2017, cuvée exceptionnelle pour Kiryu Kazuma, le criminel au grand coeur. Arrivée de l’excellente préquelle Yakuza Zero sous nos latitudes, sortie de Yakuza 6 au Japon, annonce d’un remake de Yakuza 2… Et, disponible depuis quelque jours dans toutes les bonnes crèmeries, Yakuza Kiwami, remake du tout premier épisode sorti en 2006 sur PS2. Improbable Beat Them All en milieu urbain, à la confluence de GTA et Shenmue. La série, jadis assez maltraitée en occident par son éditeur Sega, a retrouvé ses lettres de noblesse. Le jeu typiquement japonais a le vent en poupe, et c’est avec bienveillance et une pointe d’impatience que nous attendions l’arrivée de ce remake intégral, bénéficiant de pas mal d’ajouts et du moteur de jeu de Yakuza Zero. Cependant, tuons une partie du suspense, Kiwami se tient (au moins un peu) dans l’ombre de ce dernier.
Yakuza Kiwami est une expérience déroutante pour l’habitué des Open World occidentaux qui n’a jamais eu l’occasion de toucher à la série de Sega. Se déroulant dans le très particulier milieux du crime organisé Tokyoïte du quartier des plaisirs de Kamurocho (recréation semi-fantasmée du véritable Kabukicho), le jeu a la particularité première de présenter une aventure très ramassée dans le temps et dans l’espace. Un terrain de jeu de quelques dizaines de rues, une histoire de quelques chapitres, et une densité d’activités presque déroutante tant la plupart des jeux du genre choisissent l’option inverse consistant à délayer la soupe au maximum pour rajouter du temps de jeu. La particularité de ce remake vis à vis de l’original est cependant de passer après un Yakuza Zero qui faisait preuve de davantage d’ouverture et de concessions aux distractions interminables proposées dans un GTA-Fête Foraine. Le terrain était plus grand (l’action se déroulait dans deux villes), les missions plus variées, le scénario bien plus ample. Ici, retour à l’essence de 2006 : austérité du ton, droit au but de l’action. Pas étonnant, car Yakuza Kiwami dépeint une époque bien différente de celle de sa préquelle.
De la Bulle à la Crise
L’histoire grandiloquente, presque Rococo, de Yakuza Zero était celle d’un Japon des années 80 en proie à la fièvre de l’argent et de la spéculation. Une époque où la mafia avait pignon sur rue, de l’argent à profusion et une impunité totale dans une société totalement ivre de sa propre prospérité. Comme le remarque le protagoniste dans une quête de Kiwami « Tout le monde était riche, et tout le monde était bourré tout le temps« . Sans révéler les éléments scénaristiques de Zero, disons simplement que la fresque tragique qui s’y déroulait était si boursouflée et kitsch (dans le meilleur sens possible du terme) qu’elle n’aurait pu prendre place ailleurs que dans ces eighties où tout était possible, sauf la honte.
Changement complet de décor pour Yakuza Kiwami. Entre 1988 et 2005, les choses ont bien changé : si les ordures et les détritus qui jonchaient Kamurocho ont laissé place à des trottoirs impeccables, et si les cendriers ont disparu des bars, en revanche, le Japon a découvert la crise. La bulle immobilière (symbolisée dans Zero par les liasses de billets volant en l’air à mesure qu’on frappait les ennemis) a explosé. L’argent s’est fait rare, le chômage est apparu, et les Yakuza ont vu certaines de leurs activités les plus lucratives se réduire au gré de premières lois timides supposées lutter contre leur influence. Leur nombre se réduit, leur territoire aussi. De fait, l’ambiance dans laquelle baigne le jeu a un côté sinistre, affichant le déclin de bêtes blessées braconnant leurs territoires mutuels.
Nous y retrouvons Kiryu (que nous incarnerons durant tout le jeu), dont l’ascension dans la pègre est brisée par un meurtre qu’il choisira d’endosser pour protéger les siens. Il aura rapidement l’occasion de croiser le légendaire Goro Majima, passé depuis Zero de bandit élégant au grand cœur à fou furieux lâché dans les rues suite à la tragédie qui l’a frappé dans le précédent épisode. De nombreuses scènes inédites à ce remake ont été ajoutées pour faire le pont entre les deux époques, achevant de dresser le portrait de Goro en homme brisé, véritable clown tragique ne vivant plus que pour des bagarres de rue avec son rival désigné.
Sorti de dix années de réclusion, Kiryu découvre un monde changé. L’industrie du sexe s’est aseptisée tout en étant encore plus présente qu’avant, les passants errent rivés à leur téléphone et insensibles à une violence de plus en plus discrète mais de plus en plus dure. Tokyo est devenu le royaume des arnaqueurs à la petite semaine (plus de la moitié des missions annexes mettent en scène des tapeurs de toute sorte essayant de faire les poches à Kiryu), et même les sans-abris sont armés pour faire face à une société de plus en plus difficile. Et le meilleur ami de Kiryu, ayant hérité du clan que ce dernier devait diriger, semble, durant ces dix années, être devenu un homme des plus mauvais. Alors que la réalité de ce monde auquel il n’appartient plus le frappe de plein fouet; et après avoir reçu l’Hamonjyo, lettre lui stipulant son éviction de la société Yakuza, notre impassible héros se retrouve au centre d’une affaire de vol de dix milliards de yens, contraint de collaborer avec la police, de protéger une enfant innocente, et d’échapper à des poursuivants de plus en plus énervés. Le tout, si possible, en essayant de se tailler une place dans cet univers à la fois familier et méconnaissable.
Sans prendre de gants
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Yakuza Kiwami ne s’embarrasse pas d’artifices. A quelques fioritures près, le scénario du jeu tient en quelques lignes, mais est d’une efficacité redoutable. Les enjeux sont posés très vite, les événements s’enchaînent à la vitesse de l’éclair, rien n’est fait pour distraire l’attention du joueur par mille artifices. S’il est possible d’effectuer mille petites choses dans Kamurocho, la quête principale, elle, est d’une concision et d’une radicalité bienvenues. Moins de dix heures suffisent à la boucler, relative aubaine pour le joueur pressé.
Tout ce que Yakuza Kiwami fait, il le fait vite, à l’image de l’époque dans laquelle il se déroule : tout va plus vite, mais, semble-t-il, pour arriver moins loin. Il serait véritablement dommage de passer à côté de tout ce que cet épisode veut raconter en dehors de sa trame principale. Puisque tout va si vite, il ne faut qu’une poignée de quêtes et de combats de rue pour débloquer un objet marquant sur la carte l’emplacement de toutes les « substories » qui font le sel de la série. Petites scènes de rue impliquant Kiryu dans des quêtes plus ou moins longues, elles sont ici d’une nature très différente de celles de Zero. A l’époque de la PS2, elles étaient surtout le prétexte à déclencher quelques combats scriptés. Depuis, elles sont aussi le reflet de ce monde en mutation, et de l’incapacité complète de Kiryu à reprendre pied dans un monde qui s’est construit sans lui. Seules quelques respirations loufoques faisant référence aux sous intrigues de Zero rappellent cette ambiance plus approximative mais moins rude du Tokyo des années 80. Un vieux maître d’arts martiaux loufoque vivant parmi les clochards, un employé d’une salle de petites voitures électriques cherchant à se marier, ainsi que les apparitions de plus en plus farfelues du violent Majima (déguisé en tout et n’importe quoi et cherchant les prétextes les plus absurdes pour défier le protagoniste) : autant de petits souffles humoristiques dans une histoire au ton oppressif. Quelques fils qui rattachent Kiuyu à une époque où l’intégralité des habitants de Kamurocho n’essayaient pas de le tabasser ou de lui faire les poches.
Kiwami est quelque part entre deux eaux. Toute sa structure est celle d’un jeu PS2 : rapide, techniquement limité, narrativement balbutiant. Mais tout le lore accumulé de la série, et son ton qui a dérivé d’année en année vers le grandiloquent et le baroque font ironiquement de Yakuza Kiwami un objet inquiétant, presque âpre. La mort y rôde un peu partout, presque aussi banalisée que dans un vieux GTA, là où Zero mettait le moindre décès en scène avec une dramaturgie de Telenovela. Ce remake est le témoignage de l’étonnante évolution du jeu vidéo dans les dix dernières années. Davantage de variété, davantage d’écriture, mais un propos souvent dilué dans une course au contenu, aux collectibles et aux annexes. Le premier Yakuza se situait au crépuscule des Open World sans achievements, sans DLC, sans tours d’observation, sans véhicules à collectionner, et sans circonvolutions dilatoires.
La Bagarre
Alors, peut-être, au bout d’une dizaine d’heures, arrive une certaine forme d’agacement. On finit par voir les problèmes dus à l’âge vénérable du matériau d’origine. Pas encore tout à fait un parc d’attraction pour Yakuza du dimanche, Kiwami finit par lasser avec des combats omniprésents jusqu’à l’écœurement, toujours les mêmes, hachant le rythme de l’action.
On finit par se lasser de ces quêtes de bagarre dupliquées à l’infini, de ces voyous qui attaquent sans raison ni ligne de dialogues, de ce moteur graphique à bout de souffle qui peine à cacher la misère, entre Uncanny Valley et figurants qui apparaissent et disparaissent, de ces quelques substories qui forcent à courir en rond pour troquer des objets comme dans le plus assommant des MMORPG, de l’obligation de farmer et de répéter en boucle des activités pour débloquer les compétences les plus intéressantes. Toute petite lassitude, au demeurant : Yakuza Kiwami tire le maximum, et même sans doute un peu plus, du contenu qu’il adapte. L’agacement pointe, mais l’ennui ne s’installe jamais vraiment.
Le système de combat, s’il met du temps à se déployer complètement, est une évolution plutôt bienvenue de celui de Yakuza Zero. Kiryu jongle entre quatre styles de combat plus ou moins efficaces, et peut à l’occasion utiliser des armes (qui se brisent rapidement). Pour peu qu’on concède quelques heures à ce pénible farming des compétences, le gameplay déploie des trésors de subtilité, tout en ne punissant pas trop durement les joueurs souhaitant esquiver cette phase de leveling.
En attendant la suite
Sega a fait un excellent travail sur ce jeu. Ses seules limites sont son cadre d’origine, incontestablement plus faible que celui dans lequel se placent les épisodes ultérieurs. Sans le contenu ajouté çà et là par les développeurs pour se raccorder à Zero, Kiwami semblerait un peu vide, et parfois un peu vain. Mais cette note d’intention est une parfaite introduction aux ambitions de l’équipe sur la série. Une parfaite mise en bouche avant l’arrivée, l’an prochain, de Yakuza Kiwami 2 et de Yakuza 6.
Il ne lui manque qu’un peu plus de variété, un peu plus d’équilibrage et un peu de finesse dans l’écriture de ses personnages secondaires pour se hisser au rang des épisodes les plus réussis de la franchise. En attendant, il se situe néanmoins loin, loin au-dessus de la plupart des Open World vides de sens et sans âme qu’on nous sert au moins une fois par trimestre dans le monde des triple A.
Une des quêtes annexes de Yakuza Kiwami met en scène une jeune actrice essayant de se mettre dans la peau d’une danseuse disco des années 80, à l’époque où l’avenir semblait radieux et où la prospérité définissait la société japonaise. A la fin de cette quête, Kiryu lance un regard vers l’horizon en se demandant si ces temps de prospérité reviendront un jour. En ce qui concerne l’avenir de la série Yakuza, rien n’est moins sûr : l’épisode Kiwami en est le témoin flamboyant.
Yakuza Kiwami est l’excellent remake d’un excellent jeu. Direct, passionnant, riche en contenu, point d’entrée plus que convenable aux aventures de Kiryu Kazuma, baignant dans cette ambiance à la fois outrageusement sérieuse et parfaitement loufoque, marque de fabrique de la franchise, il est difficile de trouver quelque chose à redire tant le travail accompli par Sega est propre. Le moteur de jeu montre ses limites, la fréquence des combats est un peu agaçante, mais ce ne sont que des détails peu à même de gâcher la fête. Les seules véritables limites de Yakuza Kiwami sont sa nature de remake d’un jeu vieux de dix ans (qui se ressent un peu dans l’écriture, parfois datée ou ringarde) et le fait de passer après un Yakuza Zero au contenu et à l’écriture monumentaux. Sortir de Zero pour enchaîner sur Kiwami donne l’étrange impression de trouver une intrigue plus approximative, des personnages moins bien écrits, et un contenu plus pauvre, comme si, sans le vouloir, Sega avait réussi à transformer Kiwami en épisode Stand Alone de Yakuza Zero plutôt que l’inverse. Qu’importe, ce sont bien là des problèmes de riches.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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