Il y a déjà presque quatre ans, Shift vous parlait du début de l'accès anticipé d'un certain World of Horror. Nous sommes fin 2023, en pleine saison des squelettes, et il est temps, à l'occasion de la sortie de ce jeu en version définitive, de nous pencher à nouveau sur le parcours exemplaire d'un jeu horrifique pas comme les autres.
Quatre ans sur le billard
World of Horror était à l'époque de son annonce un jeu relativement mystérieux, avec son interface évoquant les PC du début des années 80 et sa direction artistique rendant un hommage très direct au travail du mangaka Junji Ito.
Depuis, on en a évidemment appris un peu plus sur ce jeu authentiquement dessiné sous MS Paint (ça ne s'invente pas). Derrière le nom du créateur Panstasz se cache en réalité un certain Paweł Koźmiński, un dentiste polonais travaillant sur le jeu pendant son temps libre. À ses côtés, un·e certain·e Cassandra Khaw signe une partie du scénario, et deux musiciens sont venus en renforts pour la bande-son. Mais pour l'essentiel, il s'agit du long, fastidieux et solitaire travail d'acharné de Koźmiński, qui place World of Horror au rang de ces rares jeux développés en quasi solo et parvenant à briser la barrière de l'anonymat.
Il y a cependant une différence majeure avec Undertale, Braid ou Stardew Valley : ce quasi-lustre passé en accès anticipé. Toutes les bases du jeu étaient déjà là en 2020, aussi ces années de développements ont été bien utilisées pour ajouter énormément de volume à l'ensemble : des personnages, des scénarios, des fins alternatives, beaucoup de rejouabilité et beaucoup, beaucoup de morts violentes. Vous pourrez passer une bonne vingtaine d'heures sur le titre et continuer à dénicher des horreurs toutes plus cosmiques les unes que les autres.
Cadavres exquis
Ce qui n'a pas varié d'un iota, c'est la prise en main volontairement rigide, presque brutale, que vous impose la structure de World of Horror. De ce point de vue, il s'agit d'une œuvre horrifique qui ne ressemble à aucune autre dans son déroulé, mélange de rogue like, de visual novel, de RPG et de jeu d'enquête. Chacune de vos parties sera ainsi corsetée dans un même carcan à la fois très riche et terriblement étouffant : c'est bientôt la fin du monde dans votre petite ville japonaise des années 80, vous allez devoir résoudre cinq enquêtes abominables avant la fin du temps imparti, et recommencer après votre mort. Mort généralement inéluctable, à moins de bien connaître la structure du jeu et de comment anticiper les pièges les plus mortels.
Une grosse partie des éléments d'une run sont randomisés (ou tout du moins randomisables), vous poussant à refaire encore et encore l'aventure à la recherche de nouvelles affaires sordides, ou de manières alternatives d'accomplir ces dernières. Si on lui retire son (superbe) masque horrifique, au fond, World of Horror n'est rien d'autre que cela : un générateur d'histoires d'épouvante qui cherche à vous faire découvrir toutes ses intrigues, et toutes les variations de ces dernières. Un recueil de nouvelles dont vous êtes la victime. Chaque scénario possède de nombreux embranchements, des petites variations qui vous poussent à relancer des parties en boucle pour en voir un maximum. C'est terriblement mécanique et servi par une interface volontairement désagréable, explicitement conçue pour vous mettre mal à l'aise.
Et pourtant, ça fonctionne. Vous savez pourquoi ? Non ? Dommage, j'aurais bien aimé avoir moi-même une explication définitive. Oui, c'est beau. Oui, l'horreur est stupéfiante. Oui, l'hommage aux classiques du manga gore est particulièrement bien senti. Mais le jeu n'est formellement rien d'autre qu'une succession de tableaux dégoutants dont le gameplay ne tient en fait pas à grand-chose. Un enchaînement de tunnels narratifs semi-aléatoires. J'ai réfléchi longtemps sans comprendre pourquoi, alors que tout devenait assez attendu et prévisible (sauf les scènes horrifiques, folles d'inventivité), j'avais toujours envie de relancer une partie. Il me semble que la réponse est là, quelque part dans le chemin parcouru entre la démo et la version définitive : la cohérence.
Morts et remords
Difficile de déterminer d'un coup d'œil la différence entre les premières démos du jeu de Panstasz et la version définitive. À vrai dire, j'ai même un temps cru que ma version du jeu ne s'était pas correctement mise à jour. C'est en fouillant dans la tonne de contenu ajouté en chemin que je me suis rendu compte du côté exemplaire de ce développement : World of Horror a gagné en épaisseur comme en profondeur sans jamais faire varier d'un iota sa proposition de départ.
Je pense que ce qui, dans bien des cas, pourrait apparaître comme un défaut est en réalité une excellente démarche. World of Horror aurait pu multiplier les mécaniques de jeu, ajouter des dizaines ou des centaines de nouvelles affaires, proposer un monde plus ouvert ou des quêtes plus interconnectées. Proposer, même, une campagne différente ou de nouvelles strates de gameplay. Il n'en a rien été. Ces quatre longues années ont été mises à profit pour faire fonctionner mieux et de manière plus riche l'ossature mise en place dès 2019.
Il me semble que c'est peut-être la chose la plus rétro de cette aventure, au fond. Malgré ses décors en 1-Bit et ses références aux mangas des années 80, World of Horror est un jeu au fonctionnement terriblement moderne. Un fonctionnement largement calqué sur celui de n'importe quel rogue-like contemporain, le tout maquillé par une couche de visual novel. Enlevez-lui ses oripeaux monstrueux, et Foretales ou autres Cultist Simulator ne sont pas loin. En revanche, sa manière de partir d'une idée simple, mais solide pour la faire gagner en épaisseur par couches successives m'évoque énormément la manière dont les manuels de jeux de rôle des années 70 se sont progressivement construits : par ajouts successifs d'extensions, de précisions et d'ajouts de nouveaux scénarios. Bref : une croissance cohérente, linéaire et maitrisée, qui aboutit à un jeu certes un peu guindé, mais terriblement efficace. Un accès anticipé exemplaire.
World of Horror a été testé sur PC via une clé acquise par nos soins. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch et PlayStation 4 et 5.
J'aimerais que la pléthore de jeux qui passent des années en accès anticipé sans parfois donner beaucoup de nouvelles aient le même parcours que World of Horror : une amélioration sur absolument tous les points sans pour autant perdre de vue ce qui fait le sel du jeu. L'automne 2023 est probablement le bon moment pour enfin découvrir ce jeu, désormais classique du visual novel horrifique, enfin dans sa magnifique et répugnante forme finale.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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