Troisième épisode d'une série horrifique ancrée dans le folklore rural japonais et les angoisses sociétales de ses héroïnes, Yomawari: Lost in the Dark est la terrifiante conclusion d'une saga commencée il y a près de dix ans.
Ce n'est pas la série la plus connue de Nippon Ichi Software, mais c'est une des plus intéressantes. Au milieu des années 2010, l'éditeur japonais, jusque ici surtout connu pour ses tactical RPG, se diversifie pour proposer de nouveaux styles de jeux. Puzzle platformers, JRPG classiques, beat them up, action... Le tout unifié par un même style graphique, entre livre d'enfant kawaï et conte cruel. Le versant horrifique de cette politique de diversification, c'est la série des Yomawari, débutée en 2015. Si les trois jeux de la série ne sont pas directement liés, ils partagent le point commun de plonger des jeunes filles dans les nuits opaques de la campagne japonaise, aux prises avec des esprits sanguinaires, avec pour seuls moyens de défense une simple lampe torche et leur capacité à s'enfuir. Yomawari: Lost in the Dark pousse de manière brillante la formule un peu plus loin, en abordant de manière assez directe le traumatisme profond derrière le cauchemar.
Avertissement quant au contenu du jeu
Yomawari: Lost in the Dark est un jeu qui aborde frontalement et dès son introduction la question du harcèlement scolaire et du suicide chez les adolescentes. Difficile de parler du jeu sans évoquer ces questions. Aussi, si ces thématiques sont susceptibles de vous mettre mal à l'aise, n'hésitez pas à zapper cette critique ou à vous assurer que vous êtes dans de bonnes dispositions pour la lire.
Je pourrais y aller les yeux fermés
Yomawari: Lost in the Dark donne le ton de manière assez implacable dès son tutoriel, puisqu'on nous y présente une jeune fille martyrisée de manière cruelle et répétée par ses camarades. Une séquence qui va nous apprendre la palette de mouvements assez restreinte du jeu : fuir, marcher sur la pointe des pieds, avancer en fermant les yeux et utiliser une lampe torche. Cette séquence de harcèlement scolaire se termine de manière tout aussi radicale, sur un toit délabré. Après une séquence évoquant directement un possible suicide de la protagoniste, celle-ci se réveille amnésique en pleine nuit, dans une version de sa ville natale presque vidée de tous ses habitants et désormais peuplée de démons errants sanguinaires et de fantômes tourmentés.
La seule rencontre qui n'essaiera pas de vous tuer est une jeune femme vous annonçant que vous êtes dorénavant maudite, et que si vous ne retrouvez pas l'ensemble de vos souvenirs avant le point du jour, vous serez damnée. Un périple s'engage donc dans les rues ténébreuses pour rentrer chez vous, tenter de rassembler vos idées, puis aller collecter les fragments de votre mémoire éparpillés aux quatre coins de la ville. Un périple qui va vous pousser à parcourir le hub central constitué de votre quartier et vous emmener dans un ensemble de petits donjons dans une structure évoquant tantôt Zelda tantôt Silent Hill.
Yomawari: Lost in the Dark dégage une ambiance assez unique : quasiment muet et baignant dans une ambiance silencieuse, il brosse le portrait d'une nuit inquiétante, presque trop calme et seulement déchirée par les cris des créatures qui hantent les rues. Une ambiance de terreur douce se dégage des différents environnements, dont le calme est à peine perturbé par les grésillements de lignes électriques ou les pas de l'héroïne résonnant sur le pavé. Petit plus : de nombreux démons ne vous attaqueront que si vous entrez en contact visuel avec eux, vous poussant à avancer les yeux fermés, en ayant pour seuls repaires vos pas et la distance de leurs cris plaintifs. De ce point de vue, le jeu est une réussite formelle, arrivant à dérouler un propos très dur et à aborder via de purs moments d'angoisse les thématiques très concrètes du suicide, de l'abandon ou de la persécution scolaire.
The legend of ZelDark
Yomawari: Lost in the Dark fait le choix de vous désarmer à peu près complètement face aux très nombreuses menaces qui parsèment son monde semi-ouvert. Au fil de l'aventure et du retour de vos souvenirs, vous allez gagner quelques moyens supplémentaires de prolonger votre vie, mais il s'agit pour l'essentiel d'un jeu misant sur l'infiltration et sur l'observation plutôt que sur la possibilité de trucider des yokaïs.
Votre objectif principal est ainsi double : d'une part, arriver à trouver les chemins de la ville qui ne sont pas trop saturés de menaces pour vous rendre aux points clés vous permettant de reconstituer votre passé. D'autre part, il s'agira de collecter un maximum d'objets, souvent facultatifs, destinés à mieux vous faire comprendre les tenants et les aboutissants de votre malédiction et de votre présence dans cette version cauchemardesque de la réalité. Yomawari: Lost in the Dark fait le pari de vous laisser rapidement (relativement) libre de vos mouvements et de votre exploration de la ville. Un sentiment appréciable qui renforce à merveille le sentiment d'angoisse ressenti par la protagoniste. Sans autre souvenir que de brèves visions angoissantes liées à tel ou tel objet, vous êtes souvent, à l'image du titre du jeu, complètement perdue dans le noir.
Fort heureusement, Yomawari: Lost in the Dark vous laisse tout de même sans pénalité particulière la possibilité d'aller droit au but si vous ne souhaitez pas explorer la ville de fond en comble. Les principaux souvenirs sont localisés de manière assez explicite et permettent de boucler cette aventure tragique en 6 ou 7 heures. On recommandera néanmoins de prendre un peu le temps de fouiller la ville et d'y rester quelques heures de plus, afin de profiter de l'ensemble des détails constituant le récit en creux de la tragédie qui nous est dépeinte.
Le meilleur Yomawari à ce jour
S'il n'est pas (du tout) nécessaire d'avoir fait les deux précédents Yomawari pour apprécier ce troisième volet, il n'est pas inintéressant de voir les progrès accomplis depuis 2015. Si le cœur du jeu reste globalement le même, avec son système d'infiltration et d'exploration d'une ville étouffée par une nuit démoniaque, de nombreux détails ont rendu l'expérience plus impactante et plus rythmée.
D'une part, Yomawari: Lost in the Dark est un de ces jeux qui fait la prouesse d'allier simplicité des commandes et complexité des situations proposées. À part marcher à différents rythmes et ramasser des objets, on ne fait pas grand-chose de concret. Et pourtant, les variations proposées par le gameplay fonctionnent à merveille, et toujours au service d'une narration plus travaillée qu'il n'y paraît au premier regard. L'ambiance sonore, le bestiaire, les donjons eux-mêmes, tout est plus travaillé que dans les épisodes précédents de la série et s'harmonise parfaitement sans jamais marquer de baisse de rythme. Le tout au service d'un conte cruel, brutal, mais cachant sous ses thématiques anxiogènes une certaine acuité sur les maux de la société japonaise contemporaine. Des thématiques abordées plus frontalement et plus en profondeur que dans les deux volets précédents.
On regrettera peut-être quelques rares moments de flottement dans certaines ruelles difficiles à franchir, la faute à la 3D isométrique emblématique de la série ne rendant pas toujours très clair les masques de collision de l'héroïne et des monstres qu'elle croise. Ce n'est jamais très gênant, le jeu proposant la plupart du temps des chemins alternatifs, et bénéficiant d'un assez généreux système de sauvegarde automatique. Ce dernier est par ailleurs doublé d'un système manuel dépendant d'une ressource (les pièces de monnaie) fournie de manière très abondante près des "points chauds" de l'aventure.
Yomawari: Lost in the Dark a été testé sur Nintendo Switch via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PC et sur PlayStation 4 et 5.
Il aura fallu attendre cinq longues années entre Yomawari: Midnight Shadows et Yomawari: Lost in the Dark. Mais l'attente en valait la peine ! Nippon Ichi Software a peaufiné la formule horreur-infiltration propre à la série pour livrer un épisode exemplaire. Les thématiques abordées sont plus sombres que jamais, le bestiaire atteint des sommets dans l'horreur, avec pour résultat tout simplement un des meilleurs jeux d'épouvante paru en 2022.
Les + | Les - |
- Graphiquement très abouti | - Quelques confrontations un peu confuses |
- Un jeu d'infiltration efficace | - Quelques lourdeurs dans les menus |
- Des donjons variés et intéressants | |
- Thématiques dures mais traitées avec intelligence | |
- Le design sonore terrifiant | |
- Le meilleur épisode de la série |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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