S’il y a bien un titre que j’attendais, en cette année 2022, c’est The Callisto Protocol. Je n’y prévoyais pas le jeu de l’année mais j’en espérais peut-être quelque chose d’encore plus important. Je voulais que The Callisto Protocol me fasse revivre Dead Space, qu’il soit cette suite non officielle que j’ai toujours voulue et qui n’est jamais arrivée. Car j’ai un affect tout particulier pour le titre de EA Redwood Shores, anciennement connu pour des chouettes jeux de commande, comme Le Seigneur des Anneaux : Le Retour du Roi, qui avaient déjà bien marqué mon enfance et adolescence.
Sorti en 2008 sur PC, Xbox 360 et PS3, Dead Space a été mon premier contact avec l’horreur vidéoludique – l’horreur tout court, même - et a été obtenu au prix de conflits répétés avec l’autorité parentale, qui voyait d’un très mauvais œil cette jaquette affichant un bras arraché flottant dans l'espace et que la présentation du « démembrement tactique» n’avait que très peu convaincue. Ce sont mes premiers gros moments de stress manette en main, mais c’est surtout une énorme brèche culturelle qui s’est ouverte, le titre m’ayant autant fait découvrir le groupe Sigur Rós (grâce à son fantastique trailer) que les concepts de body horror et de science-fiction horrifique, le cinéma de John Carpenter, Event Horizon ou la saga Alien. Ambiance malsaine, sound design rarement égalé, rythme soutenu et éprouvant, absence totale d’interface, citations cinématographiques multiples : il n’en fallait pas plus pour que le petit Shift soit marqué à vie et en demande plus.
And I say EA EA EA EA, what's going on ?
Il en a eu plus, et assez rapidement puisque Dead Space 2 est arrivé en 2011 – EA Redwood Shores avait eu le temps de se transformer en Visceral Games et de sortir Dante’s Inferno – et faisait globalement plus fort, plus fou, plus grand, plus violent, avec paradoxalement un peu moins d’impact (l’effet de surprise avait disparu) mais suffisamment pour contenter cette toute nouvelle soif d’horreur et de frissons. Malheureusement, si le succès critique du premier Dead Space avait motivé EA Games à faire de Redwood Shores son premier studio « de genre », les critiques mitigées de Dante’s Inferno et les ventes moins importantes que prévues de Dead Space 2 ont suffi à effrayer l’éditeur, qui s’est empressé d’annuler The Ripper et son spin-off Blood Dust, ainsi que de fermer le pourtant très jeune Visceral Melbourne. Suivra quand même en 2013 la catastrophe industrielle Dead Space 3, développée par les derniers effectifs d’un Visceral Games quasi à l’abandon, et puis plus rien. Visceral vivotera encore sur du Battlefield et Army of Two avant d’être fermé puis fusionné avec EA Vancouver et EA Montréal, tandis que Glen Schofield et Michael Condrey, respectivement producteur et réalisateur du premier Dead Space, partiront fonder Sledgehammer Games pour sortir du Call of Duty à la chaîne.
Et puis arrive décembre 2022. Fondé par Glen Schofield, rejoint par une trentaine d’ex-employé·es de Visceral et Sledgehammer, dont quelques têtes pensantes du premier Dead Space (à savoir le producteur Steve Papoutsis, le game designer Scott Whitney et le directeur de l’animation Christopher Stone), le studio Striking Distance nous livre The Callisto Protocol et, avec lui, la promesse d’un enfant spirituel de Dead Space, talonné de près par le remake officiel produit par EA Games prévu pour janvier 2023. Initialement pensé comme faisant partie de l’univers étendu de PUBG, en association avec PUBG Studios et Krafton, le titre s’est finalement détaché narrativement du battle royale coréen pour vivre sa propre vie, n'en conservant "que de petites surprises pour les fans", dixit Schofield.
Et donc, The Callisto Protocol, digne descendant de Dead Space ? Je dois avouer me sentir un peu seul sur ce créneau, à tort ou à raison, je ne sais pas, mais au fond peu m'importe : ma réponse est oui. Pas le oui franc et passionné que j'aurais aimé délivrer, car The Callisto Protocol souffre de bien trop de défauts, certains très excusables, d'autres beaucoup moins ; mais un oui assez soulagé. J'ai aimé The Callisto Protocol pour à peu près les mêmes raisons que j'ai pu aimer un titre comme Psychonauts 2, pour ce côté étrangement anachronique, le cul coincé entre un archaïsme aussi déconcertant que réconfortant et la modernité d'un AAA de 2022. Pour le meilleur et pour le pire.
Callisto : proto cool
Les premières heures de jeu ne trompent pas, The Callisto Protocol est clairement un Dead Space avec une fausse moustache. L'horreur spatiale est bien là ; l'absence d'interface, avec les informations vitales de notre personnage affichées dans sa nuque, le stock de munitions directement sur l'arme et l'inventaire en temps réel aussi ; les monstres dégoûtants à démembrer ; les audiologs et messages sur les murs : tout. On est littéralement sur un déroulé du cahier des charges d'un Dead Space et quasiment tout y est coché. Alors oui, le bestiaire est ici bien moins fourni (et surtout moins original en termes de chara design), les rares séquences d'énigmes ont disparu et la précieuse mécanique de stase (qui ralentissait objets et ennemis) nous fait parfois cruellement défaut. Mais l'essentiel est là et, durant la majeure partie de l'aventure, j'ai retrouvé avec plaisir la tension ressentie à traverser des couloirs métalliques aux lumières clignotantes et blafardes, tandis que retentissaient tout autour de moi grognements de monstres, bips de machines et autres bruitages de conduits d'aération.
Côté univers, on est également à la maison : des complots, des sectes remplies de fanatiques qui voient dans les mutations monstrueuses le futur de l'humanité (remplacez l'Unitology par la Commonality et les nécromorphes par des biophages et vous avez le tableau), de grosses entreprises spatiales qui mènent des expériences éthiquement condamnables - littéralement des crimes contre l'humanité - et un décor de science-fiction pas forcément très développé mais suffisamment crédible pour ce qu'on en fait. Il est d'ailleurs plaisant de voir des idées abandonnées de Dead Space - la prison spatiale - ou d'autres, sous-exploitées par les suites - la séquence enneigée à l'extérieur de Callisto -, revenir dans The Callisto Protocol et recevoir le traitement qu'elles méritaient.
Même chose pour le combat, qui va jusqu'à reprendre les animations des affrontements au corps à corps de son ainé (les coups de pied brutaux et les frappes au visage), ainsi que les enchaînements télékinésie/corps à corps/armes à feu bien satisfaisants, contre des monstres qui sortent toujours autant des conduits et trappes. Attention tout de même : Callisto est bien plus difficile que Dead Space, notamment à cause de cette emphase sur le corps à corps - agrémenté ici d'un système d'esquive et de contre-attaque assez chouette, mais plutôt technique et manquant parfois de lisibilité - et d'ennemis que l'on qualifiera poliment de sacs à PV. On reste cependant sur les mêmes dynamiques de démembrement, d'écrasement des cadavres pour looter, d'épisodes de quarantaine et de bestioles qui nous apparaissent dans le dos ou du dessus.
The Callisto Protocol cite parfois, cependant, un peu trop son aîné. Sans non plus tomber dans le pastiche ou fan service trop lourds, certains aspects sont tout de même assez ridicules, sinon totalement ringards. Le plus gros soufflage de nez se produit face aux très (trop) nombreux messages inscrits sur les murs, répétant ad nauseam "Coupez les tentacules" ou "Restez silencieux", en référence à l'iconique (et pourtant déjà très peu subtil) "Cut off their limbs" de Dead Space. Des messages complètement redondants, d'autant que l'action est régulièrement interrompue par d'énormes (et plutôt vilains) écrans de tutoriel, à l'apparition de chaque nouvelle mécanique. Moins intrusifs mais tout aussi vieillots sont ces audiologs rincés, qui, en plus d'être un procédé narratif éculé, immobilisent notre personnage le temps de leur écoute. Et si je suis content de retrouver une ambiance et un gameplay proches du Dead Space que j'ai aimé, je dois avouer avoir un peu tiqué face à un game design parfois bien coincé en 2008 - et plus ancien encore : Resident Evil 4 était une référence évidente et assumée de Dead Space, et il l'est encore pour The Callisto Protocol.
La Lune morte s'est moquée de moi
Mais le studio Striking Distance n'est pas non plus resté bloqué 14 ans en arrière sur toute la ligne et s'est adapté à de nombreux standards du AAA moderne. De manière aussi agréable que surprenante, on peut constater avant même de lancer l'aventure qu'un effort tout particulier a été fait concernant l'accessibilité. On retrouve les désormais classiques - mais indispensables - aides à la visée et simplifications de QTE, mais on note également la présence, plus rare, de plusieurs aides au combat (esquives automatiques, attaques enchainées d'une simple pression de gâchette) et la mise en valeur (grâce à un détourage plus visible) de notre personnage et des adversaires.
On remarque aussi que de nouvelles références sont passées par là, et que The Callisto Protocol n'a pas hésité à lorgner sur les voisins pour en tirer le meilleur. La séquence la plus stressante et prenante est probablement celle mettant en scène un type de monstres aveugles, se repérant uniquement au son et qui ne peuvent pas ne pas être inspirés des clickers de The Last of Us. Le temps d'un chapitre, la façon de jouer change ainsi du tout au tout, puisqu'il est désormais possible de choisir son approche entre une infiltration non létale mais terriblement stressante face à une foule de créatures au déplacement erratique, le backstab appliqué et stratégique pour se frayer un chemin, ou la méthode bourrine et bruyante, qui attirera inévitablement la horde sur vous. Ou pas, car le titre réserve quelques séquences et comportements surprenants et, pour tout dire, très efficaces. C'est probablement la plus grande réussite du jeu à mes yeux : celle d'avoir digéré plus de vingt ans de survival horror et d'action horrifique, pour en recracher les codes tels quels… avant de les tordre au moment où l'on s'y attend le moins, et ainsi jouer avec nos attentes.
Mais le titre souffre également de quelques travers typiques du AAA actuel, le plus flagrant étant probablement un manque de confiance dans son public à lire et comprendre son environnement. Avec les progrès techniques et visuels de ces dernières années, bon nombre de grosses productions se sont tournées vers du quasi-photoréalisme. Et donc, oui, c'est très beau, les jeux d'éclairages et de particules sont magnifiques, les décors sont réussis, les monstres et surfaces organiques dégueux à souhait, mais tout ça se fait au prix d'une certaine illisibilité du level design. Avec ces environnements gris/marrons métalliques plongés dans l'obscurité, même la structure très linéaire réussit à nous perdre. Enfin, réussirait, si le level design n'était pas constellé, au mieux de marquages jaunes ou de tuyaux rouges à la Uncharted ou God of War, au pire d'énormes flèches peintes sur les murs ou de mentions "THIS WAY". Une façon très peu immersive de nous tenir par la main, qui casse les efforts faits sur l'absence de HUD et de transitions entre le gameplay et les cinématiques, mais surtout un flagrant aveu de manque de confiance quant à la lisibilité des décors et un refus catégorique que le·a joueur·euse se retrouve perdu·e ou indécis·e ne serait-ce que dix minutes. On préférait encore le système de tracker de Dead Space qui, s'il nous mettait tout autant sur des rails, avait au moins l'élégance d'être discret, optionnel et cohérent avec la diégèse du jeu.
Le cas Callisto Protocol
Reste enfin la question des performances. Elle a été au centre des discussions autour du jeu, au point d'éclipser quasiment tout le reste, et on le comprend aisément. Le 02 décembre 2022, jour de la sortie du titre sur PC et consoles, les avis Steam se montraient très négatifs et pour cause, The Callisto Protocol était quasiment injouable, même sur de grosses configs. Côté consoles, le constat n'est pas plus glorieux puisque, hormis sur PS5, toutes les versions sont constellées de problèmes techniques, que les différents patchs sortis jusqu'ici n'ont que partiellement résolus. Nous avons pu nous essayer aux versions PC et PS4, et si je suis toujours aussi enthousiaste quant au contenu du jeu, je dois admettre que les énormes problèmes de performances sur la version Steam, autant que les temps de chargement démesurés sur PS4, m'ont considérablement freiné ; pour la rédaction de cet article, déjà, mais aussi pour me faire ne serait-ce qu'un avis personnel.
Et si Glen Schofield invoque une petite erreur de fichier dans la build finale, le problème est probablement ailleurs - en témoignent la sortie de déjà trois énormes patchs en l'espace de deux semaines. Quelques mois avant la sortie du titre, la communication autour du développement s'est vue entachée d'un aveu à demi-mot de crunch plutôt conséquent, déclaration qui s'est terminée en mea culpa de Schofield, passant par la suppression de son tweet original et par la promesse qu'on ne l'y reprendrait plus à faire subir de telles pressions à ses équipes. Et petit scoop : oui, quand on impose ce genre de cadences à son studio, il y a de fortes chances que son jeu sorte dans un état tout cassé. Certes, dans le cas présent, il faut aussi blâmer l'UE4, moteur bien connu pour ses gros problèmes de stuttering - au point que des tutos fleurissent sur le net pour les régler soi-même et qu'Epic Games anticipe ce même défaut pour l'UE5 à venir -, ainsi que l'infâme DRM Denuvo bien connu pour son impact désastreux sur les performances. Mais même en prenant en compte ces malus de départ, The Callisto Protocol est un nouveau cas d'école de launch ruiné par des pains techniques, et dont le crunch est la plus probable et cruelle des raisons. Si les exécutifs ont l'air de se moquer du bien-être et de la santé de leurs employé·e·s depuis bien longtemps, peut-être que ce genre d'échecs techniques et leurs conséquences sur les ventes et la réputation du titre pourront servir de leçon sur ces pratiques très contestables.
The Callisto Protocol a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur et sur PS4 via une version achetée par nos soins. Il est également disponible sur PS5, Xbox One et Xbox Series.
Qu'il est compliqué de donner un avis arrêté sur The Callisto Protocol. Il est le Dead Space que j'attends depuis si longtemps, il est parfois ringard, parfois confortablement ancré dans les années 2010, et pourtant très moderne sur certains aspects, pour le meilleur comme pour le pire. Il s'agit du AAA d'action horrifique promis et pourtant, je ne peux me résoudre à vous le conseiller. Ses problèmes de performances le rendent très désagréable à aborder, si ce n'est injouable dans certains cas, et s'avèrent surtout être les stigmates de conditions de production très peu reluisantes. C'était paradoxalement un des messages du jeu : on peut toujours compter sur le capitalisme pour tout gâcher.
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