C’est assez paradoxal. Alors que je terminais l’aventure 1000xRESIST et que les crédits défilaient devant moi, j’ai ressenti un besoin impérieux d’écrire dessus. D’écrire quoi ? Je ne sais pas. Mais d’écrire. Il le fallait, c’était une nécessité. Ce qui ne m’a pas empêché de passer 10 minutes devant un fichier Word vierge sans savoir par où commencer. Et c’est peut-être ce qui résume le mieux l’expérience vidéoludique que je viens de vivre.
Est-ce que cet article est une critique du jeu, un test ? Absolument pas. Est-ce que c’est une analyse de sa narration ou de sa multitude de thématiques abordées ? Non plus. Je n’ai nullement le bagage pour faire cela correctement. Mais face à la curiosité que le jeu représente et au flou persistant autour de sa proposition, même après visionnage de son trailer, je voudrais juste vous donner les clés pour savoir si ce jeu est fait pour vous ou non.
La plume est plus forte que l’épée
1000xRESIST, premier jeu du studio sunset visitor 斜陽過客, est sorti le 9 mai dernier sur PC et Switch et jusqu’à ce jour, je n’en avais jamais entendu parler. Après un, puis deux, puis trois tweets dithyrambiques dessus, je décidais de me renseigner à son sujet. Mes recherches demeurèrent avares en réponse, mais j’en sortais avec la certitude que je voulais/devais y jouer. 15 heures de jeu plus tard, je ne regrette absolument pas ce saut dans l’inconnu.
1000xRESIST est un casse-tête à évoquer. Il fait partie de ces jeux qui gagnent à être découverts avec la plus grande naïveté pour que ses surprises, nombreuses, impactent l’expérience avec un maximum d’effet. D’un autre côté, il est si atypique qu’il serait peu avisé de le conseiller aveuglément. S’il vous faut réaliser une chose dès maintenant, c'est que 1000xRESIST n’est pas un jeu pour tout le monde.
Soyons précis et concis. 1000xRESIST est un jeu purement narratif. On marche, on parle avec une multitude de personnages, on sélectionne des options de dialogue qui dans l’absolu ne modifient pas l'histoire. Le jeu propose quelques variations de gameplay avec des phases de déplacement aérien d’un point d’ancrage à un autre, tel un grappin invisible nous faisant voyager au-dessus du vide. Dans certaines situations, il nous est possible d’alterner entre plusieurs périodes temporelles. Classiquement, une porte fermée dans le présent sera ouverte dans le passé, il nous faudra retourner à la bonne époque pour la franchir avant de revenir à la temporalité qui nous intéresse. Si vous espérez de l’action avec des phases de combats façon NieR (référence souvent évoquée) ou un jeu d’énigmes avec des puzzles à résoudre, vous n’êtes pas au bon endroit. Dernière précision, 1000xRESIST ne possède actuellement aucune traduction française. Le niveau d’anglais nécessaire à sa bonne compréhension est plutôt basique, bien loin de ce que demandaient Disco Elysium ou Citizen Sleeper à leur sortie.
Première communion
De quoi parle 1000xRESIST ? L’information minimale à savoir est qu’il s’agit d’un univers futuriste. Pour le reste, je me permets de reprendre les informations partagées par le studio sur la page Steam du jeu. Son histoire démarre 1000 ans après l’apparition d’une race extraterrestre, les Occupants, dont l’arrivée a entraîné une pandémie aboutissant à l’éradication de l’humanité. Seule une jeune fille, Iris, immunisée contre ce fléau, a pu survivre. Devenue immortelle, elle a créé au fil des siècles une société composée uniquement de ses clones et se fait appeler ALLMOTHER.
Nous incarnons Watcher, une des clones d’Iris. Notre prérogative, sous-entendue par notre appellation, est "de voir et d’être témoin". Pour cela, nous devons réaliser un rituel appelé "Communion" qui nous permet de replonger dans les souvenirs de notre créatrice. Le trailer et la page Steam du jeu évoquent "un mensonge vieux de 1000 ans". Le jeu démarrant sur notre avatar en train de poignarder dans le dos notre chère ALLMOTHER, il paraît évident que des retournements de situation et des révélations fracassantes vous attendent au tournant. Mais cet aspect du scénario du jeu n’est que la partie émergée d’un iceberg dont aujourd’hui encore je ne mesure pas la réelle profondeur.
Avez-vous déjà entamé un livre, une série ou un film, happé par un grand mystère évoqué dans son résumé ou sa quatrième de couverture ? Tout cela pour au final vous retrouver à dévorer votre média pour tout ce qu’il offre au-delà de la révélation promise ? Si c’est le cas, vous devriez comprendre un peu plus ce qui fait la force et la particularité de 1000xRESIST.
Un des éléments qui ressort le plus dans les critiques et analyses du jeu est sa qualité narrative. Il est important de préciser que si ces louanges ne sont pas injustifiés, 1000xRESIST ne se démarque pas par l'utilisation de son interactivité à but narratif. Ne vous lancez dans l'aventure en espérant une nouvelle expérience Outer Wilds ou Immortality, deux jeux qui utilisent des outils inhérents du médium vidéoludique pour offrir des expériences narratives uniques à chacun.
Dans le cas présent, 1000xRESIST raconte les mêmes faits, dans le même ordre pour tout le monde, quels que soient nos choix et actions en jeu puisque ceux-ci sont extrêmement limités. À la manière de Soma, certains (rares) choix de dialogues qui s’offrent à nous n’ont de résonance que dans la morale personnelle que l’on transmet au travers de notre avatar, sans impacter le déroulement de l’histoire, sa morale et sa chronologie narrative. Les forces et particularités du jeu ne sont pas à chercher de ce côté.
Narrer n’est pas jouer
Si 1000xRESIST ne se démarque ni par son gameplay, ni par son utilisation de l’interactivité, qu’est-ce qui en fait un jeu à part que certains qualifient déjà de GOTY, notamment au regard de ses qualités narratives ? Deux choses : sa mise en scène et ses thématiques.
Le titre de sunset visitor 斜陽過客 possède une mise en scène parfaitement maîtrisée et rare pour son médium. C’est cet élément qui va vous rendre sensible ou non à sa proposition. Prenons Mulholland Drive de David Lynch : si les qualités du film sont indéniables, sa mise en scène hors norme divise les spectateurs. Certains crient au génie, d’autres demeurent insensibles, voire s’y révèlent totalement réfractaires. Un autre exemple encore plus parlant serait d’évoquer les deux derniers épisodes de l’animé Neon Genesis Evangelion.
1000xRESIST utilise son image, sa scénographie pour communiquer avec nous bien au-delà des mots prononcés ou affichés à l’écran. Si la majorité du jeu se déroule dans une vue classique de dos à la troisième personne, certains passages adoptent la première personne, la vue de dessus ou même latérale. Loin d’être une simple facétie de l’équipe, ces choix ont un sens et s’inscrivent dans une finalité narrative cohérente lorsque les pièces du puzzle finissent par s'emboîter.
199. C’est le nombre de captures d’écran que j’ai prises durant mes 15 heures de jeu. Bien loin de la finesse graphique d’un Senua's Saga: Hellblade II, et malgré une finition parfois brouillonne de certains visages et personnages, 1000xRESIST propose des visuels époustouflants, des jeux de lumières et d’ombres qui nous poussent à nous déplacer pour chercher le meilleur point de vue. Certaines scènes, figées dans le temps, s’apparentent à des rêves fiévreux où une pièce de théâtre surréaliste et futuriste attend que nous atterrissions calmement sur un siège molletonné après être tombé dans le terrier du lapin blanc d’Alice au pays des merveilles. Porté par une bande son perturbante qui alterne les morceaux de piano et de synthé mélancoliques avec des musiques inorganiques et dérangeantes, c’est une immersion dans une aventure dissonante et viscéralement oppressante que propose 1000xRESIST. Vous voilà prévenus.
Sci-Fi des idées de génie
J’écrivais plus haut que les deux éléments qui font l’unicité de 1000xRESIST étaient sa mise en scène et ses propos. Il est temps d’évoquer ce second élément. Dernier rappel que le jeu gagne à être découvert avec le moins d'informations possible. Je pense que vous avez déjà ce qu’il faut comme données pour savoir s’il est fait pour vous ou non. Les informations à venir, sans divulgâcher ses mystères, évoquent certaines thématiques abordées par le jeu qu’il peut être plus plaisant de découvrir sur le tas. À vous de voir.
Loin d’utiliser la science-fiction futuriste comme un simple enrobage visuel, 1000xRESIST a su utiliser le pouvoir allégorique du genre, avec une maîtrise totale. À tellement de niveaux. Son histoire est à la fois universelle, intemporelle et pourtant si personnelle et instantanée. Elle nous pousse à voir la réalité bien plus haut que de notre position avant de nous ramener, tel un zoom brutal, à la singularité mystérieuse de notre existence. Elle nous écorche avec les biais d’un monde que l’on observe parfois au travers d’une fente solipsiste.
Il n’y a aucun hasard dans le fait d’incarner Watcher dans un jeu qui évoque le danger du révisionnisme et sous-tend l’importance des survivants pouvant témoigner au fil de ces années qui voient l’Humanité répéter sans cesse les mêmes erreurs et reproduire les mêmes schémas que tous s’étaient accordés à condamner par le passé. Ce n’est pas un simple détail si certains événements du jeu prennent place en 2047, année où Hong-Kong pourrait perdre son autonomie au profit de la République populaire de Chine. Ce n’est pas anodin que le site de sunset visitor 斜陽過客 présente son équipe comme majoritairement issue de la diaspora asiatique.
Derrière son allégorie futuriste, 1000xRESIST pose aussi la question du sens de la sororité dans une société matriarcale et de cette force qui transcende le milieu dans lequel elle prend place. Les limites de la religion, la convergence des luttes, la violence comme réponse à une interdiction de dialogue libre, la question d’une force de répression associée à l’ordre, la filiation parentale et la répétition des schémas familiaux et éducationnels, autant de sujets qui trouvent leur place de manière cohérente, naturellement emboîtés dans une histoire globale. Totale.
Au fil des chapitres, des mises en scène, des révélations, 1000xRESIST nous renvoie à des problématiques qui résonnent comme les échos de cicatrices intergénérationnelles traversant le temps, les époques et s'entourent d’une gravité évidente au regard de l’actualité géopolitique. N’étant pas concerné par la majorité de ses sujets, il aurait été maladroit, préjudiciable et inopportun de me lancer dans une étude analytique de ses multiples propos, mais il y a matière à faire une thèse entière.
Est-ce que 1000xRESIST est un prétendant au GOTY comme certains le présentent déjà ? Je ne sais pas. Il est loin d’être parfait. Le rythme entre les chapitres est clairement inégal, l’architecture labyrinthique de son simili-HUB est une galère sans nom lorsque le jeu nous demande d’aller parler à un personnage en particulier (ou pire, à tous les personnages présents), son interactivité est extrêmement limitée. Et pourtant, il m’a raconté une histoire comme jamais aucun jeu ne l’avait fait auparavant et je sais qu’il va persister dans mes pensées pendant un long moment. Malgré ses quelques défauts, il mérite d’être connu, partagé, salué parce que si la rareté fait la valeur des choses, alors 1000xRESIST est un joyau imparfait, ne convenant pas à tout le monde, mais assurément inestimable.
Rifampicine
Je vous dirais bien ce que j'aime comme style de jeux mais ça change toutes les 6 heures. Alors disons que j'aime aussi beaucoup les musiques de jeux vidéo et écrire dessus.
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