1998 : assis sur les genoux de mon papa, je traverse le premier tableau du Prince of Persia de 89 (et tombe dans le premier piège).
2005 : j’achète pour la première fois des jeux vidéo avec mes propres sous. Il s’agit de WarCraft III et de Prince of Persia : Les Sables du Temps. Le passage en 3D me retourne la tête, et les doigts, car je joue toujours au clavier. Je fais le jeu en boucle pendant des mois.
2007 : pour jouer à L’Âme du Guerrier et aux Deux Royaumes, notre fière et vieille machine se doit de passer à Windows XP. L’ambiance m'impressionne par sa noirceur inédite pour la série et propose des concepts marquants, comme la traque funeste du Dahaka, ou la part maléfique du Prince dans le troisième volet. Aucun commentaire sur l’aspect terriblement racoleur de L’Âme du Guerrier et de ses personnages féminins certes badass, mais surtout très dénudés, j’étais adolescent il y a prescription.
2009 : désormais possesseur d’une Xbox 360, je me lance dans le reboot de la série, sobrement intitulé Prince of Persia, que tout le monde a détesté, le considérant comme trop casu et donc une insulte à la série. Si je ne suis que peu convaincu par les combats en QTE et par cet épilogue sous forme de DLC payant, j’adore tout de même ce jeu d’exploration et de plateforme en semi-monde ouvert et son magnifique cel-shading.
2010 : nous offrons à mon père pour son anniversaire le tout nouveau Prince of Persia : Les Sables oubliés. Le titre renoue avec le gameplay de la trilogie précédente et j’aime la technicité de sa plateforme, demandant de jongler à la fois entre le gel de l’eau et le changement de dimension, sans me douter qu’il va falloir désormais patienter 14 ans avant de retoucher à la série.
2024 : je sors du travail le 18 janvier à toute vitesse. Mon frère et moi n’habitons plus chez nos parents, la Xbox 360 familiale a été remplacée par des PlayStation, mais nous avons chacun notre exemplaire de Prince of Persia: The Lost Crown. La série est finalement repassée à une vue en 2D, et adopte cette fois-ci une structure et un level design de metroidvania.
Cet historique met en lumière deux aspects. Le premier, c'est évidemment que j’ai un affect énorme avec la licence. Elle n’a pas fait que me suivre tout au long de ma vie de joueur, elle a été formatrice : si j’aime autant la plateforme, c’est avant tout grâce à Prince of Persia. Le second, c’est que la série est par nature protéiforme. Du cinematic plaftormer 2D dans les années 1990, il est passé au platformer 3D linéaire dans le début des années 2000, à l’exploration de petit monde ouvert, pour finalement s’essayer au metroidvania en 2024. Des changements visuels et structurels qui suivent cependant une même formule : les Prince of Persia se déclinent toujours selon les mêmes gimmicks, mais réussissent à s’inscrire parfaitement dans le genre auquel ils empruntent, en réutilisant et en assimilant leurs codes, tout en apportant leur propre lot d’innovations, propulsant même les opus les plus réussis au rang de nouvelles références. Prince of Persia: The Lost Crown ne déroge pas à la règle : en débarquant après 14 ans sans donner de nouvelles, le titre montre de manière évidente qu’Ubisoft Montpellier a fait ses devoirs et a joué à ce qu’il s’est fait de mieux en termes de platformer 2D et de metroidvania lors de la dernière décennie, tout en apportant ses propres innovations, qui, on l’espère, deviendront de nouveaux standards.
C’est qu’on pourrait avoir vite fait de crier à la trahison de la licence avec The Lost Crown. On ne joue même pas le Prince (c’était déjà un reproche peu pertinent adressé au Prince of Persia de 2008), le genre dominant du jeu a changé, la caméra aussi, la direction artistique lorgne avec insistance (et succès) sur l’animation japonaise comme américaine : il semble bien loin, le temps des sables. Et en un sens, oui… et non – pour les nostalgiques, pas d’inquiétude, il finira bien par sortir, ce remake des Sables du Temps. Comme je le disais, la licence est percluse de gimmicks, et, à peu de choses près, on les retrouve tous dans The Lost Crown. Si l’esthétique de la saga n’a pas été constante, on retrouve tout de même des visuels et atmosphères très inspirées de la Perse (tout est sublime), allant jusqu’à proposer un doublage en farsi écrit et interprété par un studio iranien (s’il y a bien quelque chose que l’on peut reconnaître à Ubisoft, c’est d’avoir toujours bien géré ses localisations) et une bande-son composée par Mentrix, artiste electro/pop iranienne en collaboration avec Gareth Cooker (Ori and the Blind Forest), qui fonctionne à merveille.
Mais l’ADN de Prince of Persia, l’élément qui a toujours été présent d’un épisode à l’autre, c’est la plateforme. De la plateforme technique, exigeante, avec des murs de pics, des épreuves chronométrées, des plateformes qui bougent, des interrupteurs et leviers à actionner, des pièges, des scies circulaires, encore des pièges, et des balanciers sur des porte-drapeaux toujours étrangement bien positionnés. On retrouve tout cela dans The Lost Crown, tous les éléments signatures de la série sont bien présents et utilisés à bon escient : la plateforme est impressionnante et grisante de maîtrise, tant sur le game feel que sur le level design. C’est bien simple, dès le premier tiers du jeu, il est déjà possible de traverser des salles entières remplies de pièges sans toucher une seule fois le sol, donnant lieu à des séquences de plateforme formidables et qui ne feront que s’améliorer à mesure que la panoplie de mouvements s’étoffe. Si on observe le titre sous le seul prisme des phases de pure plateforme, il n’y a non seulement pas le moindre doute quant à l’appartenance de The Lost Crown à la série, mais cet aspect seul suffit à en faire un épisode majeur et même le très haut du panier de la licence. D’autant qu’un effort admirable a été fourni du côté de l’accessibilité et du réglage de la difficulté, permettant à tout type de public, y compris la partie la moins férue de plateforme, d’y trouver son compte et de prendre plaisir à virevolter dans tous les sens sans se sentir nulle ou mise de côté.
Cette accessibilité et cette difficulté à la carte (on peut tout régler, du combat à la plateforme jusqu’à l’assistance sur l’exploration) sont notre premier contact avec le titre et les premiers marqueurs de ce qui va crever l’écran durant toute l’aventure : les équipes d’Ubisoft Montpellier ont pris en compte 14 ans d’évolution et d'innovations vidéoludiques. Un aspect qui a fait râler certains, notamment pour sa forte ressemblance avec Hollow Knight, mais qui témoigne, à mon sens, plus d’une certaine humilité des équipes que de plagiat.
Oui, dans Prince of Persia: The Lost Crown, il y a du Hollow Knight. Certains ennemis sont similaires, de même que la carte, d’occasionnels patterns de boss : c'est évident, à Montpellier, on a beaucoup aimé le titre de la Team Cherry. Et c’est une bonne chose ? Je veux dire, oui, le système de charmes, la possibilité d’acheter des fragments de cartes, la manière même de présenter cette carte, ce sont de bonnes idées, qui ont rendu le metroidvania meilleur et qui constituent de véritables nouveaux standards du genre. Il aurait été dommage de les ignorer et même un peu présomptueux de s’imaginer faire mieux. D’autant que, malgré des similitudes impossibles à ignorer, The Lost Crown est tout sauf un décalque de Hollow Knight. Déjà car, on l’a vu plus haut, il y a du pur Prince of Persia old school dedans, particulièrement du côté de la plateforme et des thématiques, mais aussi d’autres inspirations (il y a du Rayman Legends, du Dark Souls, du Celeste, du Dishonored, tant dans le gameplay que dans l’esthétique). Ces dernières sont parfaitement assimilées et réutilisées : la mécanique des pièces de Rayman/fraises de Celeste, couplée à la plateforme de Prince of Persia, c’est tout bonnement génial, et témoigne d’une vraie humilité. Oui, il y a quinze ans, Ubi Montréal faisait partie des boss de la plateforme, mais c’était il y a 15 ans et beaucoup d’améliorations sont à prendre en compte, sans quoi le résultat serait profondément ringard et anachronique. Et surtout, une fois tout ce rattrapage effectué, le studio a aussi pu se permettre de vrais ajouts au genre du metroidvania.
Tout le monde en a parlé, je ne m’attarderai donc pas outre mesure sur cette mécanique, mais cette géniale idée de pouvoir prendre des captures d’écran et les accrocher sur la carte pour se souvenir précisément de la capacité manquante ou du piège à passer lors de notre backtracking est parfaitement représentative des innovations que peut apporter la série. Ce n’est pas la seule, je ne vais tout de même pas vous spoiler toutes les subtilités du titre, mais c’est sans aucun doute l’exemple le plus parlant. Quand cet élément a été présenté pour la com du jeu, j’ai, comme à peu près tout le monde, été très emballé par la proposition, mais je me suis surtout demandé pourquoi personne ne l’avait fait avant, et je ne vois pas pourquoi les metroidvania suivants devraient s’interdire de le faire par la suite. C’est une excellente idée, avec une excellente exécution, qui doit devenir un nouveau standard du genre. C’est comme ça qu’un médium progresse, et il est, à mon sens, indispensable que les autres studios s’emparent de cette nouveauté, de la même manière qu’Ubisoft Montpellier s’est réapproprié des éléments de Hollow Knight ou Celeste.
"Music Has the Right to Children" disaient les Boards of Canada en 1998, et il n'y a aucune raison que ce ne soit pas le cas du jeu vidéo. Le média n’a évidemment pas attendu Prince of Persia: The Lost Crown pour en faire état, mais ce dernier en est un exemple particulièrement criant, en étant à la fois le descendant parfaitement légitime d’une vénérable licence et d’un genre vidéoludique à part entière. Quoi qu'il advienne de la série et des mécaniques de ce nouvel opus, il y a déjà de quoi se réjouir que The Lost Crown soit aussi réussi, mais on ne peut s'empêcher d'espérer qu’il soit à son tour parent de nouvelles générations, de Prince of Persia comme de metroidvania.
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