Chez TPP (enfin, surtout Shift et BatVador, en fait), on aime bien les titres du studio Rusty Lake, duo de développeurs prolifique de la saga Cube Escape. D’abord sortis sous navigateur, puis sur mobiles et enfin sur Steam fin 2020 afin de les préserver de l’abandon du Flash, ces titres sont particulièrement étranges et déroutants, mêlant un humour absurde à une ambiance glauque flirtant avec le body horror et l’horreur psychologique, tout en développant un lore particulièrement cryptique. À l’occasion de la sortie de The Past Within, nouvel épisode de la franchise, Shift reviendra d’abord sur Rusty Lake: Roots, pierre angulaire de la saga, avant de laisser la place à BatVador qui vous parlera coopération, Albert facétieux et voyages temporels.
Avant toute chose : attention, si cet article restera sans spoil et sans descriptions graphiques, il nous faut vous avertir que la saga Rusty Lake/Cube Escape et tout particulièrement Roots traite de thématiques parfois très sombres, tournant notamment autour du suicide, de la mort, du deuil, de la disparition et affiche des séquences parfois très frontales de meurtres ou de mutilation. Si l’aspect cartoonesque des graphismes peut atténuer ces éléments, il nous paraît tout de même important d’avertir sur ce contenu.
Rusty Lake: Roots
En parallèle des - plus ou moins - courts épisodes (gratuits) des Cube Escape, les développeurs de Rusty Lake se sont attelés à quelques opus payants, plus longs, plus travaillés et aux structures plus variées. Ces derniers se détachent du scénario principal et de l’enquête menée par le détective Dale Vandermeer et permettent d’incarner ou de revoir certains personnages secondaires. Sans en dire trop, chacun aura sa particularité de gameplay, avec parfois de petits twists au niveau de la structure ou des personnages présents, mais, surtout, sera l’occasion de développer une mythologie particulièrement difficile à saisir.
C’est là toute la beauté de la saga : chaque épisode pourra être parcouru indépendamment des autres, sans forcément se soucier de l’ordre chronologique – il y en a un, bien sûr, mais l’ignorer n’empêchera aucunement d’en apprécier les énigmes et le gameplay. Mais plus on joue, plus on traverse d’épisodes, et plus on constate de patterns, d’éléments récurrents et, surtout, une immense toile d’auto-références. Car si la franchise Cube Escape/Rusty Lake est sur-référencée (on notera surtout Twin Peaks et globalement l’œuvre de Lynch, possiblement quelques classiques du cinéma horrifique comme The Wicker Man, tandis que de nombreux succès ou phrases viennent piocher dans la pop culture musicale et cinématographique), elle fait surtout constamment référence à elle-même.
Un aspect qui pourrait lasser ou agacer tant il est appuyé de manière aussi systématique d’épisode en épisode, mais qui en fait donne rapidement une certaine consistance à un univers pourtant bien nébuleux. Ces références ne sont pas – pas toujours, du moins – complètement gratuites ou posées là au hasard, et distillent (au mieux) des indices ou des clefs de lecture, mais le plus souvent permettent d’avoir une meilleure vue d’ensemble d’un puzzle dont on ne comprend toujours pas grand-chose. Le pinacle de cette formule est sans conteste l’épisode Roots. Ce dernier tourne autour de la malheureuse famille Vanderboom, que l’on suivra sur trois générations, de l’arrivée de James dans la maison familiale de Rusty Lake suite au décès de son oncle, jusqu’au macabre et surréaliste chapitre final, en passant par une grosse trentaine de scénettes montrant la vie et surtout la mort des enfants et petits-enfants de la lignée Vanderboom.
Je n’en dirai pas plus sur les tenants et aboutissants de l’intrigue, ses péripéties aussi loufoques que morbides réservent leur lot de surprises que je m’en voudrais de gâcher, mais surtout : ce n’est pas le plus important. Le plus important, c’est que tout est là. Tous les éléments, les thèmes, les lieux, les personnages de Cube Escape sont là dans Roots et surtout, l’épisode nous permet enfin de clairement contextualiser un paquet d’éléments jusqu’ici très troubles et vaporeux. Roots donne des liens de parenté, des origin stories, des noms. Roots nous montre aussi bien l’origine des masques aux pouvoirs et aspects inquiétants que la naissance d’au moins un de ces mystérieux hommes-animaux qui rôdent dans la plupart des épisodes ou encore la vie d’Albert Vanderboom, personnage jusque là inconnu, mais qui s’avère être le membre le plus malsain et haïssable de la famille et surtout un des personnages principaux de The Past Within.
Une bonne vue d’ensemble, donc, mais qui ne gâche pas pour autant la saveur du mystère que distillent les différents opus de Cube Escape. C’est là tout le talent de narration et d’écriture du studio Rusty Lake : plus on en apprend, et moins on comprend. Dévoiler la création ou naissance de personnages, expliquer leur présence ou leurs intentions aurait pu démystifier cette mythologie riche, quand se contenter de citer les mêmes éléments d’épisode en épisode sans rien ajouter de neuf aurait conduit à une démarche très vite stérile et poussive. Avec Roots, et, dans une moindre mesure, également le reste de la saga, Rusty Lake parvient à maintenir cet équilibre entre les deux écueils, en récompensant les joueur·euse·s assidu·e·s de nouvelles pièces de lore, tout en conservant un flou volontaire sur ce qui importe vraiment. Et, si The Past Within est déjà le seizième opus de la franchise, d’immenses parts d’ombre demeurent encore. Des parts d’ombres qui ne seront, pour la plupart, probablement jamais éclairées, mais que je suis prêt à suivre encore longtemps.
The Past Within
Quand le studio Rusty Lake a annoncé la sortie de son prochain jeu en coop, j’étais partagée. Je n’aime pas particulièrement les jeux en coop, mes talents en communication restent à faire leurs preuves, mais comme on le disait plus haut, ici on aime les réalisations du studio Rusty Lake alors on n’a pas hésité longtemps.
The Past Within commence là où se termine l’une des branches de l’arbre généalogique de Roots (Shift vous l’a déjà vanté au-dessus et je ne saurais que seconder énergiquement son avis) avec la mort inévitable de l’épouvantable Albert qui surpasse quasiment tous les autres protagonistes dans le classement des personnages les plus malsains de la saga. Albert est mort et sa fille Rose, dont on apprend la délicieuse genèse dans Roots, reçoit un message de son père qui aurait trouvé un moyen de communiquer avec le futur et de ressusciter. En tandem avec Rose dans le futur (et donc notre enthousiaste binôme) on va donc devoir résoudre une série de puzzles et d’énigmes pour réaliser le souhait d’Albert, qui, si on m’avait demandé mon avis, ne méritait guère cette seconde chance dans la vie.
D’un point de vue logistique d’abord, The Past Within joue la simplicité et ça marche. Aucune manipulation compliquée n’est requise, même pas besoin d'être ami·e·s sur Steam, c'est dire. Chaque joueur·euse a besoin d'une copie du jeu et d’un endroit où se parler. Le studio propose d’ailleurs l’utilisation de ses propres salons Discord pour l’occasion, mais il est aussi tout à fait possible de le faire en étant dans la même pièce ou sur Skype. Une fois en contact, il suffit que les deux joueur·euse·s sélectionnent l’un le passé l’autre le futur puis la même version du jeu, abeille ou papillon et c’est parti. Pour peu qu’on ait déjà joué à un jeu de Rusty Lake dans sa vie, on ne sera pas du tout dépaysé. On retrouve les graphismes et la musique caractéristiques, l’inévitable boite d’allumettes et les ombres qui se baladent (on finit par s’y attacher).
Plus important encore, on retrouve le thème du temps, de sa non-linéarité et l’importance des souvenirs qui finissent toujours par nous ramener au fameux lac. L’absence d’une réelle connexion entre les deux joueur·euse·s pourrait rendre l'ensemble bancal, comment en effet s’assurer que tout le monde joue le jeu ? Mais le système astucieux de puzzles codépendants résout ce problème. Ainsi la résolution d’un problème dans le passé avec des indices du futur débloquera à son tour un code ou les solutions d’un problème du futur et les deux côtés sont donc synchronisés. Pour renforcer l’immersion, Rose du passé devient visible à plusieurs reprises dans le futur et inversement sous forme d’un œil, d’une ombre ou d’une vision.
D’un point de vue puzzle et gameplay, The Past Within est de loin le plus simple des épisodes de Rusty Lake. Moins que de la réflexion, il s’agit principalement de recherche (tourner les cubes et les pièces dans tous les sens) et de communication. Les habitués de la saga, ainsi que des jeux comme The Room ou toute autre sorte d’escape games, trouveront certainement assez rapidement leurs marques. Il m’est arrivé plusieurs fois d’avoir effectué des tâches avant même que Shift ne m’indique qu’il fallait les faire, car on le sait : une bougie, ça s’allume, les pièces, ça se met sur les yeux des morts et si on pose un piège par terre, on attrape toujours un poisson. Si vous n’avez pas compris cette dernière référence, c’est normal et ça illustre le fait que, malgré une relative simplicité des puzzles (à moins que vous soyez vraiment nul en communication) et une durée tout à fait raisonnable (environ deux heures pour une partie), The Past Within n’est probablement pas la porte d’entrée idéale pour l’univers de Rusty Lake. Dans sa partie rapide sur Cube Escape, Shift l’avait déjà noté et il nous l’a redit plus haut, Rusty Lake s’autoréférence sans cesse et c’est particulièrement vrai avec The Past Within. Pour mieux l’apprécier, il nous semble plus indiqué de commencer par Cube Escape et le tout début ou par Roots pour mieux apprécier toutes les références de ce nouvel épisode. Si le petit dernier de la série n’est pas le plus approfondi en termes de puzzles, c’est un exercice très agréable et bien pensé qui s’intègre parfaitement à l’univers de Rusty Lake pour le plus grand plaisir des fans et possiblement des novices à l’esprit (très) ouvert.
The Past Within a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur Android et iOS.
The Past Within et Rusty Lake: Roots sont inextricablement liés en cela que l'un prolonge l'autre tout en s'intégrant chacun à merveille dans l'univers cryptique et désormais familier de Rusty Lake. Chaque opus enrichit le lore sans pour autant l'expliquer dans un délicat, et très réussi, exercice d'équilibrisme. Avec le petit dernier en date, le studio innove en termes de gameplay et propose un jeu en coop très réussi, mais qui s'apprécie mieux si l'on a déjà rencontré la famille Vanderboom.
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