Le 27 mars dernier sortait Far Cry 5, un jeu développé et édité par Ubisoft. Les premières images du titre laissaient envisager très fortement une critique de l’Amérique ultra-conservatrice. Celle des religieux possédés, des adorateurs d’armes à feu, et des racistes camouflés. L’Amérique « alt-right » comme elle est désormais appelée. Et puisque ces gens forment une grande partie des soutiens politique à Donald Trump, il était légitime de penser que le jeu se poserait en critique ouverte des dérives du président orange. Mais avec des grands efforts de communication, le propos contestataire du jeu a été réduit à néant, et les équipes d’Ubisoft ont préféré présenter le jeu comme étant seulement à l’encontre des mouvements sectaires. Manque de courage ou incompréhension ? On ne saura jamais vraiment. Mais le problème a resurgi avec l’annonce à l’E3 2018 de The Division 2, nouveau AAA d’Ubisoft au contexte fictionnel, mais très contemporain.
Et en un tweet, Oscar Lemaire, ancien de chez Gamekult et du journal Le Monde, a parfaitement résumé ce problème qui continue de gangrener l’industrie du jeu vidéo : l’absence de prise de position politique.
— Oscar Lemaire (@oscarlemaire) 12 juin 2018
L’E3 a souvent permis de prendre une photo à un instant T des aspirations du milieu vidéoludique, et c’est encore le cas ici avec Ubisoft et The Division 2. On a pu constater pour cette édition 2018 la présence de pas mal de personnages principaux féminins. Un mouvement déjà entamé depuis quelques années dans de plus en plus de jeux AAA. L’année dernière on a ainsi pu le voir, entre autre, dans NieR Automata et dans Horizon Zero Dawn. Et il ne s’agit pas juste de faire de ces protagonistes féminins des « panneaux publicitaires » pour des jeux bancals : les titres en question font partie des plus belles réussites de 2017. Les annonces de l’E3 de l’année dernière laissaient en plus espérer que cela allait se poursuivre. Et ça a été le cas.
Ellie de The Last Of Us 2, les filles jumelles de Blazkowicz (le héros de la saga Wolfenstein), l’héroïne (une parmi d’autres personnages ?) de Battlefield 5 et évidemment l’inévitable Lara Croft, héroïne d’un nouvel épisode de sa saga, intitulé Shadow of the Tomb Raider. Je pourrais aussi aborder le cas super intéressant cette année des jeux où des licences depuis longtemps iconisée par des personnages masculins ont décidé, soit d’offrir un choix entre un perso masculin ou féminin (Assassin’s Creed Odyssey) soit de changer de direction avec une nouvelle perspective féminine (Gears of War 5). Et je ne reviendrai pas sur les cas où de plus en plus de personnages secondaires féminins font partie intégrante de la narration, et ne servent plus de simple caution, ou d’objectif amoureux.
Mais une frange extrémiste de joueurs et de joueuses, une minorité bruyante d’abruti(e)s plutôt, continue de s’exclamer que l’intégration des femmes est le fruit de l’action des lobbies. Le travail d’une vision politique que ces gens-là ne partagent pas. Parce que pour eux, la politique et le jeu vidéo, c’est pas compatible. Enfin non, le problème n’est pas là. Le jeu vidéo n’est pas compatible avec LEUR manière d’imaginer la politique.
Leur influence générale sur la culture internet donne trop souvent l’impression aux éditeurs qu’ils représentent une voix à suivre pour prendre la température du marché du jeu vidéo. C’est ce qui justifie sûrement le choix d’Ubisoft dans le tweet partagé par Oscar Lemaire. Un détachement qui s’était déjà ressenti dans Far Cry 5, où la critique des rednecks était plus comique qu’autre chose, et tenait même presque du mépris de classe (même si c’est un terme que je déteste utiliser).
De toute façon c’est une position qui est vouée à disparaître. Avant, quand les gros FPS/TPS tablaient sur la 2nde guerre mondiale ou sur la guerre du Vietnam, ils pouvaient se cacher derrière « on raconte l’Histoire, ce n’est pas de la politique, on se base sur ce qui s’est passé réellement et on le met en scène ». C’était déjà totalement moisi mais ça passait. Maintenant, et encore plus avec le post-apo à la mode, c’est terminé. Si tu veux donner de la cohérence à un monde en ruines, t’as tout intérêt à expliquer son contexte, sa chute, et les raisons. Donc les causes et conséquences politiques. ET DONC UNE VISION POLITIQUE. Ubisoft n’est pas Nintendo, qui peut juste mettre des personnages débiles qui font des trucs débiles sans craindre d’être atteint par ces polémiques.
Alors oui, mettre des femmes comme protagonistes, c’est super cool. Et j’espère que ça ne sera là qu’une des nombreuses récupérations de tous les changements sociaux qui secouent la société. Le jeu vidéo ne doit pas être condamné à être uniquement l’illustration des canons de l’heroic-fantasy et des reconstitutions historiques, c’est triste de devoir encore expliquer ça en 2018.
Et ce n’est pas l’appel à combattre d’un croisé. Je tiens à rappeler qu’entre un(e) SJW converti(e) à la religion de la censure, et un(e) adhérent(e) de l’alt-right biberonné(e) au grand remplacement, il existe un tas de gens pour qui, parler politique c’est bien. Ou au moins intéressant, dès le moment où c’est bien fait. Et si c’est involontaire, il est de toute façon temps pour les éditeurs et développeurs d’assumer. Machiavel disait que « tout n’est pas politique, mais la politique s’intéresse à tout ». Mais il parlait de la pratique politique. Là, on parle du politique en tant qu’ensemble. Donc au final, tout est politique, même si tout ne l’est pas au même degré. Et c’est pour ça qu’il est important de mettre en perspective des propos transposés volontairement ou non dans un jeu.
Le jeu vidéo a la chance d’être porté par les créations de studios blindés de pognon, des studios moyens tiraillés entre croissance et fan-base, et par un incalculable nombre d’indépendants aux situations toutes différentes. Il est peut-être temps que le 10ème art soit à la hauteur de ce qu’on peut attendre de lui.
Veltar
Joueur de jeux vidéo qui aime la politique. Du coup j'écris surtout des trucs qui parlent des deux. Stratégie, Outer Wilds, Metal Gear Solid et indés en pixel art.
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