace dès Jotun, qui a su s’adapter avec succès aux univers de Sundered et Spiritfarer, et qui fonctionne une nouvelle fois très très bien dans 33 Immortals. J’ai malheureusement pas mal de réserves quant à ce nouveau titre à ma sortie des sessions de test pré-early access, mais s’il y a bien quelque chose qui m’a émerveillé durant toutes mes parties, c’est l’esthétique générale du titre. Ce n’est pas juste joli, c’est une maîtrise vraiment admirable des couleurs, de l’animation, du chara design des créatures, de la mise en scène des zones et boss : on en prend plein la vue, et j’ai régulièrement interrompu mes râleries d’un "Ah ouais c’est beau quand même".

Sauf que, à mon grand regret, 33 Immortals n’est pas un jeu contemplatif comme pouvait l’être Spiritfarer, et souffre à mon sens de deux soucis. Le premier est probablement le moins gênant, puisqu’il est je pense inhérent au statut d’accès anticipé et sera probablement corrigé ou affiné au fil des patchs et du développement : c’est son équilibrage. Tout prend une éternité dans ce jeu qui appelle pourtant à l’action débridée, mais où tous les ennemis ont bien trop de points de vie, tous les objectifs ont trop d’étapes à remplir, où les améliorations sont trop chères. Bref, j’aurais sûrement passé un meilleur moment si tout était allé deux fois plus vite, en particulier durant les premières parties qui sont vraiment laborieuses – ça s’améliore un peu une fois que quelques améliorations définitives sont achetées au hub, ce qui me rassure, mais l’ensemble reste quand même très lent. D’autant que le game feel n’est pas non plus des plus pêchus, que la panoplie de coups et d’attaques de notre personnage n’est pas très fournie et on se retrouve donc à spammer durant des minutes entières les mêmes attaques contre des mobs de base beaucoup trop résistants. Les sessions s'étant déroulées de 23h à 1h du matin, j’avoue avoir un peu lutté contre le sommeil.
Mais tout ça, c’est de l’équilibrage, ou éventuellement de l’ajout de menues mécaniques, et c’est tout à fait probable que ça fasse son apparition dans les mois à venir. J’ai en revanche une inquiétude un peu plus structurelle, plus centrée sur le concept même de 33 Immortals. Avec ce nouveau titre, Thunder Lotus fait le pari du multijoueur, avec une première zone jouable à 33 personnes, une deuxième à 22, etc. Et quand le serveur est rempli, je dois admettre que ça marche plutôt bien, on arrive à peu près à se coordonner pour remplir les objectifs et aller au bout de la zone pour affronter le boss. Sauf qu’irrémédiablement, on perd du monde en cours de route. Et s’il est tout à fait possible de se frayer un chemin jusqu’à la fin du niveau à 12, voire à 6 personnes, vaincre le boss avec cet effectif est quasiment impossible. Et c’est très frustrant de passer 30/40 minutes à battre les douze arènes plus le combat d’ascension avec son groupe de 6, en sachant pertinemment que ça ne sera jamais suffisant pour affronter le boss.

Et c’est vraiment mon problème avec 33 Immortals, j’ai peur qu’il n’arrive jamais à réunir suffisamment de monde pour le rendre jouable et le faire tenir sur la durée. Et autant ça fonctionne en petits comités sur les grandes zones, autant les boss ont été conçus pour être battus par un groupe de 30 et quelques. En termes de design et patterns, c’est très chouette d’avoir imaginé ces affrontements comme une instance de MMO, je n’ai de mémoire jamais vu ça dans un roguelite et c’est assez rafraîchissant, mais dans les faits, c’est très dur de réunir autant de monde en même temps, sans compter que certain·es meurent ou déconnectent avant d’y arriver. Et même dans les zones hors boss, cet aspect multijoueur est parfois un peu bancal. C’est tout bête, mais par exemple, les chambres de torture (des petites arènes) sont limitées à 6 joueur·euses à la fois. Lors d’une de mes parties, nous étions 7. Nous sommes entrés à 6, la dernière personne s’est retrouvée à poireauter dehors en attendant que nous battions le niveau, et a fini par se déconnecter pour aller chercher une autre partie (ou se coucher). Et non seulement ça me fait assez peur pour l’avenir du jeu, qui risque d’être laissé à l’abandon si les serveurs sont désertés, mais ça me fait aussi peur quant à l’avenir de Thunder Lotus, pour lequel les conséquences pourraient être lourdes en cas d’échec, le jeu étant auto-édité, et vu le contexte actuel de l’industrie.

33 Immortals a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
33 Immortals propose un concept audacieux, probablement trop audacieux pour son propre bien et pour l’état du paysage vidéoludique actuel. Quand toutes les conditions sont réunies, on entrevoit l’ambition des devs pour cet étrange MMO-roguelite, et on prend plaisir à voir les barres de vie d’un boss fondre comme neige au soleil. Le reste du temps, on s’ennuie un peu dans des maps trop grandes remplies d’ennemis trop résistants, et on peine à croire que tout cela va attirer suffisamment de monde pour le rendre amusant. J’espère me tromper, ou que le studio trouve un moyen de le rendre viable même avec des serveurs à moitié vides.
Centum
J'ai un amour certain pour la bizarrerie dans les jeux vidéo, et je pense que c'est un domaine exploré de manière plutôt timide par l'industrie. Ok, nous avons chaque année notre compte de jeux un peu surréalistes ou complètement what the fuck. Mais la bizarrerie totale, fébrile, ineffable, en réalité, pas si souvent. C'est un peu le pari fait par Centum, le premier jeu du studio Hack the Publisher.
Soft Loques
Centum se présente sous forme d'un "puzzle RPG d'horreur aventure narratif" ce qui fait beaucoup de mots, et je dois bien dire que le studio aurait été malin d'en supprimer certains. Il apparait en effet rapidement que ce n'est pas exactement de cela dont il est question. Formellement, Centum est surtout un escape game maquillé avec beaucoup, beaucoup de textes bizarres et de retournements de situation perturbants et étranges. Mais il s'agit avant tout, et presque uniquement, de se barrer d'un endroit donné dans un temps imparti en résolvant des énigmes.
L'originalité de tout cela réside en particulier dans le timing : piégé à l'intérieur d'un programme informatique bizarre prenant la forme d'une sorte de point and click rétro, vous avez trois jours pour quitter l'endroit où vous vous trouvez. En l'occurrence : une cellule de prison surréaliste et répugnante, au beau milieu d'une mégalopole tentaculaire. Un délai auquel s'ajoutent rapidement trois journées supplémentaires, généreusement offertes par un mystérieux hacker qui vous prévient que tout ce que vous faites est un mensonge. Au milieu de ces évènements, vous allez rencontrer des rats humanoïdes répugnants, des juges à cinq têtes, des elfes, un pêcheur dans sa cabane, un squelette parlant dessiné sur un mur, et j'en passe. Et tout le monde est absolument, résolument et définitivement bizarroïde.

Difficile d'expliquer ce qui se passe dans Centum sans avoir l'air d'avoir confondu le Doliprane avec une bouteille de gros rouge qui tache un jour de grippe. Centum vous déroule en permanence des myriades de blocs de texte nébuleux, vous fait affronter des visions cauchemardesques, le tout face à des gens qui mentent, à qui vous mentez, dans une simulation elle-même truffée de pipeaux. Et les trois à six heures qu'il vous faudra pour en voir le bout sont tout sauf déplaisantes. On ne comprend pas toujours grand-chose, certes, mais l'aventure baigne dans une ambiance surréaliste seventies très Métal Hurlant qui tient parfaitement la route, si on aime le body horror et les visions grotesques.
Le problème de Centum vient, hélas, de l'étrange parti pris de gameplay qui a été effectué par les développeurs avec cette boucle de six jours. Pour finir le jeu, il faut, à la manière d'un Outer Wilds, savoir que faire et dans quel ordre. À part qu'ici, rien de ce qu'on vous dit n'est fiable ou tout à fait limpide, c'est un peu dans le contrat de base. On réalise alors assez vite qu'il y a beaucoup, mais alors beaucoup de manières de softlocker sa partie parce qu'on n'a pas fait les bonnes actions dans le bon ordre. Et quand cela arrive, on n'a d'autre choix que de tout recommencer depuis le début, sans importer, par exemple, aucun des objets récoltés à la boucle précédente. C'est donc avec pas mal de frustration qu'on finit par s'énerver la huitième ou neuvième fois où l'on doit recommencer l'aventure de zéro parce qu'on a zappé de faire telle ou telle action au chapitre 2. Dommage : avec des options de confort pour améliorer et accélérer les boucles narratives, Centum aurait été bien meilleur encore.

Centum a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et 5, Xbox Series et Nintendo Switch.
Une direction artistique stupéfiante, des idées narratives à foison, un univers délicieusement abscons : Centum avait tout pour lui. Cependant, il me semble que le fait que tous les personnages (et le jeu lui-même) mentent énormément ou vous racontent des trucs incompréhensibles entre parfois en contradiction avec le gameplay de boucle répétitive choisie par le jeu. Ce n'est pas tant par logique que l'on progresse que par hasard, en essayant un peu tous les objets et toutes les options de dialogue. On finit par arriver à ses fins, mais au prix de trop nombreux reboots d'une aventure qui, du coup, finit par manquer un poil de rythme.

Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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