Avec sa tronche de petit jeu bricolé à la va-vite sous RPG Maker, You’re Not Special part avec pour seul argument d’être un puzzle game narratif qui souhaite vous plonger dans un monde de fantasy classique en proie au chaos… Dont vous n’êtes absolument pas le sauveur, mais seulement l’un des habitants de la ville du coin, sans destinée précise ni vocation à sauver qui que ce soit.
Le jeune élu en lutte contre les forces du mal, probablement incarnées par son jumeau maléfique ou son père, c’est ce à quoi les grandes fresques du JRPG nous ont habitué. Et plus largement, au cœur de tous les grands récits des différentes civilisations, on trouve bien souvent une structure identique qui fait du héros le centre du monde autour duquel gravite le récit. Loin du Monomythe de Campbell, You’re Not Special vous propose une microscopique aventure où, dans les pas d’un humble citadin, vous allez tenter de peser à votre manière dans la balance, ou simplement vivre votre vie paisiblement en attendant que les choses se résolvent d’elles-mêmes. Et croyez-le ou non : le minuscule jeu de Reky Studios est une agréable petite surprise que nous n’avions pas vu arriver.
Ce que je sais, c’est que je ne sers à rien.
Vous êtes un homme ou une femme, vous vous réveillez dans votre lit dans votre maison modeste, et vous apprenez que toute la ville s’est remplie d’agitation : le jeune héros du coin, parti à l’aventure combattre le mal, est de retour six ans après avoir disparu. Après quelques minutes à harceler des passants pour en savoir plus, vous comprenez très vite deux choses : d’une part, le destin du monde va se jouer dans des catacombes situées sous la forêt du coin, d’autre part, vous n’avez a priori aucun rôle à jouer là-dedans, et personne n’a envie de vous expliquer ce qui est en train de se passer.
A partir de là, c’est un peu comme vous voulez : vous pouvez faire des petits boulots ingrats pour les passants du coin, entrer par effraction chez des gens (généralement pas ravis), tenter de cambrioler le château royal de la ville, aller dormir, traîner la nuit dans des ruelles sombres pour vous encanailler, ou tenter, envers et contre tout, de prendre part à l’aventure finale du véritable héros. Sauf que vous ne savez pas vous battre, que vous n’avez pas d’équipe, ni aucune idée des tenants et aboutissants de la grande quête en cours de résolution. Bref, vous n’êtes personne, et la moindre pierre d’une tonne tombée du plafond vous tuera en un seul coup comme si vous n’étiez rien d’autre qu’une personne lambda.
L’ensemble des possibilités offertes par le jeu vous mèneront rapidement à l’une des fins. Certaines pourront vous prendre quelques secondes : tenter d’assassiner le Roi ou de vous aventurer dans un donjon sans aucune armure ni information, par exemple, vous vaudra une fin rapide et douloureuse. D’autres destinées possibles sont plus longues (deux ou trois heures), et peuvent vous mener à une bonne grosse douzaine de destins, allant d’une simple intégration au tissu social des citoyens ordinaires à la Fin du Monde tel que nous le connaissons. Car après tout, même le plus insignifiant des NPC peut tout faire foirer s’il fait n’importe quoi.
Aventure minimaliste
Mais alors, dans You’re not Special, que fait-on ? Assez peu de choses, en réalité. Chaque autre citoyen de la ville vous propose un certain nombre de petites actions ou de petites quêtes (retrouver un chien, couper du bois, porter un message…) qui vous permettent dans le meilleur des cas de mettre un peu de sous de côté, sachant que la plupart des objets que vous pouvez traditionnellement acquérir dans un jeu de rôle (épées, armures), sont tout bonnement hors de prix. C’est donc avec de tous petits moyens que cet ensemble de quêtes va vous permettre de déployer petit à petit le microscopique univers du jeu composé, en gros, de trois petits donjons et d’un minuscule open world de quelques écrans de large.
Si vous le souhaitez, vous pourrez tout de même débloquer quelques éléments vous permettant d’avancer un peu plus loin que dans votre état initial : un manteau pour vous protéger du froid, un équipement pour escalader de petites parois, des relations amicales pour vous servir de référence, une étrange pierre chaude pour faire fondre les murs de glace… Cela va vous permettre d’explorer un univers qui l’a déjà été avant vous. Dans You’re Not Special, bien que vous deviez parfois résoudre des énigmes simples, l’essentiel est déjà résolu avant que vous arriviez. Les boss ont déjà été vaincus, les portes déjà ouvertes. Une idée de game design plutôt amusante.
Le jeu ne se propose d’ailleurs pas uniquement de vous confier un ensemble de blocs à pousser et de leviers à tirer. Davantage que les donjons, pas bien compliqués à traverser, c’est l’ordre dans lequel vous allez accomplir vos actions ainsi que quelques décisions plus ou moins pertinentes que l’on vous demandera de prendre ici ou là qui façonneront votre aventure pour lui donner un dénouement, parfois radicalement différent du précédent. Le titre n’est pas assez long pour être ennuyeux, et on se prend au jeu juste le temps qu’il faut pour que le concept s’épuise et qu’on ait bouclé la plupart des possibilités.
Une autre perspective sur le RPG
Un peu à l’image des petites alchimistes de la série Atelier, You’re Not Special vous fait passer de l’autre côté de l’aventure habituellement vécue dans les jeux de rôle. Cela donne lieu à quelques scènes étonnantes : que se passe-t-il après que le héros soit passé ? Pourquoi vous donnerait-on la moindre information à son sujet ? A quoi ressemble un donjon dont les pièges ont déjà été résolus ? Dans le rôle d’une petite souris à laquelle personne ne prend garde, vous évoluez dans ce monde avec les yeux de quelqu’un qui n’est pas le centre de l’attention.
Ni une parodie ni un pastiche, You’re Not Special est plutôt une toute petite séance de réflexion sur les mécaniques narratives qui sont habituellement le motif de ce type de jeu, où on vous laisse piller les coffres et où le moindre boulanger du coin a un indice capital à vous révéler sur le prochain boss que vous allez combattre. Si l’expérience est réussie, il faut quand même en rappeler le minimalisme : aussi bien écrit et aussi amusant soit le jeu, il reste une expérience anecdotique bricolée sous RPG Maker, dont on ne retiendra de la technique qu’une bande-son plutôt inspirée, et quelques gags un peu absurdes mais qui sonnent juste. Il n’est pas certain que l’intention de Reky Studios ait été, de toute façon, de proposer beaucoup plus que cela.
Il s’agit du tout premier projet professionnel du jeune studio, composé de trois membres et de beaucoup de bonne volonté. Leur prochain titre devra avoir un propos un peu plus travaillé que « ah oui c’est rigolo quand on n’est pas le héros dans un jeu ». Certes, c’est rigolo, mais ludiquement parlant, ça reste un peu court.
Le jeu a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur
Reky Studio livre avec You’re Not Special une expérience courte mais amusante sur la notion de NPC dans les jeux de rôle. Plus travaillé et plus écrit qu’il ne semble l’être à première vue, il offre même une étonnante rejouabilité pour peu qu’on souhaite explorer sa courte histoire sous tous ses aspects. On regrettera cependant que le pitch qui donne son idée au jeu (« vous n’êtes pas le héros ») ne soit pas un tout petit peu plus abouti, et ne parvienne pas tout à fait à livrer une idée nouvelle ou un peu fraîche. Qu’à cela ne tienne, nous avons passé un bon moment, c’est déjà bien !
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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