Depuis les sorties du jeu début mars et de notre test, Snufkin: Melody of Moominvalley (également connu chez nous comme Mumrik : La mélodie de la Vallée des Moomins) a semble-t-il su convaincre celles et ceux qui s'y sont essayés : il affiche un bel accueil critique et Hyper Games, son studio de développement, a annoncé fin avril avoir écoulé plus de 100 000 exemplaires du jeu.
Pour en apprendre plus sur la conception de cette nouvelle adaptation en jeu vidéo de l'univers créé par Tove Jansson, nous avons pu poser quelques questions à Are Sundnes, directeur de Hyper Games. Ensemble, nous revenons sur l'origine du projet, les décisions qui ont guidé le choix de la direction artistique, l'importance du travail de Jansson sur l'appréhension de la licence, ainsi que sur les questionnements politiques qui habitent le jeu et son personnage principal. Et pour accompagner votre lecture, pourquoi pas lancer les extraits de sa si douce soundtrack.
Comment présenteriez-vous Snufkin: Melody of Moominvalley à quelqu’un qui n’aurait pas entendu parler du jeu ?
Snufkin est un jeu d'aventure musical cozy dans lequel vous incarnez Snufkin, un personnage de la célèbre franchise Moomin, et où vous essayez de rétablir l'harmonie et l'équilibre de la vallée des Moomins. Il s'agit d'une expérience narrative, dans le style d'un livre d'histoires ayant pris vie, qui s'inspire de nombreux livres et histoires originales des Moomins, écrits par Tove Jansson.
Comment en êtes-vous arrivés à travailler sur un jeu Moomin ? Y a-t-il eu un appel à projet des ayants-droits ou la proposition est-elle venue de vous ?
Le projet a démarré début 2020. L'équipe travaillait dur pour terminer notre projet en cours à ce moment-là, Mørkredd (2020), un jeu très sombre, et nous avions envie de quelque chose de coloré et de chaleureux après avoir passé des années dans cet univers difficile. Je lisais Qui Rassurera Truffe (1960), l'un des magnifiques livres d'images de Tove Jansson, et j'ai commencé à réfléchir aux manières dont une belle histoire mélancolique pourrait être adaptée en jeu. Il s’est écoulé quelques semaines entre cette première idée et l'ébauche du concept de base de Snufkin, et nous sommes allés en Finlande pour le présenter aux ayants-droits.
Pensez-vous que Hyper Games a une approche particulière en tant que studio de développement, ou une spécialité ? Quel est l’ADN du studio ? Un penchant pour le travail d’animation, peut-être, qui s’observe dans vos précédents jeux ? Vous avez d’ailleurs déjà travaillé à l’adaptation d’une série littéraire, Alfons Åberg, laquelle est très peu connue en France.
Je pense que nous avons vraiment tendance à travailler de manière très visuelle pour tous nos jeux – pas dans un style spécifique, mais avec une passion pour la création de jeux visuellement intéressants. Nous avons une approche similaire de la conception des jeux, nous aimons vraiment trouver des moyens originaux d'impliquer les joueuses et joueurs. Comme on peut le voir avec nos productions précédentes, nous aimons nous mettre nous-même au défi en travaillant sur des jeux complètement différents à chaque nouveau projet.
Alfons Åberg est une série de livres pour enfants très populaire en Scandinavie, et Hocus Pocus Alfons Åberg (2014) a été le premier titre que nous avons publié, il y a plus de 10 ans.
Quel intérêt y avait-il à adapter les Moomins en jeu vidéo ? Qu’est-ce que le médium pouvait apporter à la série ?
C'est le premier jeu, du moins depuis très longtemps, qui permet de s’immerger au cœur de la vallée des Moomins et d'en faire l'expérience directe. Mais pour nous, l'objectif a toujours été de partager le monde et les histoires de Tove Jansson qui nous tiennent très à cœur – en espérant que les joueuses et joueurs partageraient notre enthousiasme lorsque le jeu sortirait.
De quelle manière avez-vous appréhendé la licence créée par Tove Jansson ? Était-ce une référence connue et maîtrisée par tous les membres du studio ? Pouvez-vous nous parler de l’impact culturel qu’ont les Moomins en Norvège ?
Les Moomins sont très populaires en Norvège et dans tous les autres pays nordiques. J’imagine que c’est comparable au Petit Prince (1943) en France, quelque chose que tout le monde connaît, enfants comme adultes. La licence est populaire depuis de nombreuses générations, et sa popularité ne fait que croître, y compris mondialement. Je pense que les ayants-droits ont particulièrement bien géré cette licence au fil des années, surtout après son grand succès dans les années 1990, lorsque la série d'animation japonaise a été diffusée. Pour moi et les gens de mon âge, c'est de là que nous connaissons les Moomins. En fait, je n'ai moi-même pas lu les livres originaux avant d'être adulte et de les lire à mes enfants. C’est là que j'ai compris à quel point ces histoires sont formidables, peu importe à quel âge nous les découvrons.
Nombre de retours critiques, dont le nôtre, notent que le jeu est accessible aux enfants. Était-ce un de vos objectifs ? Considérez-vous le jeu comme un jeu pour enfants, alors que ce sous-genre est tout de même assez rare ?
Nous n'avons pas cherché à en faire un jeu pour enfants, mais nous avons toujours voulu en faire un jeu très accessible auquel tout le monde pourrait jouer, y compris les enfants. Notre objectif était de créer un jeu pour adultes, que les enfants pourraient également apprécier et auquel idéalement, ils pourraient jouer en famille.
Quels sont les défis d’adapter une série littéraire comme Moomin en jeu, en mécaniques ? Vous êtes-vous également inspirés des séries, des films, des BD de la licence ?
Les défis sont nombreux, surtout lorsque l'on travaille avec une licence aussi importante, qui est naturellement très encadrée. Je pense que le principal défi consistait à trouver notre propre identité visuelle, tout en restant fidèle à l’œuvre originale de Tove Jansson. Mais il s’agissait aussi de trouver des mécaniques efficaces et amusantes, qui tiennent sur la longueur et qui ne s'éloignent pas des caractéristiques de Snufkin. Toutes nos références pour le jeu ont été les œuvres propres de Tove Jansson, qu’il s’agisse de romans, d’illustrations, de peintures ou de bandes dessinées.
Comment la trame du jeu, qui pioche des éléments dans plusieurs livres dont L’été dramatique de Moomin (1954), s’est-elle construite ?
Nous avons décidé très tôt que nous aimions l'idée d'avoir Snufkin comme personnage principal, et nous avons décidé de nous concentrer sur L’été dramatique de Moomin, qui est peut-être le livre qui nous permet le mieux de connaître Snufkin. Non seulement sa personnalité de presque-sorcier errant et mystérieux, mais aussi son tempérament et ses problèmes avec l’autorité, ce qui me plait beaucoup. Nous ne voulions pas adapter le livre dans son ensemble mais plutôt en tirer, ainsi que de toutes les autres œuvres de Tove, des personnages et éléments, qui selon nous allaient nous permettre de créer la meilleure histoire et la meilleure expérience de jeu possible.
Comment se sont décidées les mécaniques de jeu basées sur l’exploration, l’inspiration et la musique ?
La musique est un élément important du personnage de Snufkin et nous avons su très tôt qu'elle devait être un élément clé du gameplay. Il utilise ses instruments de musique un peu comme d'autres jeux d'aventure utiliseraient des armes et des outils, et c'est l'inspiration musicale qui lui permet de monter en niveau et de débloquer de nouvelles compétences. La musique est également très importante pour créer l'atmosphère et l'ambiance du jeu. Le son mélancolique de Sigur Rós associé au travail doux et wholesome d'Oda Tilset fait de la musique une expérience unique et charmante.
Quelles ont été les étapes de construction de la zone de jeu, qui se veut ouverte mais constituée de plusieurs zones par lesquelles on passe plus ou moins linéairement ?
L'histoire principale du jeu est assez linéaire, mais nous voulions donner aux joueuses et joueurs un sentiment de liberté d'exploration. Ces deux principes de conception sont vraiment difficiles à combiner et nous avons dû ajouter des "barrières" à ce monde pour s'assurer que la progression dans le jeu soit suffisante afin que l'histoire ait un sens. Dans de nombreux autres jeux, on utilise des points d'expérience ou des armes spécifiques pour délimiter le gameplay de cette manière, mais pour Snufkin, il était plus approprié d'utiliser ses instruments de musique comme outils pour définir ces barrières.
Aviez-vous des références de jeux vidéo lors du développement ? Dans les crédits du jeu, on remarque notamment la présence de Florian Veltman (How to Say Goodbye, 2022) et Adam Robinson-Yu (A Short Hike, 2019) en tant que consultants.
Bien vu ! Oui, nous avons travaillé avec Flo Veltman, Adam Robinson-Yu et Adrian Tingstad Husby (auparavant chez Krillbite, aujourd'hui Carbonara Games) dès le début du développement, d'une certaine façon en tant que groupe d'experts pour nous guider dans les premières étapes. Ils avaient tous de l'expérience issue de leur travail sur des titres qui nous ont beaucoup inspirés, dans des genres très différents. Un grand nombre de jeux nous ont servi de sources d’inspiration, mais nos principales références ont été les anciens Zelda, A Short Hike, Night in the Woods (2017), Röki (2020) et Animal Crossing.
Comment vous êtes-vous arrêtés sur la direction artistique du jeu, qui évoque le dessin sur papier ? Les dessins en noir et blanc de Tove Jansson ?
Les Moomins ont eu de nombreux styles visuels tout au long de leur histoire. Même leur créatrice, Tove Jansson, utilisait une large palette de formes artistiques, du dessin crayonné à la peinture, en passant par la sculpture et le modélisme. Pour ce jeu, nous avons cherché à créer quelque chose qui ressemble à ses aquarelles, celles que l'on trouve sur les couvertures des romans ou dans les livres d'images. Nous pensons que ces peintures capturent au mieux les personnages et l'ambiance, et nous voulions que le jeu ressemble à quelque chose que Tove aurait pu peindre elle-même dans son atelier, plutôt qu'à un format très numérique, ce que le jeu vidéo est par essence.
La musique est un élément central du titre. À quel moment est intervenue la compositrice et sound designer Oda Tilset et comment s’est imbriquée à ce travail la participation de Sigur Rós ?
Oda a été impliquée dès le début du projet car nous la connaissons très bien, ainsi que son entreprise, Noknok. C'était formidable d'avoir une compositrice et sound designer si tôt dans le processus, et je pense que cela a vraiment aidé à donner au jeu sa forme actuelle, où le son et la musique sont une partie si importante de l'expérience.
L'idée de travailler avec Sigur Rós est née pendant le vol de retour de ma première rencontre avec les ayants-droits, en Finlande. J'étais très heureux et satisfait de cette rencontre, et j'ai lancé un album de l'un de mes groupes préférés, Sigur Rós, pour me détendre pendant le vol vers Oslo. J'ai écouté leur musique des millions de fois mais pendant ce vol, j'ai été frappé de voir à quel point leur ambiance et leur son s'accordaient parfaitement avec la beauté sombre et mélancolique des histoires de Tove Jansson. Je les ai contactés peu après, et il s'est avéré que certains des membres du groupe étaient également des fans de Moomin et qu'ils aimaient l'idée de collaborer avec nous. Le jeu comporte des morceaux originaux de notre compositrice, Oda Tilset, des morceaux non modifiés de l'album () (2002) de Sigur Rós, et enfin des morceaux hybrides, de l’univers sonore de Sigur Rós réimaginé par notre compositrice, en collaboration avec le groupe.
Snufkin: Melody of Moominvalley aborde clairement des questionnements politiques et de représentation de la police. Que pouvez-vous nous dire du potentiel politique de l’univers Moomin, et comment celui-ci s’est traduit dans votre travail sur le jeu ?
Les histoires de Moomins ne sont pas directement politiques, et les Moomins ne sont même pas conscients de notre monde et de notre environnement politique. Mais Tove Jansson a toujours abordé de nombreux thèmes et sujets importants dans le sous-texte de ses œuvres. Concernant le jeu, je pense qu'il s'agit clairement du thème de la préservation de la nature, et de veiller à ne pas perturber l'équilibre délicat du monde. Les policiers agissent comme des hommes de main du gardien du parc, qui, créé par Jansson, est le seul personnage que Snufkin n'aime vraiment pas. Ce n'est pas vraiment un méchant, il veut améliorer et construire la vallée de la manière qu'il pense être la meilleure, mais qui va à l'encontre de ce que veut Snufkin. Dans le jeu, tous les éléments relatifs à Snufkin qui enlève les panneaux et sabote le travail du gardien du parc viennent de Tove Jansson elle-même, mais nous mettons un peu plus l'accent dessus que dans les œuvres originales. Personnellement, je ne vois pas Snufkin: Melody of Moominvalley comme un jeu très politique, mais ses thèmes sont très pertinents et contemporains, ce qui leur confère une signification et une portée politiques.
Pour vous, que représente Snufkin ? En quoi fallait-il que ce soit lui le personnage principal du jeu, et non Moomin ?
Honnêtement, je pense que c'était le personnage préféré de la plupart des membres de notre équipe, et nous avons adoré l'idée de donner au jeu une perspective différente en faisant de lui le personnage principal. Il possède également de nombreux traits de caractère qui sont parfaitement adaptés à un jeu axé sur l’aventure et l’exploration, et il nous a donc semblé que c'était un choix évident pour le jeu que nous voulions faire.
Qu’espériez-vous accomplir en faisant ce jeu ? Faire passer un message écologique ? En France, il existe un néologisme, ZAD pour Zone à défendre, utilisé pour désigner des lieux occupés afin de lutter contre des projets de construction. Le trope de la défense d’un lieu contre son exploitation revient régulièrement dans la fiction. Comment en êtes-vous arrivés à cette idée ?
Je pense que tout cela est venu en se concentrant sur Snufkin en tant que personnage, puis en trouvant des choses intéressantes à son sujet que nous pensions que les joueurs apprécieraient. Ce n'est pas très intéressant d'avoir un personnage parfaitement harmonieux, donc en montrant aussi ses côtés sombres, on a l'impression d'avoir un personnage plus complet. Nous avons pris soin de ne pas ajouter trop de nos opinions et biais politiques, pour plutôt nous concentrer sur les histoires de Tove Jansson. Ce qu’elle a écrit est tout aussi pertinent aujourd'hui qu’en 1954, à la parution de L’été dramatique de Moomin.
Pour conclure, pouvez-vous nous expliquer comment et pourquoi vous est venue l’idée de lieux où Snufkin contemple la nature en silence ? Ils ont été très appréciés, à raison.
En réalité, nous avons passé du temps à essayer de créer un mini-jeu de pêche, mais nous avons estimé qu'il n'apportait rien au gameplay. Les jeux de pêche sont devenus un trope dans les jeux d'aventure et nous ne voulions pas l’ajouter sans apporter quelque chose de nouveau. Les game designers ont eu l'idée d'une séquence de pêche où l'on n'attraperait jamais de poisson, où le but serait plutôt de se détendre. Nous avons vraiment adoré cette idée et nous avons ajouté des emplacements similaires, que nous appelons « gazing spots », des lieux de contemplation, tout au long du jeu. Nous ne donnons délibérément aucune récompense pour leur utilisation, et c'est très agréable de voir que les joueuses et joueurs apprécient ces petites pauses tranquilles, comme nous les avions imaginées.
Merci à Are Sundnes d'avoir pris le temps de répondre à nos questions et Mylène Lourdel pour nous avoir mis en contact.
Si vous souhaitez prolonger votre découverte de l'envers du développement de Snufkin, on vous invite à regarder le Q&A auquel s'est prêté Are Sundnes lors de la sortie du jeu.
L'entretien a été mené par questionnaire, dont les réponses nous sont revenues le 27 mai 2024.
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