Cette campagne présidentielle 2017 a été pleine de surprises et a affolé Internet avec ses différents memes et autres catchphrases dont seul ce média a le secret. Outre les différents résultats, ce que nous retiendrons ici est l’irruption du jeu vidéo dans la campagne, non seulement en tant que sujet valorisé par différents partis mais également comme outil de propagande électorale, utilisé par les deux partis les plus plébiscités par les jeunes et qui avaient grand besoin d’une communication de dédiabolisation efficace : le Front National de Marine Le Pen et la France Insoumise, représenté par Jean-Luc Mélenchon.
Pour comprendre comment on en est arrivé là, petit récapitulatif des événements.
Les salons de jeux vidéo
En 2016, campagne présidentielle oblige, la Paris Games Week s’est transformée en Salon de l’Agriculture bis. Ce dernier est un passage obligé pour les politiques qui y vont volontiers tous les ans afin de réaffirmer leur attachement à la ruralité et aux bons produits français, ainsi que pour grappiller quelques voix auprès des agriculteurs. Mais le jeu vidéo commence également à faire rayonner la France dans le monde et il était temps pour les politiques d’au moins s’y intéresser le temps d’une journée, histoire de rencontrer des jeunes et de paraître un peu cool.
Nicolas Dupont-Aignan, qui a soutenu plus tard Marine Le Pen, y a fait ses premiers pas hésitants, essayant à la fois de ne pas passer pour un hypocrite et un « vieux jeune » comme il le dit lui-même, mais également de donner l’impression qu’il comprend les produits qu’on lui présente (avec plus ou moins de succès). Avant lui, Arnaud Montebourg s’y était également présenté, jouant lui sur le côté « Made In France » qui lui a été cher durant toute la campagne pour les primaires de la gauche. Les joueurs ont aussi eu droit à la visite du vice-président du Front National, Florian Philippot, habitué des salons en tout genre et qui avait fait auparavant un passage à la Japan Expo, s’attirant l’ire des organisateurs et les moqueries des internautes.
D’autres ont déserté les salons pour aller visiter des écoles, comme Jean-Luc Mélenchon et son passage à l’ENJMIN (l’Ecole nationale du jeu et des médias interactifs numériques) à Angoulême, où il s’est émerveillé en essayant un casque de réalité virtuelle. Pourtant, le politique n’a pas toujours été connu pour être un fan des jeux. En 2014, il avait fortement critiqué Assassin’s Creed Unity pour ses erreurs historiques et sa représentation de la Révolution française. Il accusait Ubisoft de transmettre une vision erronée et dégradante de la Révolution et de Robespierre, affirmation reprise par Alexis Corbière, son futur porte-parole, qui avait malgré tout souligné l’importance que pouvait avoir le média dans l’éducation culturelle et historique des jeunes.
François Fillon, candidat des Républicains, s’était lui aussi prêté au jeu de la réalité virtuelle lors d’une visite au CNES, avec moins d’enthousiasme que son adversaire.
Mais, comme indiqué dans l’introduction, deux partis se sont vraiment fait remarquer sur le sujet en cette campagne présidentielle, deux partis dont l’histoire et le rapport aux médias expliquent cette affinité pour les nouvelles technologies.
Le Front National, en pointe sur les nouvelles technologies
Longtemps ostracisé par les médias, le Front National a dès que possible utilisé les moyens de communication directs et de masse pour développer ses idées, alors même que l’accès à la télévision leur avait été offert dès 1982 par un François Mitterrand soucieux de déstabiliser la droite. En effet, le FN a été le premier parti à créer un site Internet, en avril 1996, quelques jours avant les Verts et avant cela, le premier parti a être présent sur le Minitel très franco-français. En cela, ils répondent à une stratégie évoquée dès 1995 par un néonazi américain, qui appelait à prendre d’assaut Usenet (un réseau décentralisé assez populaire à l’époque) pour propager des idées d’extrême droite.
Depuis, Marine Le Pen a pris la tête du parti et l’usage d’Internet s’est très largement répandu pour faire partie du quotidien des français. Menant en même temps une campagne de dédiabolisation de leur parti et une autre diabolisant au contraire les médias traditionnels, Internet et notamment les réseaux sociaux ont été une opportunité. S’inspirant largement de la campagne victorieuse de Donald Trump sur Twitter, ils ont ainsi alterné présence virtuelle et quasi-omniprésence dans les médias télévisuels. Leurs adversaires et les médias, pris de court, ont réagi bien tardivement, avec plusieurs initiatives de « fact-checking » de la part de journaux déjà décrédibilisés aux yeux de la fachosphère. Plus tardivement dans la campagne, c’est de Jean-Luc Mélenchon qu’ils se sont inspirés, en reprenant l’idée de la chaîne YouTube et, durant le deuxième tour, du jeu vidéo. Pourtant, même au niveau du jeu vidéo, le FN a toujours été en avance sur les autres partis. Dès les années 90, le parti revisite Pac-Man en remplaçant le petit personnage jaune par un Jean-Marie Le Pen qui doit attraper des flammes tricolores. Plus tard ils ont été les premiers à investir Second Life pendant la campagne présidentielle de 2007. Il est donc d’autant plus surprenant qu’à l’heure où les jeux vidéo se sont largement démocratisés, que le FN donne l’impression d’avoir copié Mélenchon avec un jeu fait à la va vite sur RPG Maker par certains de leurs sympathisants, répondant au nom peu inspiré de « Marine 2017 », et ce malgré leur avance sur le domaine.
Jean-Luc Mélenchon, de YouTube au jeu vidéo
Durant la campagne présidentielle de 2017, Jean-Luc Mélenchon a décidé de faire campagne seul, hors d’un parti, en se servant d’Internet comme d’une plate-forme participative ouverte à tous les citoyens. Là où le Front National s’inspire de Donald Trump, Mélenchon se tourne vers l’exemple Bernie Sanders, sa directrice de la communication ayant participé à la campagne du candidat américain. Ayant en commun avec le FN une certaine hostilité vis à vis des médias, c’est donc tout naturellement qu’il s’est tourné vers YouTube, afin d’expliquer ses prises de position et de répondre à des Foires Aux Questions, aussi bien sur des sujets graves qu’un peu plus légers. Repéré par les forums du site jeuxvideo.com, à qui il ne manque pas de faire une dédicace, sa chaîne YouTube devient rapidement celle comptabilisant le plus d’abonnés pour un politique français (371 269 à l’heure où ces lignes sont écrites), ce qu’il aime régulièrement rappeler. Étant l’un des rares politiques à donner une place au jeu vidéo dans son programme, ses partisans se sont saisis de l’occasion pour en créer plusieurs.
Le premier, « L’Emission Pourritique », se moque de l’attitude des journalistes durant le passage de Mélenchon lors de l’Emission Politique sur France 2 fin février dernier. Le but est d’incarner les journalistes et de taper le candidat lorsqu’il essaie d’expliquer ses idées afin de faire baisser ses intentions de vote. Une critique acide du traitement des médias comme le dénonce régulièrement Jean-Luc Mélenchon. Mais celui qui nous intéresse plus particulièrement et qui a reçu le plus d’écho dans la presse, c’est « Fiscal Kombat ».
Le jeu du FN… et de FI
Fiscal Kombat est un jeu vidéo créé par le Discord Insoumis dans lequel on incarne Jean-Luc Mélenchon. Le but est de secouer différentes personnalités connues pour leurs affaires judiciaires (la seule non-représentée étant Marine Le Pen, le graphiste ayant refusé de la modéliser) afin de récupérer l’argent qu’ils auraient supposément volé aux contribuables. Les scores des joueurs sont additionnés et mis dans un pot commun, métaphore de l’idée de Mélenchon d’une société plus égalitaire où les fraudeurs fiscaux seraient sévèrement punis et où les plus riches paieraient des impôts qui permettraient aux plus défavorisés de vivre dignement. Avec des graphismes plutôt sympathiques, le jeu a attisé la curiosité même des non-initiés, en étant de plus hébergé sur un site Internet, ce qui rend sa propagation plus facile sur les différents réseaux sociaux. Le jeu ici a donc fonction d’appuyer sur un point essentiel du programme du candidat, qui résume très rapidement son idéologie générale.
Du côté du FN, le jeu « Marine 2017 » est un petit titre RPG Maker à télécharger sur un site dédié. Réalisé pendant l’entre deux tours, il met en scène la montée de Marine Le Pen jusqu’à l’Elysée. Chaque candidat est représenté, avec leurs idées principales largement caricaturées et quelques erreurs, volontaires ou non, comme Philippe Poutou se retrouvant devant un drapeau de la CFDT alors qu’il est représentant syndical à la CGT. Le Pen doit donc se « battre » contre les candidats éliminés, en usant d’arguments politiques pour tenter de gagner leur soutien. Le boss final est bien entendu Emmanuel Macron et Le Pen sera rejointe par Nicolas Dupont-Aignan et… Jean-Luc Mélenchon pour le vaincre. Ici le but est très clair : dérouler point par point les composantes du programme de la candidate en opposition avec ses adversaires et de faire un appel du pied aux électeurs de Jean-Luc Mélenchon, que le FN a tenté de récupérer pour s’assurer la victoire.
Avec une petite équipe et peu de moyens, le jeu vidéo peut être une bonne solution pour les politiques pour attirer les jeunes et les intéresser à leur programme d’une façon moins austère et plus ludique qu’un livre de campagne par exemple. Mais d’autres avant eux avaient déjà compris le potentiel du médium et ont essayé de s’en servir pour faire passer des messages.
Le jeu vidéo, au delà du simple divertissement
Longtemps la politisation des jeux vidéo a été tabou. Elle a d’ailleurs été l’un des sujets du GamerGate, dénoncée de façon un peu hypocrite par des hommes blancs hétéros d’extrême droite, lassés de voir de plus en plus de personnages féminins, issus des minorités ou encore LGBT (ou tout ça à la fois). Ils y voyaient une volonté de développeurs souvent progressistes de faire accepter leurs idées en se servant de la popularité de leurs jeux. Ayant eu peu d’influence au niveau de la réalisation des jeux qui ont suivi, cette plainte s’est peu à peu estompée et le scandale a fini par se faire oublier et être relégué dans les profondeurs d’Internet.
Mais si l’implication des jeux vidéo dans la campagne présidentielle prouve quelque chose, c’est que ce média semble enfin avoir gagné ses lettres de noblesse auprès du grand public. Souvent regardé de haut, auparavant par ces mêmes politiques, il apparaît aujourd’hui comme l’un des meilleurs moyens pour faire passer un message fort, le joueur étant en même temps acteur et spectateur. Cette reconnaissance pourrait même lui permettre d’enfin pouvoir se définir comme un art, car comme tout art, plusieurs studios nous prouvent aujourd’hui que le jeu vidéo peut être engagé.
Par exemple, La Belle Games se définit sur son site Internet comme un label ne faisant pas des « serious games » mais plutôt des jeux avec un contenu. Eux aussi ont agi dans le cadre de la campagne présidentielle, bien avant les politiques, lors d’une game jam avec le journal indépendant Médiapart. Le but était simple : réunir des journalistes, des développeurs de jeux vidéo confirmés et des étudiants des Gobelins et de l’école Estienne pour réfléchir à des jeux vidéo originaux afin de parler de la politique, et notamment la présidentielle, autrement. A Paris, un autre studio du nom de « The Pixel Hunt », s’est totalement consacré aux « jeux du réel », l’un de leurs derniers jeux en date étant l’histoire d’un couple de Syrien séparé, la femme migrant en Europe pendant que l’homme, incarné par le joueur, restait sur place pour la guider par sms.
Loin d’être aujourd’hui le simple divertissement pour enfants et « adulescents » un peu attardés que certains voulaient voir en lui, le jeu vidéo se fait multiple et parle de tout, pour tout le monde et ce grâce au développement des studios indépendants. Et si cette fois aucun jeu vidéo n’a pu aider à la victoire d’un des deux candidats, nous pouvons nous attendre dans le futur à voir se multiplier les initiatives de ce type.
Fanny Dufour
Rédactrice le jour et rédactrice en chef la nuit. J'aime qu'on me raconte des histoires, mais seulement dans les jeux.
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