Il était assez difficile de passer à côté : le 6 septembre sortait le très attendu Astro Bot, en exclusivité sur PS5. Développé par la Team Asobi, spécialisée depuis maintenant quelques années dans des vitrines techniques de Sony très appréciées (The Playroom pour la PS4, Astro Bot Rescue Mission pour le PS VR, Astro’s Playroom pour la PS5), cet Astro Bot est sans conteste l’œuvre la plus ambitieuse et complète du studio. Et ça aussi, il était difficile de passer à côté : le succès critique, tant du côté de la presse que des joueurs·euses, est au rendez-vous. On assiste ainsi à un concours de superlatifs à son encontre depuis quelques dizaines de jours, au point de me le faire acheter day one. Il faut dire qu’on nous vendait le GOTY, mieux encore, un platformer 3D AAA hyper créatif et généreux, qui mettrait une fessée à l’ensemble de la production moderne.
Et donc, forcément, face à de telles attentes et de telles promesses, ma première réaction a été d’être légèrement déçu par un titre que je trouvais moins fou et moins débridé que ce que l’on me décrivait. Ce n’est pas pour autant que j’ai boudé mon plaisir : Astro Bot sera bien dans la liste de mes GOTY (probablement pas premier, mais tout de même très haut), car c’est effectivement un très bon platformer 3D, rempli d’idées et de concepts amusants, et faisant preuve d’une bonne humeur parfaitement communicative. Mais une fois l’aventure terminée, je n’ai pas pu m’empêcher d’y resonger, et surtout de repenser à cet accueil aussi dithyrambique et sans grande nuance. Pourquoi ne mentionne-t-on pas ces combats un peu meh, ces hitboxes ou collisions parfois approximatives, ces environnements certes tous sublimes, mais quelquefois un peu convenus, voire clichés ? Et si cette réception quasi unanime en disait finalement plus sur l’offre AAA et grand public que sur le jeu en lui-même ?
Que l’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit. Je n’entends à aucun moment délégitimer le ressenti et l’enthousiasme de qui que ce soit. Les gens qui chantent les louanges d’Astro Bot le font je crois avec toute la sincérité et bonne foi du monde, et ont réellement adoré leur temps passé sur le jeu. Astro Bot sera leur GOTY, je ne suis personne pour leur enlever et je ne le souhaite même pas : c’est super, comme sentiment. Ce que je souhaite questionner, ce sont les raisons qui peuvent avoir mené à cette liesse, et à l’importance du contexte (de l’industrie vidéoludique comme des circonstances sociales et politiques générales) dans la réception d’une œuvre.
Pour commencer, je crois qu’on manque, collectivement, de platformers grand public originaux. On ne manque pas de platformers en soi, mais si on enlève les remakes/remasters, les indés plus ou moins obscurs (parmi lesquels de très bons jeux, voire des chefs-d'œuvre arrivent régulièrement, mais il faut admettre qu’ils ne dépassent que rarement leur niche), les photocopies de collectathons des années 90/2000, les trucs hardcore (qui donc, par définition, ne sont pas grand public, aussi bons soient-ils), il ne reste finalement plus grand-chose. C'est, je pense, une des raisons pour lesquelles un Mario Wonder a fait autant de bruit l’année dernière, de la même manière que Ratchet & Clank: Rift Apart en 2021, Rayman Origins/Legends en 2011 et 2013, ou donc Astro Bot en 2024 : les occurrences de platformers à grand spectacle et orientés grand public ne sont pas légion, tout juste en avons-nous un par an, et souvent en exclu sur une plateforme.
Et pourtant, j’ai vu mes réseaux sociaux se remplir non seulement d’avis extrêmement positifs à l’encontre d’Astro Bot, mais aussi de démonstrations de try hard sur les niveaux les plus corsés, de la part de personnes qui ne jouent habituellement pas trop à ce type de jeux, qui sont venues pour l’aspect grand public et créatif, et qui sont restées jusqu’aux challenges optionnels les plus ardus. C’est, je pense, un argument assez solide quant à la pertinence de platformers AAA et à l’appétence du grand public pour ce genre, pour peu qu’il soit bien fait, accueillant et qu’il y en ait pour tout le monde. Ainsi, Astro Bot fait partie des meilleures portes d’entrée dans le genre pour un public inexpérimenté. Dommage cela dit que ce soit en exclu sur un parc de consoles aussi réduit et onéreux.
Mais le manque de platformers n’est probablement pas la seule explication à ce succès critique. Je pense qu’on manque surtout de jeux joyeux, festifs, colorés, bref, de jeux réellement feelgood. Encore une fois, on en trouve facilement du côté des indés, c’est même devenu une étiquette et un showcase à part entière avec les wholesome games (qui, étrangement, ne sont pas toujours feelgood, les contours du genre restent à mon sens encore un peu flous). Et j’ai pour ma part eu mon lot de jeux joyeux ces dernières années dans les petites productions, de Once Upon a Jester à Wandersong, en passant par Little Kitty Big City, Tiny&Tall ou Frog Detective. Mais quand on regarde la production AAA (allez, le AAA hors Nintendo), les grosses sorties tendent vers du Resident Evil, The Last of Us, Cyberpunk 2077, Elden Ring : si tout n’est pas forcément badant, on pointait fin 2023 une année majoritairement passée sous le signe du body horror, de la déprime et du PEGI 18.
C'est un autre constat que l'on peut faire au sujet des grosses productions : les principaux éditeurs ne tablent quasiment plus que sur du 18+, qui cible donc un public majeur, que l'on cherche à séduire avec des jeux considérés comme matures (ce qui, dans la tête des producteurs et actionnaires, semble vouloir dire du cul, de la violence et/ou des environnements marronnasses et photoréalistes) pour amortir au maximum des coûts de production toujours plus élevés, quitte à mépriser le jeune public en lui servant du AA médiocre à licence, du free-to-play cynique ou en s'accommodant très bien de lui vendre des jeux interdits aux moins de 18 ans. Des titres comme Spider-Man 2 en sont un bon exemple : là où ce genre de jeux d'aventure se destinaient à un public enfant et adolescent quelques années en arrière, le ton de la licence s'est sévèrement durci en même temps que le budget a grimpé, et j'aurais personnellement du mal à coller un gosse devant Venom qui mange des têtes ou la version (moche) sexualisée de MJ en symbiote.
Comme s'il n'y avait que deux types de jeux joyeux et colorés acceptables : les grosses licences Nintendo, qui tablent autant sur un public familial et "casu" que sur des trentenaires et quadras nostalgiques, et les jeux pour enfants, qui se voient généralement bâclés et méprisés, car pourquoi faire un effort pour les gosses, après tout. Et tant pis si des cartons gigantesques comme Minecraft, Terraria, Animal Crossing, Tetris, Mario Kart ou Stardew Valley donnent tort à cette frilosité des éditeurs hors Nintendo à se lancer dans des licences un peu plus colorées et réellement tout public.
C'est d'ailleurs cette pénurie de jeux colorés et feelgood qui avait grandement contribué à faire de Hi-Fi Rush mon GOTY l'année dernière (et que Mario Wonder avait été celui de beaucoup de gens), en cela qu’il représentait une parenthèse festive et joyeuse dans un contexte politique plombant, tant sur le plan national qu’international, et que trop peu d’autres jeux ont su apporter. J'écrivais ainsi en décembre 2023 : "On manque définitivement de propositions aussi premier degré, aussi dénuées de cynisme, aussi radicales dans ce bouillonnement de joie et d’allégresse, et c'est probablement ce manque qui rend l’existence et le succès de Hi-Fi Rush d’autant plus précieux et remarquables". C’est un constat qui fonctionne également pour 2024, et je pourrais écrire la même phrase au sujet d’Astro Bot cette année. Et c’est, je pense, la principale raison de l’engouement généralisé autour du titre.
Je le répète, le but de la réflexion ici n’est pas de diminuer ou nier les qualités évidentes d’Astro Bot, ni de réduire les enthousiastes du titre à un grand public qui ne connaîtrait pas le genre : la presse spécialisée et les habitué·es des platformers ont d'ailleurs aussi chanté ses louanges. En plus d’être techniquement solide (même s’il n’est pas tout à fait assez rigoureux à mon goût pour tenir sur les passages les plus difficiles dans les niveaux optionnels), joyeux et créatif, c’est également un immense hommage au catalogue PlayStation (n’oublions pas que la saga Astro Bot est d’abord conçue comme une vitrine pour Sony). Mais loin d’être dans la citation cynique ou facile, la Team Asobi montre une réelle affection et connaissance des jeux référencés, autant dans les Bots à trouver, qui font montre d’une culture assez pointue dans le domaine, que dans les niveaux finaux de chaque monde, qui reprennent le gameplay et la philosophie des plus grosses licences PlayStation. Les séquences Uncharted, God of War ou Horizon ne font pas que plaquer une esthétique sur le jeu, elles reprennent de manière assez intelligente ce qui fait le sel de ces titres, et l’adaptent selon le gameplay et les limites d’Astro Bot. On fait difficilement hommage plus efficace et sincère.
Et je pense qu’avec ce mélange, on obtient une explication assez satisfaisante de ces avis dithyrambiques : Astro Bot arrive dans un contexte où l’on manque de gros platformers grand public abordables, de jeux joyeux et colorés, et fait preuve d’un amour sincère et respectueux pour presque trente ans d’histoire du jeu vidéo, le tout avec une maîtrise quasi exemplaire de son game et level design. Il ne pouvait que toucher sa cible. Cependant, si Astro Bot doit son succès à son statut d’anomalie dans le paysage vidéoludique, on peut regretter qu'il fasse office d’anomalie. Si on avait plus de titres comme Astro Bot, ce dernier n’en serait pas moins bon ou moins appréciable, on aurait seulement plus de bons platformers AAA et grand public.
Et c’est peut-être là que le tableau commence à se noircir : si vous suivez rien qu’un peu l’actualité vidéoludique, vous ne pouvez ignorer que l’industrie se porte particulièrement mal, et que les studios de toutes tailles subissent fermetures et licenciements massifs (qui n’ont pas épargné les équipes de Sony, qui a viré 900 personnes en début d’année, et ce malgré des titres comme The Last of Us et Spider-Man 2 qui cartonnent en termes de ventes). Difficile, dans ce contexte, de produire du AAA solo de pure plateforme quand le genre n’est pas particulièrement à la mode, et de créer des univers feelgood et des ambiances festives, quand l’ambiance est au crunch et à la crainte pour son emploi. Et, malheureusement, le cas Hi-Fi Rush l’a bien montré : le succès critique de ce genre de titres ne garantit ni la survie future du studio, ni le financement d’autres jeux de la même sorte. Astro Bot est et restera probablement une anomalie dans les catalogues AAA. C’est pour ça qu’il est précieux, mais ça ne dit pas de très bonnes choses de l’industrie.
Articles similaires
Life is Strange : Double Exposure - La faute au finish
nov. 13, 2024
Some Goodbyes We Made - Au-delà du jeu
nov. 08, 2024
Shadows of the Damned : Hella Remastered - L'enfer est-il pavé de remakes dispensables ?
nov. 01, 2024