La série Lunar, méconnue en Europe, a transformé le JRPG au début des années 90, en y insufflant un souffle épique et une bonne dose de technologie avant-gardiste. Mais elle m'a aussi transformé moi, en tant qu'amateur de jeux vidéo. Et pouvoir m'y replonger via la compilation LUNAR Remastered Collection parue ces jours-ci est une excellente occasion de me confronter à nouveau à cette saga.
J'ai vu de la Lunar et je suis entré
Je ne vous en voudrais pas de ne pas vraiment connaitre Lunar, particulièrement au-delà des deux premiers épisodes. La tératologie imaginée par le scénariste Kei Shigema il y a plus de 30 ans a eu énormément d'influence dans le domaine du jeu de rôle, mais une postérité assez faible. Lunar a livré deux épisodes cultes, puis deux autres au succès, disons, assez modeste pour avoir tué la série sans espoir de cinquième épisode. Tout ceci s'est tristement fini devant les tribunaux sur d'obscures questions de possessions des droits de la marque, co-développée par deux entités distinctes et éditée par tout un tas de gens sur tout un tas de supports.
Car une des caractéristiques principales des deux premiers épisodes de Lunar, c'est leur nombre presque comique de remakes et de remasters, pas loin d'atteindre le niveau de celui de la licence Kingdom Hearts. Jeu palimpseste, le Lunar: The Silver Stars original sorti sur Mega-CD en 1992 a bénéficié de remakes en 1996 (ce dernier ayant été réédité cinq fois ensuite), en 2002, en 2009 et finalement en 2025. Le second jeu de la licence Lunar: Eternal Blue n'a pas bénéficié d'un recyclage aussi spectaculaire, mais a également eu sa propre V2 sur Saturn, puis de sa V3 sur PlayStation en 2000. Ne rentrons pas davantage dans les détails et retenons que chacune de ces versions et de ses ressorties s'est adjointe d'ajouts graphiques, techniques et scénaristiques. Comme un film remonté, ressorti en 4K, upscalé en IA et bricolé en post-prod, les versions les plus récentes de Lunar ne sont pas tout à fait équivalentes aux premières.

Ceci dit, à une ou deux sorties discrètes sur PSP, Lunar n'a jamais franchi légalement les frontières de l'Europe, et à peine plus en ce qui concerne les États-Unis. Les jeux du Studio Alex ont néanmoins pas mal infusé dans la communauté des fans hardcore de JRPG en Occident, au point d'influer directement sur la traduction pirate d'un certain RPG Maker. Comment expliquer ce statut un peu culte ? Certainement une histoire d'audace, et d'avoir été là au bon endroit et au bon moment.
L'incroyable voyage d'Alex
Il faut se souvenir que dans les années 80, le genre n'avait pas vraiment la forme qu'on lui connait actuellement. Encore très rattaché aux racines du RPG PC occidental hardcore, les jeux de rôle développés au Japon étaient pour la plupart incroyablement durs, assez peu axés sur la narration et encore moins sur la mise en scène. Bien sûr, Final Fantasy et Dragon Quest étaient déjà là, en rupture avec les dungeon crawlers brutaux des eighties, mais n'étaient pas encore franchement des expériences très accueillantes.

Lunar fait partie des jeux qui ont changé la donne. Avec ses scènes cinématiques en dessin animé, ses dizaines de dialogues doublés (merci le format CD !) et ses graphismes particulièrement fins pour l'époque, le premier jeu de la saga était pétillant et plein de modernité. Mais, surtout, c'était une jolie histoire. Pas l'austère combat de quatre guerriers contre une menace maléfique, mais le voyage très shônen d'un jeune garçon et de ses amis hauts en couleur pour découvrir le monde. Des gags, de l'aventure, des romances, des monstres géants, une mascotte rigolote et des rebondissements à gogo : tout ceci était encore relativement nouveau.
Trente ans plus tard, le voyage d'Alex, Nall, Luna et les autres pour rencontrer des dragons légendaires autour du monde semble un peu désuet, une redite naïve de tous les JRPG que vous connaissez déjà. Mais à l'époque de Lunar et de Lunar 2, c'était tout simplement une révolution. Il s'agit sans doute d'un des premiers JRPG à mettre en scène une dynamique de groupe aussi élaborée, servie par une écriture assez fine et une mise en scène aussi ambitieuse : une génération entière de Japonais est logiquement tombée sous le charme. Et les deux premiers Lunar ont inspiré une génération entière d'auteurs nippons, au point que certaines péripéties de ces deux jeux soient devenus des clichés du genre.
Un patrimoine enfin accessible

J'ai personnellement découvert le JRPG au milieu des années 90, au moment de l'arrivée en France de titre comme Secret of Mana et Mystic Quest, rares représentants de leur genre dans les boutiques de jeu vidéo de l'époque. Cependant, c'est bien avec l'arrivée d'Internet à la maison que j'ai pu enfin avoir accès aux dizaines (centaines, même) de jeux de rôle nippons qui relevaient jusqu'ici du pur fantasme. D'autant plus que je n'avais pas la possibilité d'y consacrer l'équivalent de centaines d'euros pour me lancer dans l'import.
Au début des années 2000, c'est bel et bien la scène (aujourd'hui assez mal en point) des fantrads et de l'émulation qui a permis à un adolescent comme moi de découvrir tout ce patrimoine. Xenogears, Final Fantasy Tactics, Chrono Trigger, Earthbound, Persona… Autant de jeux cultes qui devenaient accessibles en bricolant un peu son PC et en bravant un peu la loi. Et il me semble qu'alors, Lunar était un peu un passage obligé des gens qui partageaient ma passion. Tout simplement parce que ses très nombreuses ressorties sur moult supports le rendaient facile à émuler, et que sa traduction anglaise officielle circulait déjà largement. S'il était compliqué de trouver une version Saturn fonctionnelle, les versions PS1 ou Game Boy Advance, elles, se dénichaient aisément. J'ai donc des souvenirs extrêmement forts d'avoir fait et refait le voyage d'Alex un grand nombre de fois (j'avais le temps, à l'époque) dans ses différents remakes et remasters. Et d'apprécier à chaque fois la redécouverte de ce grand road trip qui préfigure des pépites comme Grandia et autres Trails in the Sky.

Sauf que les années ont passées. La possibilité de se confronter à nouveau facilement aux grands jeux du début des années 90 n'est plus un fantasme ou une activité réservée aux bricoleurs pirates du dimanche : la plupart des grands jeux de l'époque sont ressortis dans des versions plus ou moins heureuses sur Steam, sur Switch ou sur PlayStation. Jouer légalement à Chrono Trigger est désormais une possibilité accessible pour la plupart des bourses. Mais Lunar, qui a été pour tant de gens une porte d'entrée à tout un pan du jeu vidéo japonais, restait hors d'atteinte.
Par bonheur, ce n'est plus le cas. Ce double remaster est une somme de tout ce que les précédentes ressorties des deux premiers Lunar ont apporté : scénario étendu, cinématiques retravaillées, support des résolutions modernes, possibilité d'accélérer les (nombreux) combats, etc. Certes, on aurait aimé que ces deux JRPG aient bénéficié de remakes complets et soient retravaillés de fond en comble pour offrir une expérience plus moderne (avec un level design moins barbant, par exemple). Mais peu importe : il est enfin possible de redécouvrir pour quelques dizaines d'euros deux immenses œuvres qui ont participé à poser les bases de mon amour pour le jeu de rôle. Il s'agit tout simplement des meilleures versions jamais parues de Lunar et Lunar 2. On n'a pas beaucoup de raisons de se réjouir d'avoir le jeu vidéo pour passion en 2025. En voici au moins une.

LUNAR Remastered Collection a été testé sur PlayStation 5 via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch, PlayStation 4, PC, Xbox One et Xbox Series.

zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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