Le 16 novembre 2024, Half-Life 2 a eu 20 ans. Un titre qui a marqué l’histoire du jeu vidéo, offrant une expérience assez unique, où gameplay novateur et univers dystopique s’entremêlent. On le sait, ce chef-d’œuvre de Valve a été analysé encore et encore, et cela, dès sa sortie, compte tenu de ce qu'il apportait en jeu, mais aussi par ce qu'on pouvait y percevoir : une réflexion sous-jacente sur des thèmes éminemment politiques, comme la propagande, le contrôle des populations ou la violence d’État. De quoi y déceler certains codes qui résonnent avec les théories des régimes totalitaires. Si c'est de ça dont on va principalement parler, je crois qu'il est important, et plus inquiétant, d'en profiter pour constater aussi que ces mêmes éléments trouvent un écho dans des situations bien plus contemporaines que les totalitarismes du XXe siècle.
Le jeu de Valve aux innombrables récompenses apportait à l’époque une suite à un premier épisode au moins aussi culte. À tel point que des fans professionnalisés, Crowbar Collective, se sont évertués à reproduire ce dernier avec des graphismes améliorés et à le sortir dans sa version définitive en mars 2020 : le projet Black Mesa. Le succès de cette saga tient à son gameplay et son ambiance particulière, mais aussi à son protagoniste, Gordon Freeman, devenu immanquable parmi les icônes du jeu vidéo. Pas pour son charisme incroyable, c'est sûr, le bougre se murant dans un silence assez frustrant, mais surtout par son arme atypique et quasi légendaire : un pied-de-biche. Et si je reviens sur Half-Life 2, ce n’est pas pour évoquer un 3ᵉ opus ni même un possible 3ᵉ DLC. D’autant que s’agissant de ce dernier, on peut penser qu’il existe déjà sous le nom du tout récent Half-Life: Alyx. J'ai plutôt décidé de repiocher dans le script de ma vidéo sur Half-Life 2 et le totalitarisme, de prendre un peu de recul et de revenir sur tout l'aspect politique autour de ce jeu.
J’avais à l’époque de la sortie du jeu à peu près la moitié de l’âge que j’ai aujourd’hui. Pas super conscient politiquement, comme la plupart des adolescents qui n’ont pas été happés par les discours faciles des partis qui viennent les chercher à la sortie des cours, j’admets avoir joué à Half-Life 2 avant tout pour le fun qu’il procurait (le gameplay addictif du gravity-gun a pas mal aidé pour ça). J’avais tout au plus remarqué un vieux déblatérant des messages étranges par le biais d’écrans. En relançant, j’ai pu mesurer à quel point j’avais minimisé l’importance de cet aspect dès notre arrivée mouvementée en gare de Cité 17. Si on l’apprend seulement plus tard dans le jeu, il est intéressant de faire un petit rappel du contexte. Le Cartel, un empire extra-terrestre dont la domination s’étend déjà sur de nombreux mondes, contrôle la Terre depuis une vingtaine d’années et les événements du premier Half-Life. Ce contrôle ne s’effectue pas directement, mais par la délégation du pouvoir à Wallace Breen, qui administre en leur nom depuis Cité 17. Afin de s’assurer de la bonne obéissance des Terriens, le Cartel a même engagé une procédure d’hybridation génétique entre aliens et humains pour certaines forces armées. Le but est double : donner aux citoyens l’illusion qu’ils ne sont pas sous une domination extérieure à leur planète, et faire peu à peu disparaître les êtres humains non modifiés.
Mais ces informations ne permettent pas encore de bien percevoir ce qu’est le monde d’Half-Life 2. L’aventure se passe en grande partie au sein d’un État policier, répressif, violent et abreuvé par une propagande constante. Est-ce que cela suffit pour autant à dépeindre un État totalitaire ? Pour découvrir cela, on va partir des éléments communément admis pour caractériser le totalitarisme. Hannah Arendt, Carl Joachim Friedrich, Giovanni Gentile ou encore Raymond Aron, ces penseurs du totalitarisme ont cherché à faire émerger des éléments distinctifs qui font sa spécificité. Si des différences existent entre les auteurs (Gentile était par exemple un fervent défenseur du totalitarisme et est un des piliers de la pensée fasciste en Italie, je vous laisse imaginer la proximité avec Hannah Arendt) on peut s’accorder sur cinq éléments constitutifs qui font le totalitarisme : un chef et un parti, une idéologie, une propagande d’État, une économie contrôlée, et enfin une police politique.
Le chef et le parti
Commençons par le chef et le parti. Ça signifie que le monopole des activités politiques est soumis à un parti unique, qui lui-même est le plus souvent soumis à un chef. Ça veut dire donc pas d’opposition, ou quand c’est le cas, elle est vidée de tout pouvoir et de capacité à convaincre. Or, dans Half-Life 2, il n'y a pas de parti puisqu'il n'y a pas de vrai pouvoir politique au sens commun du terme. On s’éloigne donc d’un schéma classique avec un chef d’État également chef d’un parti omniprésent dans la vie quotidienne. Mais on observe quand même quelque chose d’assez intéressant : Wallace Breen administre Cité 17 et est le représentant du Cartel sur Terre.
En gros, il a les pleins pouvoirs, mais reste lui-même soumis aux ordres des entités qui lui sont supérieures. Le Parti est d'une certaine façon le Cartel qui a eu besoin d'une figure humaine pour diriger et agir en tant que chef. Il est un intermédiaire, mais a un projet bien personnel, auquel il croit. Breen se rapproche finalement assez, de par son attitude, de la figure de Pétain. Une comparaison qui paraît un peu simple, mais je reviendrai dessus en fin d'article. On retrouve l’idée d’un chef et d’un parti, mais dans un rôle qui n’est pas celui qu’on retrouve logiquement dans les États totalitaires puisqu'ici, si on suit la comparaison, le chef est soumis à l’autorité du Parti, quand bien même Breen conserve sa propre vision du pouvoir.
L'idéologie
On a ensuite l'idéologie. Qu’est-ce qui vient en premier dans le totalitarisme ? Le politique ou l’idéologique ? D’après moi, et pas mal de politologues, c’est l’idéologique qui façonne le politique. Oui, l’idéologie est une arme utilisée par le parti, mais ce qui permet à ce pouvoir politique d’exister et de se créer sa propre légitimité, c’est justement l’existence d’une idéologie à appliquer. Même si les avis divergent, l’idéologie reste un élément central d’un régime totalitaire, car elle va permettre au pouvoir politique de modeler sa propre vérité d’État : un dogme est imposé, une ligne directrice qui s’infiltre dans toutes les strates de la société et la guide par la force. Dans Half-Life 2, cette idéologie, c’est le contrôle des mœurs et plus spécifiquement des naissances. Cette supervision totale de la population est sans cesse justifiée par Wallace Breen comme une étape vers une Humanité transcendée. Un concept en totale résonance avec ce qui fondait les totalitarismes du XXᵉ siècle, qu’il soit dans l’Italie de Mussolini, dans l’Allemagne Nazie de Hitler ou dans l’URSS de Staline : la volonté de créer un Homme nouveau.
Cela passe en jeu déjà par toute une argumentation autour de l’incitation à accepter l’hybridation. Celle-ci marquerait une étape supplémentaire de l’évolution humaine. On comprend mieux alors le contrôle strict de la fertilité : il faut éviter que l’Humanité garde ses moyens de reproduction primitifs afin qu’elle accède à un stade supérieur de l’évolution. On apprend ainsi que la reproduction humaine n’est pas seulement limitée ou contrôlée, elle est bloquée. Un dispositif appelé "champ de suppression" agit sur les chaînes de protéines et empêche désir et reproduction. Cela expliquerait notamment l’absence d’enfants et ce moment étrange au début d’Half-Life 2, lorsque l’on approche une aire de jeu à l’abandon, et qu'on y entend l'écho de cris d'enfants qui devaient jouer à cet endroit. Ces derniers n'ont sans doute pas été tués, mais leur absence témoigne au moins d'une menace qui pèse sur eux, y compris dans un tel lieu.
La propagande
Arrive ensuite l’évidente propagande. Pour légitimer cette idéologie auprès de la population, le meilleur moyen, c'est la propagande. Il s’agit de contrôler les médias et d’envahir l’espace public en diffusant continuellement des messages, peu importe les médiums utilisés : journaux, affiches, vidéos, musiques, tout est bon à prendre. Et c’est là l’un des éléments marquants d’Half-Life 2, la propagande. Dès l’arrivée dans la gare de Cité 17, elle est immanquable. Déjà par la présence d’écrans à profusion. Le visage de Wallace Breen est partout et on se sent observé même quand personne n’est là.
À cette présence visuelle s’ajoute l’omniprésence sonore. Alternant entre longs discours inspirants et consignes administratives, on est intrigué par ces messages. Un ton monocorde, presque banal, qui s’insinue peu à peu et s’installe comme fond sonore acceptable. Un visage et une voix bigbrotheresques auxquels personne n’échappe et qui rongent peu à peu l’esprit critique. Les affiches et inscriptions murales ne sont pas en reste, des messages placardés un peu partout, des logos reconnaissables sont là pour rappeler qui est au pouvoir, mais comme souvent, c’est un moyen d’expression davantage utilisé par ceux qui luttent contre le système en place. Cette propagande passe aussi par les non-dits et le symbolisme. Inévitable dans l’horizon de Cité 17 : la Citadelle. Immense tour à la structure changeante, elle est l’incarnation de la toute-puissance face à laquelle les habitants ne peuvent rien. Son sommet, invisible depuis le sol, est le témoignage physique d’un pouvoir incommensurable, inatteignable, et contre lequel il paraît impossible de lutter. Ce monolithe technologique représente parfaitement l’incroyable supériorité du Cartel et sa capacité d’adaptation autant que son apparente stabilité. L’outil de propagande politique ultime.
L'économie
Moins évident, mais pourtant tout aussi essentiel : l'économie. Dans un État totalitaire, l’économie est un instrument au service du pouvoir. La production sert le pouvoir et doit s’inscrire comme un vecteur idéologique supplémentaire : les résultats économiques sont toujours a minima bons, car ils sont le résultat des mesures prises par l’État. Il n’est donc pas rare que les chiffres soient corrigés à grand renfort de falsification et menaces. L’URSS était par exemple très douée dans ce domaine. Difficile d’avoir une idée précise du fonctionnement économique dans Half-Life 2. Toutefois, on remarque au moins deux choses : la première, c’est que les citoyens s’alimentent via des denrées distribuées.
Un minimum vital de survie, qui pousse certains d’ailleurs à s’engager dans les forces armées de Cité 17, mais on reviendra sur ça dans le point suivant. Les ressources sont donc contrôlées et rationnées. La seconde, c’est la disparité technologique. Ainsi, l’ambiance participe très largement au sentiment d’oppression et montre qu’il y a une hiérarchisation dans l’utilisation des ressources. Les équipements technologiques contrastent directement avec l’insalubrité générale. Bâtiments à l’abandon, toitures arrachées, sols effondrés, murs décrépits, mobilier abîmé et sommaire… La saleté s’est infiltrée partout et les habitants de Cité 17 ne paraissent plus avoir la force de lutter contre. L’utilisation des moyens économiques semble donc soumise à l’autorité de Breen et donc du Cartel. Les ressources sont redirigées vers les grands projets et la force armée. Les citoyens doivent eux vivre dans une précarité malsaine, les réduisant à une obéissance aveugle : ils n’ont plus rien pour lequel se battre et seule une poignée d’entre eux a encore la force de se révolter.
La police
Et justement, puisqu’on parle de révolte, le dernier point, c'est bien sûr la police. Il n’est plus vraiment question de police classique. Elle est investie d’une mission politique : elle doit veiller au respect de l’idéologie d’État. Son cadre d’action est volontairement flou et chaque citoyen peut potentiellement devenir coupable sur une décision arbitraire. Un climat d’incertitude qui entretient en permanence la peur et la violence. Dans Half-Life 2, c’est la Protection civile qui se charge de ce rôle. Elle est l’échelon de base de la Milice, bras armé du Cartel sur Terre. La Protection civile est une police de surveillance et de contrôle, cachée derrière des masques futuristes, son échelon le plus bas est, comme je le disais un peu avant, constitué de citoyens ordinaires. C’est un point important, car pour progresser aux échelons supérieurs, ces humains doivent accepter des modifications génétiques et une forme d’hybridation souhaitée par le Cartel pour mieux garder la mainmise sur la Terre.
Comme pour la propagande, il ne faut que quelques minutes après le début d’Half-Life 2 pour se rendre compte d’à quel point la Protection civile est une police politique : uniformisation de ses membres dont les masques et la voix altérée ne font qu’augmenter la sensation de déshumanisation, contrôles d’identité arbitraires, questionnement des comportements et déplacements sans besoin de justification, et surtout violence permanente.
Armés de matraques électriques, le moindre regard de travers est instantanément puni. Une présence trop longue à proximité ? Un coup de matraque. Un ordre difficile à exécuter ? Un coup de matraque. Un refus d’obtempérer ? Trois coups de matraque. Une surenchère de violence injustifiée qui pousse forcément à la crainte et la défiance. Pourtant, comme je le disais, à la différence des forces plus gradées de la Milice, les membres de la Protection civile sont de simples humains. Et si certains ont fait le choix de rejoindre celle-ci par sympathie ou appât du gain, d’autres l’ont fait en désespoir de cause, car unique moyen de survie pour eux ou leur famille.
Collaborationniste plutôt que totalitaire ?
Ainsi, le rapprochement avec les régimes totalitaires est donc pertinent parce qu’on y retrouve clairement ses caractéristiques essentielles. Tout cela est renforcé par l’inspiration visuelle. Difficile de passer à côté de l’esthétique empruntée aux pays de l’Est, surtout s’agissant des bâtiments. Il est clair que les développeurs ont aussi voulu renvoyer à l’imagerie communiste du bloc soviétique et le directeur artistique, Viktor Antonov, n'a pas eu à aller chercher loin pour cela. En effet, ce dernier, bulgare, a puisé dans ses souvenirs d'enfance au cœur de la capitale du pays, Sofia. Mais pas que, puisque dans le tout récent documentaire pour les 20 ans d'Half-Life 2, il intervient et précise que, pour la gare dans la séquence de début du jeu, ce n'est nulle autre que la gare d'Austerlitz qui a servi de modèle, notamment pour son aspect industriel très "brut".
Toutefois, malgré cet "emballage totalitaire", le flou sur les détails politiques et l’économie ne permettent pas de classer définitivement Half-Life 2 comme un jeu qui dépeint ce type de régime. Je revenais avant sur l’exemple de Breen qui serait un Pétain bis, et je pense qu’il faut plutôt regarder de ce côté-là. Breen négocie la reddition de la Terre et s’adjuge le rôle de médiateur. Il collabore aveuglément ou presque, gardant toutefois une vision personnelle du pouvoir, comme le gouvernement de Pétain. Enfin, pour intervenir et faire appliquer avec zèle les consignes de ses maîtres, il peut compter sur une milice composée de ses propres citoyens, soutenue dans les échelons supérieurs par des forces armées de la puissance alliée qui, de fait, dirige le gouvernement fantoche de la Terre. Là, également, on a un parallèle avec la France de Vichy, mais qui pourrait s'appliquer de manière assez proche aux autres gouvernements qui ont choisi la pleine collaboration avec les nazis. Breen d'ailleurs ne se cache pas d'être un collaborateur, c'est même quelque chose qu'il revendique puisqu'il estime qu'il s'agit de l'unique voie de salut pour l'Humanité. Ouvrant d'ailleurs à des réflexions différentes sur le transhumanisme et le technosolutionnisme.
Une pertinence moderne différente
Se pose enfin la question de la pertinence de la notion même de totalitarisme. La société d'aujourd'hui n'a plus rien à avoir avec celle qui a vu naître, s'épanouir et s'effondrer ces régimes. Ne pas pouvoir totalement calquer l'intégralité des caractéristiques du totalitarisme dans Half-Life 2, serait un écho à l'impossibilité désormais de trouver une équivalence moderne. Mais si ces régimes ont disparu (quoiqu'il reste la Corée du Nord, et dans une certaine mesure l’Érythrée et le Turkménistan), peut-on aussi trouver quelque chose de plus contemporain, quitte à s'éloigner d'un schéma qui s'applique uniformément sur tous les pans de la société ? Je crois que oui. Ça ne vous aura pas échappé, mais depuis quelques années déjà, on assiste à une remontée de l'extrême droite un peu partout dans le monde. Elle se drape de libertarianisme, de nationalisme ou de conservatisme au départ, mais très vite, elle montre sa nature profonde et en vient à menacer les fondements de l’État de droit. Or, si on ne retrouve pas là un projet global, on observe des éléments qui doivent, à minima, nous interroger sur le futur de nos sociétés démocratiques.
On le voit au cœur même de notre Union européenne, dans la Hongrie de Viktor Orbán ou dans l'Italie de Giorgia Meloni, où ces deux leaders politiques ont notamment en commun une vision fantasmée de ce que doit être la famille. Pour cela, ils se sont pleinement investis sur la thématique de la procréation, obnubilés par la volonté d'une relance démographique d'enfants "européens" (pirouette mal exécutée pour dire "blancs" et "non-musulmans") sur le Vieux Continent. Or, si dans Half-Life 2, c'est l'inverse pour Wallace Breen qui, comme je le disais plus haut, souhaite la stopper, on voit bien que l'on retrouve ce besoin d'aller chercher le contrôle et la supervision au sein de chaque foyer. En Italie et encore plus en Hongrie, cette politique nataliste s'accompagne d'une discrimination croissante envers les couples de même sexe et une menace quant au droit d'accès à l'interruption volontaire de grossesse.
Autre parallèle intéressant, dans Half-Life 2, Wallace Breen est un scientifique de renom et, sur le site de Black Mesa, lors des événements du premier Half-Life, il était l'Administrateur et a négocié la paix entre le Cartel et la Terre. Ces deux rôles lui confèrent, d'après lui, une double légitimité : celle d'un expert scientifique et celle d'un négociateur habile. De ce point de vue, on est donc en face d'une technocratie dans le sens le plus pur du terme. Ce schéma rappelle certaines figures politiques actuelles qui revendiquent leur autorité sur la base de leurs compétences techniques ou leur pouvoir économique, balayant le besoin d'une légitimité démocratique. L'omniprésence du milliardaire Elon Musk dans la campagne de Donald Trump et le rôle qu'il est amené à occuper dans son administration, à la tête d'un département d’État en charge des réductions du budget fédéral, sont ainsi éminemment révélateurs. On est à mi-chemin entre la technocratie, par sa possession d'entreprises technologiques avancées et la ploutocratie (le gouvernement des plus riches) par la fortune que cela lui confère et sa proximité avec le Président étasunien. Trump incarnerait le Cartel, et Musk, Breen.
Enfin, dans Half-Life 2, les messages de Breen, diffusés en boucle sur des écrans omniprésents dans Cité 17, finissent par s’infiltrer dans l’esprit des citoyens à force de répétition constante. Certains en viennent même, dans Half-Life 2 : Episode One, à regretter ces émissions. Or, ce procédé évoque un biais cognitif bien réel : l'effet de vérité illusoire. Un individu, à force d’entendre un message, même mensonger, finit par le tolérer, l'accepter et le considérer comme vrai. Ce n'est pas quelque chose de nouveau, puisqu'on l'évoquait plus haut la propagande, mais la diffusion de fausses nouvelles (les fameuses "fake news") sur les réseaux sociaux couplée à l'utilisation de l'intelligence artificielle pour les créer et les propager, amplifie à l'extrême le phénomène. Ainsi, les concepts portés par des mouvements populistes et/ou d’extrême droite finissent par être normalisés à force de viralité. Les médias relayant facilement ces mêmes informations, on en arrive à une ère de post-vérité où ce n'est plus tant la véracité du message qui compte que son impact à l'instant où il est perçu.
Au final, s'il y a une pertinence indéniable à analyser encore aujourd'hui Half-Life 2 sous le prisme du totalitarisme tel qu'on le conçoit pour les trois grands régimes historiques (Italie fasciste de Mussolini, Allemagne nazie de Hitler et URSS communiste de Staline), on remarque qu'on peut faire un parallèle plus juste avec la France vichyste de Pétain. Mais là où c'est plus inquiétant, c'est qu'il est possible d'y apposer une grille de lecture beaucoup plus contemporaine. En effet, on observe un regain d'autoritarisme au sein de nos démocraties vacillantes, mises en difficulté par une classe politique qui a perdu son rôle, car effacée, reléguée ou remplacée par une technocratie qui puise sa légitimité dans des discours populistes. Le tout se déroule dans un contexte où cette dernière possède une influence considérable sur des technologies qui sont au cœur du fonctionnement de nos sociétés, influant directement sur les médias et altérant l'esprit critique. En plus d'être un chef-d’œuvre vidéoludique, une des forces d'Half-Life 2 est donc, encore aujourd'hui, de nous montrer vers quoi tendent tous les régimes de celles et ceux qui estiment pouvoir changer le destin des peuples tout en piétinant leurs réelles aspirations.
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