Le dixième épisode principal de sa série, Ys X : Nordics est de sortie. Une fois de plus, on y suit l'aventurier aux cheveux rouges Adol Christin, cette fois-ci parti explorer une contrée inspirée de la Scandinavie de l'ère des Vikings. Petite particularité de ce moche, mais très fun action-RPG : il se situe au début du périple d'Adol, bien longtemps avant presque tous les autres épisodes de la licence. Il ne fait cependant pas véritablement office de préquelle à la saga en situant son intrigue après les deux épisodes du diptyque Ancient Ys Vanished et BIEN après Ys Origin, des jeux sortis respectivement en 1987, 1988 et 2006. Ce placement au milieu d'une chronologie touffue, parfois volontairement confuse, vient de la manière très particulière dont le studio Nihon Falcom a construit et reconstruit la narration de sa série tout au long de son développement. Une série qui est, d'ailleurs, majoritairement narrée par Adol Christin lui-même, longtemps après ses aventures.
La vie d'Adol
La plupart des grands studios de JRPG ont tendance à ne pas trop lier scénaristiquement les épisodes de leurs jeux principaux entre eux. Final Fantasy VI n'est pas la suite de Final Fantasy V, et n'en partage même pas l'univers. Pas plus que Dragon Quest III et Dragon Quest IV. Il en va de même pour les Breath of Fire, Phantasy Star, Fire Emblem et autres Monster Hunter. Et même des jeux comme les Star Ocean, Persona, Zelda, Pokemon, Dark Souls, Atelier et Disgaea, dont toutes les séries ou sous-séries se déroulent dans un univers plus ou moins commun, n'ont que des liens scénaristiques ténus entre eux. Il existe de nombreuses exceptions (je pense par exemple à Kingdom Hearts), ainsi que des cas ambigus (coucou Xenoblade Chronicles !), mais elles demeurent rares. Et surtout : presque aucune saga rôlistique japonaise ne vous propose d'incarner le même gars, dans le même univers et sur la même timeline pendant une grande partie de sa vie. À l'exception, sans doute, de la licence Like a Dragon, mais dont la conversion au jeu de rôle est assez récente.
Il faut dire que le vénérable studio Nihon Falcom (qui sort ses premiers jeux au début des années 80) a forgé sa réputation sur le fait d'être un solide créateur d'univers. En parallèle de Ys, la société a sorti plus d'une quinzaine d'épisodes de sa saga de science-fantasy Trails, racontant de manière extrêmement touffue et complexe les péripéties politiques d'un continent entier. Une approche assez audacieuse dans ce cas précis, puisqu'elle implique de miser sur une fidélité extrême du public : bon courage pour trouver par quel bout attraper la saga Trails si vous voulez vous y mettre en 2024.
Les jeux Ys ont une approche clairement moins sèche de l'onboarding d'éventuels nouveaux fans potentiels, car presque tous les épisodes sont conçus comme des aventures à part entière dans lesquelles on va bien prendre une heure ou deux en début de périple pour nous rappeler qui fait quoi. Que serait un jeu Ys sans sa séquence d'exposition liminaire fastidieuse où Adol doit expliquer qui il est, d'où il vient et où il va à un PNJ qui sera son inévitable sidekick pendant les 30 à 40 prochaines heures ? Mais c'est le prix à payer pour que chaque Ys soit une porte d'entrée valide pour les nouveaux venus. Cependant, tout ceci nous est à chaque fois livré d'une manière remarquablement - et volontairement - chargée d'une certaine confusion. Car dans Ys, on n'incarne pas vraiment Adol Christin, mais ses souvenirs, compilés des décennies après l'action.
L'Adol Essence
Ys est une série qui remonte à la préhistoire (ou du moins à l'antiquité) des grandes sagas du JRPG. Ys I sort quelques mois après le premier Dragon Quest, et quelques mois avant le premier Final Fantasy. Le premier jeu est développé, scénarisé et programmé presque entièrement par le jeune Masaya Hashimoto, qui fondera plus tard le studio Quintet, pour y travailler sur les légendaires Actraiser et autres Illusion of Gaia. Le titre sort avec les énormes contraintes en matière de mémoire du PC-88 de Nec, limitant assez fortement la quantité de textes et d'éléments graphiques intégrables dans l'aventure. Si Adol a les cheveux rouge pétant, c'est d'ailleurs parce que lui donner à l'époque de véritables cheveux roux aurait été trop compliqué.
Pour raconter l'histoire du personnage et du jeu, l'éditeur décide donc de joindre au manuel du premier Ys une très longue nouvelle (une trentaine de pages) expliquant par le détail la vie d'Adol ainsi que les raisons de son voyage. Le manuel précise également que l'épopée de l'aventurier nous est parvenue, car ce dernier a passé des années à rédiger une centaine de livres retraçant ses exploits, une fois son odyssée achevée. Et chacun de ces "travelogues" correspondant à un moment précis de la carrière d'explorateur d'Adol, constitue un épisode de la série de jeux.
Il faut noter que les données contenues dans le manuel d'Ys ont été considérées a posteriori comme canon par l'éditeur, et ont servi de base à l'écriture des aventures ultérieures du jeune homme. Ce qui donne à chaque jeu Ys une saveur particulière : l'intrigue à laquelle on assiste n'est pas tant la réalité que le souvenir d'Adol, compilé longtemps après les événements en question. Là où l'affaire se corse, c'est qu'Ys est également une série connue pour la réécriture continue de nombre de ses jeux, certains faisant office de diaboliques palimpsestes multicouches.
Les Canons déboutés
De très (très) nombreux jeux de la série Ys ont bénéficié, au fil de leurs ressorties, remasters voire remakes complets, de réécritures profondes. Par exemple, Ys III, sorti initialement en 1989 sur PC-88, a bénéficié d'un nombre incalculable de portages sur d'autres machines voire sur d'autres médias, apportant des différences notables au déroulé du jeu. Dans certaines, Adol a une apparence différente. Dans d'autres, le donjon final n'a plus du tout le même aspect. En 2005, un remake réécrit assez largement l'intrigue, rendant caducs les éléments qui y faisaient référence dans des jeux sortis ultérieurement. Soit. Sauf que les événements d'Ys III sont également légèrement différents dans leur version livre audio (ne riez pas, ça existe), narrée par une version plus âgée d'Adol, peu avant sa disparition. Au fan curieux de supposer ce qu'il s'est vraiment passé, et quelle version est la plus fidèle aux événements !
Cet exemple est applicable à de nombreux autres jeux d'une série dont un même événement peut être raconté dans le désordre, via plusieurs perspectives, avec des narrateurs différents, et un déroulé des événements fluctuant au fil des années. Ys IV aura ainsi pas moins de trois versions différentes, auxquelles s'ajoutent des réinterprétations sous forme de manga ou d'anime mettant en scène une version alternative d'Adol. Avec le temps, cette réécriture constante du "mythe adolien" est devenue moins constante. Depuis Ys VII, paru en 2009, les nouveaux épisodes ne reçoivent plus de remake ni de réécritures (même si la rumeur d'un remake d'Ys V bruisse depuis des années), et les produits dérivés se concentrent sur des guides de jeu et des artwork. Le canon a enfin été figé. Néanmoins, l'audace narrative qui continue à brouiller les pistes de l'épopée d'Adol ne se s'est pas arrêtée là.
Ys VIII constitue ainsi un retour en arrière dans la narration, se déroulant avant les épisodes VI et VII, et bénéficiant d'une double narration : celle d'Adol (a posteriori des événements) et celle de la deutéragoniste du jeu, Dana. Pendant une grande partie du jeu, ce personnage, ayant vécu des centaines d'années avant Adol, communique ses souvenirs (des séquences jouables) au héros via ses songes. On joue donc à un souvenir issu d'une époque lointaine, eux-mêmes racontés par un homme des années après les avoir perçus en rêve.
Ys IX change de braquet, en choisissant au contraire de plaquer l'action à la "fin" de la timeline des aventures d'Adol, alors que ce dernier est déjà un aventurier adulte et aguerri. Le dernier épisode en date, Ys X : Nordics, choisit de revenir à l'adolescence du voyageur, quelques jours à peine après la fin du Ys II de 1988. Ce qui confirme la direction prise par Nihon Falcom depuis une dizaine d'années : faire en sorte que chaque jeu comble un blanc dans le périple d'Adol Christin, tout en continuant à épaissir le lore général de la série.
Les jeux made in Normandie
Dans Ys X : Nordics, Adol est encore un frêle et naïf aventurier qui n'a à peine sauvé le monde que deux toutes petites fois. L'aventure reprend les gimmicks narratifs de la plupart des autres jeux principaux de la série. Il y a une main girl qui sera la séide (ici jouable) de l'explorateur pendant le jeu, l'intrigue est conçue pour constituer une unité ne rendant pas nécessaire la connaissance des autres jeux, et tourne autour de la découverte d'une nouvelle partie du continent d'Eresia, où se déroule l'essentiel de la licence. Plus précisément, il sera ici question d'aider les Normans, un peuple qui sont tout à fait des Vikings avec une fausse moustache, à récupérer un archipel face à la menace d'un peuple d'envahisseurs monstrueux.
Et une fois de plus, Nihon Falcom utilise les espaces narratifs particuliers de la saga pour livrer quelques moments très intéressants. Des allusions discrètes aux futures aventures d'Adol, la découverte de stèles narrant les aventures passées des Normans, ou encore la mise à distance de la narration par une intro nous évoquant le fait que nous jouons bien ici à des souvenirs narrés a posteriori. Même sans être un fin connaisseur de la série, on apprécie le voyage, qui se repose sur quarante ans d'empilement de lore et de développement des quelques personnages récurrents de la saga. C'est d'ailleurs beaucoup plus maîtrisé et digeste que dans Ys IX.
On regrettera simplement que les points faibles de tous les jeux Nihon Falcom persistent. Le moteur de jeu extrêmement daté, les imperfections techniques pullulent, et le système de combat qui, certes, s'affine de jeu en jeu, reste extrêmement bas du front. Ce n'est pas très grave, tant on passe un excellent moment en découvrant ce nouveau pan méconnu de la vie d'un des plus vieux héros encore actifs du jeu vidéo japonais.
Ys X : Nordics a été testé sur Nintendo Switch, via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et 5 et sur PC.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
Articles similaires
Éloge du platformer masocore : ces jeux qui nous font aimer souffrir
déc. 03, 2024
Little Big Adventure – Twinsen’s Quest est une histoire de souvenirs et de persévérance
nov. 22, 2024
Life is Strange : Double Exposure - La faute au finish
nov. 13, 2024