Derrière ce titre un brin provoc (on est des foufous chez The Pixel Post), se cache en fait une réflexion que je me fais depuis quelques semaines maintenant. Moi-même consommateur régulier de Twitch, je ne peux que me poser cette question lorsque je vois des personnes s’extasier devant des « gros » événements notamment esport retransmis sur le site de streaming d’Amazon : Et si, finalement, Twitch c’était quand même pas si important que ça ?
Commençons par l’actualité qui a mis le feu aux poudres. Vous n’êtes pas sans savoir que Epic Games, dans un coup de communication de génie (si, franchement il faut le dire ils sont forts) a littéralement tué Fortnite dimanche soir heure locale pour mettre fin à sa saison 10. Pour celles et ceux du fond qui dormaient je récapépète.
Aux alentours de 18h dimanche, des milliers de joueurs du Battle Royale le plus joué au monde se sont connectés pour assister à l’événement de clôture de la saison 10, après qu’un minuteur sur le site du jeu prévenait que ça allait être « La fin ». Autant dire que l’éditeur ne pouvait pas être plus dans le vrai que ça. Quelques minutes après le début de l’événement, la carte de Fortnite, et même le jeu en entier, ont été pris dans un trou noir. Depuis, (et à l’heure où ces lignes sont écrites, soit le lundi à 15h30), les joueurs ne peuvent plus jouer au jeu. Si on se connecte, on tombe juste sur une image du trou noir avec pour seul bouton accessible celui qui nous permet de quitter le jeu. Vous voyez ce coup de génie oui ? Les types se permettent de tuer le jeu le plus populaire du monde pendant de nombreuses heures !
Bon, le contexte a été remis. Passons au cœur du sujet. Cet événement n’a pas été seulement suivi en jeu, mais aussi sur internet à travers tous les canaux de diffusion en streaming possibles (Facebook, Twitch, Twitter, YouTube…). Selon Rod Breslau, enthousiaste consultant esport reconnu sur Twitter et faisant des apparitions régulières sur Fox Business notamment pour parler de ce milieu, plus de 6 millions de personnes à travers le monde ont suivi l’événement en streaming. 4,5 millions rien que sur YouTube ou encore 1,5 million sur Twitch. Mmmh, déjà vous apercevez quelque chose, Twitch est très loin derrière la plate-forme de Google en terme d’audience. Selon les dires de Rod, cela en fait l’événement gaming le plus suivi en ligne de l’histoire. Joli record. Mais toujours selon le consultant et une bonne frange de ses followers, venant souvent du monde de l’esport, il faudrait absolument s’extasier devant de tels chiffres. Eh oui ! La communauté des g@mers enfin réunie ! Tous sous une même bannière, à se rassembler en masse pour suivre de l’esport et des événements gaming !
Fortnite’s ‘The End’ event will go down as the most watched gaming event in history for western audiences
4.5M+ on YouTube
1.5M+ on Twitch
1M+ on Twitter
and 37 people on Mixerjust incredible
— Rod Breslau (@Slasher) October 13, 2019
Attention, ne faites pas comme BFM en regardant ces chiffres : les 37 viewers pour Mixer sont une blague de Rod
En l’occurrence, permettez moi de dresser un petit tableau comparatif suite à ces chiffres. Fortnite revendiquait l’année dernière plus de 150 millions de joueurs à travers le monde, plus de 200 millions cette année. De son côté, Twitch revendiquait l’année dernière 100 millions d’utilisateurs uniques (avant d’arrêter de mettre ces chiffres probablement très gonflés en clair sur la page A propos) pour des MIYARDS d’heures de stream visionnées. DONC, ramenons tout cela sur Terre : 6 millions de viewers repartis SUR AU MINIMUM 5 PLATES-FORMES DE STREAMING DIFFERENTES, ce n’est vraiment pas grand chose.
Pour comparaison (encore), ce dimanche passait sur TF1 en soirée Kong : Skull Island (un film que notre Chibi national semble apprécier un petit peu), qui a rassemblé plus de 5,2 millions de téléspectateurs devant leur poste. Même France 5, avec son documentaire « Le piment ne manque pas de piquant » a rassemblé 825 000 téléspectateurs, soit bien plus qu’une compétition esport de base. POUR UN DOCU SUR LE PIMENT ! Eh oui, là vous le voyez, je parle d’audiences au niveau national, pour de la télévision. Les 6 millions pour Fortnite eux, sont au niveau mondial. Vous vous rendez compte à quel point c’est peu ?
Alors oui, Twitch et consort visent un public qu’on pourrait qualifier de niche. Un public esport principalement (je vais y revenir) mais qui a tendu à se diversifier. En effet, on retrouve parmi des streams populaires des sujets aussi variés que la simple discussion, la cuisine ou encore des parties d’échecs et même de la politique (le sachiez tu ? Donald Trump a même lancé sa chaîne). Un public de niche donc pour ce qui est du jeu vidéo. Cette industrie dont la légitimité n’est absolument plus à démontrer tant économiquement qu’en terme d’audience dans le monde. Même si on peut éventuellement poser le principe que les joueurs de jeux vidéo sont une niche, l’esport, lui, serait donc une niche dans une niche, ce qui traduirait donc tous les chiffres « exceptionnels » dont on nous rabat le crâne par simplement quelques grains de sable sur une petite plage privée de Saint Trop.
Donc lorsque des gens importants du milieu s’extasient très fort sur des événements esport comme des compétitions mondiales qui regroupent quelques petites centaines de milliers de viewers voire un peu plus d’un million pour des grandes finales (Les Worlds de League of Legends ou Fortnite), nous sommes en droit de douter un peu de la légitimité d’une telle hype et d’un discours à base de « L’esport quand même ça devient vachement important ! ». Je ne remets pas du tout en doute, par contre, l’importance que prend l’esport au niveau économique, ça c’est indéniable – Quand le prix d’un slot d’accès pour une nouvelle équipe d’Overwatch League tend vers les 80 millions de dollars, il n’y a pas trop de doute à avoir -. Je remets en cause l’importance de l’audience de l’esport. Et donc par extension je remets en cause « les chiffres mirobolants de [insérer nom du jeu populaire] sur Twitch » et donc son véritable succès populaire.
Regardons l’Overwatch League que je suis assez régulièrement. La finale de la saison 2, qui a eu lieu début octobre, a rassemblé pas loin de 400 000 viewers tous streams confondus sur Twitch. Overwatch, c’est plus de 40 millions de joueurs revendiqués. Et même si 100% de ces joueurs n’ont pas d’appétence pour l’esport, 400 000 viewers pour ce qui se veut une finale majeure de la scène esport, ce n’est vraiment pas mirobolant. Surtout quand on sait que Twitch a déboursé 90 millions de dollars pour obtenir les droits de retransmission des matchs de l’OWL. On se demande même comment font les différentes league de l’esport pour gagner de l’argent lorsqu’on regarde les sommes déboursées au vu de leur audience mais il y a autant de visibilité sur ce sujet que sur la date de sortie de Star Citizen, donc pas beaucoup.
Vous n’êtes peut-être pas encore très convaincus par tout ce que je viens de vous dire. Laissez moi apporter un dernier argument sur le sujet. Pour essayer de trouver des chiffres précis sur le streaming ou sur le nombre de joueurs de tel jeu ou les audiences de telle ou telle compétition pour cet article, je suis très (trop) souvent tombé sur des articles déblatérant des infographies venant tout droit de communiqués de presse. Et comment les éditeurs de ces jeux nous vendent leur succès ? En parlant à coups de X milliards d’heures de visionnage (ce qui équivaut à 72 fois la distance Terre-Pluton WOAW!) pour X centaines de milliers de viewers cumulés (cumulés sur quoi, sur quel laps de temps, où ?) etc, etc.
Je suis désolé, mais tous ces chiffres ne veulent rien dire et témoignent d’un énorme enfumage de la part des entreprises du secteur qui tentent d’embellir l’engouement autour de ces activités. Certes, ils peuvent servir d’indicateur assez précis quant au succès populaire d’un jeu (quand un nouveau jeu attendu sort et qu’il cumule quelques centaines de milliers de vues sur Twitch à travers 12 000 streams différents on se doute bien qu’il y a une certaine hype derrière et qu’elle se retranscrira sur les ventes plus tard, quoi que j’aimerais bien voir une étude sur ce sujet, mais je n’en ai pas trouvé), mais de là à crier « C’est absolument génial regardez tout ce monde qui regarde cette compétition ! Esport is life ! – Désolé Rod mais ça tu le dis bien trop souvent et ça me pompe l’air – », non. Ce n’est pas légitime et ce n’est pas vrai. Oui, ça intéresse du monde, oui il y a indéniablement un public, sinon Bercy…pardon, l’Accord Hotel Arena, ne se serait pas rempli aussi vite pour la finale des Worlds de LoL de cette année, mais nous sommes loin d’un phénomène absolument mondial qui entraîne les masses dans son sillage. Il ne s’agit encore que d’une niche, bien installée, nous sommes d’accord, mais que d’une niche, au risque de me répéter.
Je rêve donc d’un jour où on arrêterait de se mettre des œillères parce que le jeu vidéo est notre passion et qu’on arrive à prendre le recul nécessaire pour s’apercevoir le plus honnêtement du monde de l’état actuel de cette industrie sportive et divertissante. Qu’on regarde de façon objective et transparente son véritable impact et sa portée, en s’éloignant des visions gonflées par les éditeurs et les propriétaires des plates-formes de streaming. Arrêtons d’idéaliser la chose et regardons la simplement comme elle est : une industrie efficace du spectacle et du divertissement adaptée à une petite niche de joueurs dans le monde, et c’est ok comme ça.
Benjamin "Noodles"
Faire des jeux de mots c’est mon dada. J'aime bien tous les jeux aussi. Sauf les mauvais ou ceux qui nous prennent pour des glands.
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