Avertissement : cet article aborde des questions douloureuses liées à l'inceste et aux violences intrafamiliales. Si vous ne vous sentez pas à l'aise avec l'idée de lire un texte à ce sujet, n'hésitez pas à faire l'impasse sur cet article ou à revenir le lire au moment que vous jugerez opportun. De plus, l'article spoile certains aspects de l'intrigue du jeu.
Wednesdays est une fiction interactive signée par Pierre Corbinais (Enterre-moi, mon amour...) et The Pixel Hunt (The Wreck), revisitant les souvenirs d'un homme ayant été victime d'inceste dans son enfance. Mais davantage qu'un documentaire sur la question ou une simple histoire mélodramatique, il s'agit d'un jeu sur l'espoir, la mémoire, et surtout sur la parole. Loin de se contenter d'exposer l'impensable, il réfléchit à la manière de vivre avec. Et d'en parler.
Il m'a semblé absurde, en commençant à écrire cet article, de faire une "critique" de Wednesdays. Réduire un visual novel sur un sujet de société aussi dur et aussi complexe à une liste de plus et de moins n'a, je pense, pas beaucoup de sens. Je ne dirai donc que quelques mots purement formels à ce sujet : nous tenons là un jeu assez haletant, fort bien écrit, et fort bien mis en image par les illustrations d'Exaheva et le pixel-art de Nico Nowak. Le gameplay se "résume" à des choix de dialogue dans des souvenirs ainsi qu'à un mini jeu de gestion de parc d'attractions sans véritable mécanique autre que l'agencement d'éléments donnant accès à de nouveaux souvenirs. Ceci étant dit, il est évident que l'on ne commence pas Wednesdays pour la folie de son arborescence narrative ou la profondeur de ses mécaniques de gestion.
On vient pour vivre une histoire, celle de Tim, avec qui l'on va passer deux, trois heures à reconstituer des souvenirs gravitant pour la plupart autour d'une série d'événements dramatiques subis par ce dernier dans son enfance. Il se peut tout à fait que ce type d'expérience, tenant davantage de la BD interactive que du jeu d'aventure à proprement parler, ne soit pas ce que vous recherchiez dans un jeu vidéo. Mais, dans le cas contraire, Wednesdays est une production extraordinaire qui m'a touché au cœur. En particulier par sa capacité à être, malgré son sujet, un jeu pétri d'espoir et de foi en l'avenir.
Évoquer l'impossible
Dans Wednesdays, nous n'incarnons pas Tim. Pas vraiment. Nous allons plutôt avoir l'opportunité de donner la parole à un ensemble de personnages ayant, à un moment ou à un autre de leur vie, partagé son quotidien. Sa grand-mère, chez qui il passait ses après-midi étant enfant. Sa mère, le jour de ses soixante ans. Sa petite amie du lycée. Un couple d'amis venant d'avoir un enfant. Et dans chacune des saynètes composant l'intrigue, ces personnages vont être, de manière plus ou moins directe, confrontés au fait que, durant son enfance, Tim a subi des violences sexuelles à répétition de la part d'un de ses cousins. Certains vont passer complètement à côté de l'affaire. D'autres vont comprendre ou déduire une partie de la vérité. D'autres, enfin, s'avéreront avoir subi des événements semblables.
Cette polyphonie de réactions et la dispersion chronologiques de ces scènes (étalées sur plusieurs décennies) ne sont pas, loin de là, toutes directement liées à l'évocation des violences subies par Tim pendant ses jeunes années. Certaines séquences semblent parfaitement triviales : un moment de flirt lycéen au fond d'un bus, un grand-père se piquant de construire un mur pour résoudre un conflit de voisinage, une scène de jeu de guerre entre deux enfants... Cependant, elles ne peuvent s'analyser qu'au regard de tout ce que Tim ne peut pas véritablement exprimer, et de ce que les personnages ne peuvent pas vraiment comprendre.

Bien que les souvenirs mis en scène dans Wednesdays ne soient pas chronologiques et paraissent à première vue décorrélés et épars, ils convergent néanmoins vers deux idées centrales cohérentes. D'une part, bien que l'inceste soit le tabou indicible par excellence, il est extrêmement compliqué d'aller de l'avant si l'on n'a pas l'opportunité de pouvoir parler ouvertement et librement à l'ensemble des personnes concernées. D'autre part, les personnes victimes d'inceste ne sont pas condamnées à être définies par ce moment précis de leur vie, et ne sont jamais réductibles à la seule condition de victime.
Casser la dynamique de reproduction des violences
Ainsi, Wednesdays parvient parfaitement à montrer comment son héros, Tim, ne peut pas être simplement "un enfant victime d'inceste" toute sa vie, mais à quel point cette blessure d'enfance ne peut jamais non plus être ignorée. Son rapport au couple, aux enfants, à certaines parties de sa famille, à certains souvenirs qui auraient dû être joyeux : nombreux sont les aspects de son quotidien, même les plus légers, à devoir être habités et heurtés par ce traumatisme.

Et pourtant, à plusieurs reprises, Wednesdays nous rappelle que Tim "va bien". Il pourrait certes aller mieux, mais n'est pas non plus la "victime parfaite" ou la petite chose éternellement fragile souvent mise en avant par les médias lors d'affaires similaires. L'aventure nous rappelant par ailleurs que si d'autres adultes n'ont pas su voir ou comprendre ce qui se passait, Tim lui-même n'est pas devenu un super-héros, luttant contre les violences sexuelles et capable de détecter 100% des situations semblables au premier regard.
À deux reprises dans le jeu au moins, on découvre que Tim, lui non plus, n'a pas réussi à voir ou à comprendre certaines scènes clés de sa jeunesse. Lui non plus n'a pas toujours su comment réagir, a parfois fui devant l'évidence. Et il n'en comprend que mieux la difficulté de certaines personnes à faire face à sa propre situation. Il est devenu un adulte comme les autres, mais un adulte ayant pour lui la volonté de faire cesser autant que possible le silence et la dynamique de reproduction des agressions au sein de son cercle proche. Ce qui représente déjà une somme d'efforts et de courage absolument dantesque.

Dans cette dynamique, Wednesdays prend le temps de s'attarder sur le cas de la personne ayant perpétré les actes en question. Si pendant une bonne partie de l'intrigue, la figure du cousin Giovanni est assez lointaine, le dernier tiers de l'aventure le fait revenir plus directement dans le propos. Le jeu de The Pixel Hunt est loin de tomber dans le piège bien pratique du "monstre" ou dans celui de la minimisation des violences au prétexte qu'elles sont souvent une tragique répétition d'actes vécus. Il dresse plutôt le tableau nuancé d'une situation complexe, qui n'a pas su être évitée malgré des signaux d'alarme épars mais nombreux. L'incapacité à voir de certains, la volonté de ne pas voir d'autres. La volonté de régler les problèmes loin des regards et de la place publique. L'oubli avec le temps qui passe, enfin. Autant de facteurs qui expliquent que ces affaires n'émergent parfois que des dizaines d'années après les faits.
L'aventure s'achève sur deux scènes qui donnent énormément de sens à tout le reste : l'une confrontant enfin directement Tim à ce qui lui est arrivé, l'autre évoquant une voie possible pour que ce genre d'actes aient, à l'avenir, moins de chances d'être perpétrés sur des enfants de son entourage. Dans les deux cas, il s'agit de mettre la parole, l'échange et le partage au cœur de l'expérience de guérison et de prévention. Et c'est bien pour cela que, même si la scène finale m'a laissé en larmes devant mon écran, je comprends parfaitement pourquoi les auteurs de Wednesdays le décrivent comme un jeu "portant un lumineux message d'espoir". C'est parfaitement exact. Et absolument nécessaire.

Wednesdays a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.

zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
Articles similaires
Pourquoi et comment j'ai joué à Rift of the NecroDancer en ayant un très mauvais sens du rythme
mars 12, 2025
Suikoden I&II HD Remaster Gate Rune and Dunan Unification Wars - N'oubliez pas de mettre 108 étoiles et un commentaire positif !
mars 05, 2025
FANTASIAN Neo Dimension - Un régal pour les papys
déc. 21, 2024