Shin chan: Shiro and the Coal Town est le second jeu à signer la rencontre entre deux licences japonaises peu, sinon pas connues par chez nous.
L’une n’était jamais sortie en dehors du Japon avant cet été et la publication de son héritier spirituel, quand l’autre est pourtant un succès à l’international et se décline sous tous les formats possibles. L’occasion de revenir sur leurs particularités respectives et de voir comment elles se rejoignent à cheval entre la campagne japonaise et la ville industrialisée, entre le foodtruck contemporain et l’auberge traditionnelle. Et autant prévenir : vous allez entendre beaucoup de chants de cigales dans les trailers ci-dessous.
L'été de Boku-Shiro
Si vous trainiez sur la chaine de télévision spécialisée Fox Kids au début des années 2000, peut-être connaissez-vous déjà Shinnosuke, cinq ans, l’air ahuri, souvent le derrière à l’air. Publié pour la première fois au Japon en 1990, le manga de Yoshito Usui s’est d’abord fait connaitre en France par la diffusion de son adaptation animée avant de connaitre deux tentatives d’édition éphémères en 2006 et 2008, laissant l’œuvre pour le moment incomplète en français. La série n’a pas connu de franc succès sur notre territoire, au contraire de son rayonnement en Asie et, plus proche de chez nous, en Espagne, où la popularité du personnage s’est notamment traduite par la localisation, exclusive en Europe, de jeux vidéo en espagnol.
Crayon Shin-chan, c’est plus de 60 tomes de manga, 1200 épisodes de série animée, des spin-offs, des produits dérivés, un film par an depuis 1993 et une cinquantaine de jeux vidéo, tout ceci tournant autour du personnage éponyme. Shinnosuke est un petit garçon espiègle qui n’a pas sa langue dans sa poche et s’amuse à faire tourner son monde en bourrique. Il a une fâcheuse tendance à comprendre ce qu’il veut quand il le veut, et ne perd pas une occasion pour danser toutes fesses dehors. Gravitent autour de lui ses parents, sa petite sœur, son chien, ses amis et toute une galerie de personnages entraînés dans le flot burlesque quotidien de ce môme turbulent, fan de héros costumés et un peu pervers sur les bords.
C’est peut-être de ce côté qu’il faut chercher l’une des raisons du manque de succès en France, le manga étant a priori plein de sous-texte à destination des adultes, doublé d’une intrigue diluée dans le genre de la tranche de vie, qui n’avait peut-être pas encore trouvé le chemin de son public à l’époque. Sans pour autant avoir droit à une traduction française, on a pourtant vu sortir en 2022 le jeu vidéo Shin chan: Me and the Professor on Summer Vacation - The Endless Seven-Day Journey sur PC et Switch. Un titre à la structure ambitieuse qui reprenait les fondements d’une licence essentiellement japonaise, Boku no Natsuyasumi, ou My Summer Vacation, un de ses titres anglais officieux.
Sorti en 2000 sur PlayStation, le jeu est développé par le studio Millenium Kitchen, fondé pour l’occasion par Kaz Ayabe. On y incarne Boku, un jeune citadin de neuf ans envoyé en vacances chez une tante habitant la campagne, le temps que sa mère accouche de son adelphe, en plein mois d’août 1975. Il doit y rester un mois et peut occuper son temps comme il l’entend : exploration des environs, chasse aux insectes, pêche, bataille de scarabées, cerf-volant… Des événements de scénario se déclenchent à des jours donnés, qu’on est libre de suivre ou d’ignorer. Les jeux suivants de la série suivent un programme similaire, avec l’ajout d’activités et le renouvellement des lieux de vacances. Millenium Kitchen travaillera essentiellement sur Boku no Natsuyasumi et la figure de l’auteur d’Ayabe accompagne les productions du studio jusqu’à aujourd’hui.
C’est en 2013, à la faveur d’une édition portée par Level-5, qu’arrive en France le premier jeu du studio, Attack of the Friday Monsters! A Tokyo Tale (Nintendo 3DS). Sur une échelle plus réduite, il suit une structure similaire à laquelle s’ajoute une dimension fantastique avec l’apparition (réelle ou non, qui sait ?) d’extraterrestres, de kaijus et d’un héros de sentai géant à la Ultraman. C’est avec ce jeu (et bien après sa sortie) que j’apprends à connaitre le travail vraiment à part de Millenium Kitchen. Son approche diffère de tout ce à quoi j’avais pu jouer jusque-là, en inscrivant le jeu vidéo dans un contexte commun, où les éléments exceptionnels tiennent aux contextes choisis, le passé pas si lointain d’un pays très éloigné, et la perspective d’un enfant qui découvre un environnement inconnu et celles et ceux qui l’habitent. C’est grâce à un dossier posté sur le blog (français) d’Exelen que je découvrirai Boku no Natsuyasumi et l’impossibilité d’approcher la série… jusqu’à récemment.
D’abord car le deuxième épisode de la série a été traduit par une équipe de fans l’an dernier, mais surtout car, après un semblant de pause dédié à la tenue de son restaurant, Kaz Ayabe et Millenium Kitchen par extension ont repris leur activité dans le jeu vidéo à la faveur de deux projets. Le premier est porté par Neos Corporation, dont la filiale jeu vidéo propose à Ayabe de travailler sur un titre utilisant la licence Shin chan avec la structure des jeux de Millenium Kitchen, en particulier Attack of the Friday Monsters! A Tokyo Tale. Shin chan: Me and the Professor on Summer Vacation - The Endless Seven-Day Journey (2022, PC, PS4 et Switch) reprend beaucoup d’éléments de la série phare d’Ayabe, notamment son choix de caméras fixes, ses activités en plein air ou encore la tenue d’un journal relatant au jour le jour les aventures de Shinnosuke écrit par lui-même, tout en l’adaptant au personnage adoré et à son ton humoristique. Le second projet s’est révélé comme un nouvel épisode non officiel de Boku no Natsuyasumi, adapté au goût du jour ; entendez « influencé par Breath of The Wild ». Natsu-Mon: 20th Century Summer Kid (août 2024, PC et Switch) s’émancipe des écrans fixes et adopte une zone en monde ouvert où vadrouiller en liberté, dans une ville côtière du Japon de 1999. Un retour aux sources comme nouveau départ ? On l’espère, en tout cas, car si les jeux à l’atmosphère détendue où l’on peut chasser le papillon sont apparus en masse depuis 2001, rares sont ceux qui font le pari d’un ancrage dans le monde réel.
Tsu Shin chan Atlas ? Trop cool, une comète à mon nom
Shin chan: Shiro and the Coal Town fait office de nouvel épisode reprenant les bases posées par Me and The Professor…, tout en s’éloignant un peu de la formule suivie jusque-là par Millenium Kitchen. Aux commandes, on retrouve le studio h.a.n.d, responsable du portage Switch du précédent jeu, et si Kaz Ayabe est encore présent au générique, il occupe seulement un poste de supervision – et de l’écriture des paroles du générique, histoire de dire.
Shinnosuke se réveille sans se rappeler où il est. Après avoir suivi son père au Sud, sur l’île de Kyushu, c’est désormais vers le Nord que le garçon et sa famille se retrouvent, plus précisément dans la préfecture d’Akita, vers la pointe de l’île principale du Japon. Si le dernier périple était l’occasion de se rapprocher de la famille de sa mère, ce séjour se fait près de la maison des grands-parents paternels. Pendant que son père est en mission locale (il est même passé à la télé, c’est dire l’importance de sa présence), notamment pour mettre en lumière la nourriture locale, Shin chan redécouvre avec son grand-père comment s’occuper lorsqu’on est un garçon japonais à la campagne : attraper des insectes au filet à papillons et pêcher des poissons ou autres écrevisses. Le troisième jour, en suivant son chien Shiro, Shin chan se retrouve dans un wagon roulant sur une voie ferrée rouillée. Le terminus ? Coal Town, la ville du charbon, où les mineurs locaux extraient une roche étrange faite de la sueur et des larmes de leurs prédécesseurs.
À partir de là, les journées vont se partager entre les différentes activités disponibles, en se concentrant sur la principale composante du jeu, à savoir apporter des objets à des gens. La nature de ce qu’iels veulent va déterminer la vitesse à laquelle on remplira la mission : si ce sont des insectes ou des poissons, ce sera plutôt aléatoire selon ce qu’on attrape ; si ce sont des légumes, il faudra les faire pousser ou les échanger. Très rapidement, on organise nos petites journées entre les différents objectifs du moment, qui tournent assez vite mais se répètent à la longue. Dommage qu’une partie des courses soient finalement assez artificielles, convoquant une bande de mômes avec chacun sa spécialité, qui demanderont chacun de plus en plus de choses. Au départ plutôt vif, le rythme du jeu ralentit un peu avec l’introduction du jardinage et l’obligation d’attendre que ça pousse – eh oui, ça fonctionne comme ça, les potagers. Heureusement, les magasins et le troc permettent de trouver certains objets immédiatement, si tant est qu’on ait de quoi échanger ou assez d’argent de poche.
On a tôt fait de mettre en route sa petite routine et d’anticiper les besoins à venir. Vous parlez de vacances, vous ! L’ambiance générale, aidée par de très beaux visuels dessinés, leurs cadrages dynamiques et le sound design dépaysant, y fait pour beaucoup dans le plaisir de parcourir le village, un peu plus que Coal Town, aux tons marrons industriels. Si l’histoire racontée ne vole pas bien haut, on peut compter sur les dialogues assez enjoués pour dynamiser la narration. Shin chan, en premier lieu, fait régulièrement marrer à ne pas comprendre ce qu’on lui raconte et à interpréter les choses comme ça lui chante. Pourtant, son impertinence est plus timide que ce qu’on lui prête et il se révèle être un gamin finalement plus bonne pâte qu’agitateur. En passant, le jeu serait très adapté pour les enfants s'il bénéficiait d'une traduction française, ce qui n'est pour le moment pas le cas.
Ce dont manque surtout le rythme du jeu, c’est de variétés dans les vignettes qui ponctuent le passage des journées, pour donner envie de découvrir ce quotidien à la fois ordinaire et fantastique sans trop en faire. N’ayant pas fait les jeux de la série Boku no Natsuyasumi, je ne peux qu’émettre une hypothèse basée sur l’idée que je me fais de leur expérience, mais il me semble qu’en choisissant de resserrer sa narration sur une structure linéaire et en écartant les embranchements de scénario et plus précisément l’impact qu’a la joueuse ou le joueur sur le temps qui passe (marqué par la composition de son propre journal souvenir), Shin chan: Shiro and the Coal Town perd un peu de la force évocatrice de la formule et, avec, de notre implication dans ces vacances à la campagne. On compense en course de wagons de mines, plus techniques qu’elles n’y paraissent, et en blagues de papi.
Shin chan: Shiro and the Coal Town a été testé sur PC (Steam Deck) via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur Switch.
Si Shin chan: Shiro and the Coal Town a un mérite particulier, c’est celui de donner envie de creuser encore plus la veine de Boku no Natsuyasumi, avec laquelle il semble prendre un peu de distance. Il me tarde de m’essayer au précédent jeu Shin chan et, si possible, de toucher un jour à la série originale. Et concernant ce petit garçon au caractère bien trempé, on aura l’occasion de redécouvrir ses premières aventures avec la réédition prévue des 50 tomes de Crayon Shin-chan par Mangetsu, qui devrait débuter dans le courant de l’année prochaine. Si le concept de Boku no Natsuyasumi vous intéresse, vous pouvez retrouver deux entretiens (en anglais) avec Kaz Ayabe ici et là.
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