J’ai récemment entendu une blague assez amusante disant qu’en 2020, il n’y a que trois sortes de jeux vidéo : ceux où on est un super tueur tuant des trucs avec des trucs fait pour tuer, ceux qui sont une métaphore sur la dépression, et ceux édités par Nintendo. Mais vous savez quoi ? Cette semaine, je suis parti camper. Il y avait Oncle Brad, Tante Cloanne, l’insupportable Mord (12 ans) et son petit copain Ben (pas très à l’aise). Les Californiens de Turnfollow en ont fait un album souvenir : Wide Ocean Big Jacket, qui est presque à lui tout seul une quatrième catégorie.
Vous savez ce qui est chouette dans le camping ? C’est qu’au fond, personne n’aime vraiment ça (chaud, froid, mouillé, ça gratte, il manque des bouts à la tente, on n’arrive pas à replier le sac de couchage, y’a des fourmis et les toilettes sont pas franchement nickel) mais tout le monde en revient avec de chouettes souvenirs. C’est un tout qui dépasse la somme de ses parties, et qui permet de surestimer le temps de quelques jours notre capacité de survie en cas d’apocalypse zombie. Et c’est aussi un des rares moments où on a l’occasion de se sentir l’égal de ses voisins de tente, ni plus ni moins, enfin, sauf les Suédois de l’emplacement 148 avec leur énorme caravane avec une antenne satellite, un frigo et des meubles en chêne massif. Sérieusement, si c’était pour venir avec un machin pareil, autant rester chez eux dans leur maison, non ? Bref, l’important, c’est qu’en camping, on a souvent pas grand-chose d’autre à faire qu’apprendre à se connaître. C’est ce que vont tenter de faire nos quatre personnages, en nous emmenant dans leur petit voyage. Et c’est toute une aventure.
Jeu d’aventure sans quechua multiple
Dans Wide Ocean Big Jacket, la première chose qu’on m’a fait comprendre, c’était que j’arrivais dans un endroit assez paisible. Après tout, Oncle Brad et Cloanne (elle est pas fan du « tante ») ont choisi un coin plutôt pépère pour apprendre à mieux connaître leur très énergique nièce Mord, brutalement métamorphosée en adolescente depuis quelques mois. Elle a ramené avec lui ce petit binoclard de Ben, avec qui elle traîne depuis des années, mais à ce qu’il semble, c’est son petit copain, maintenant. C’est pas bien clair. Eux-mêmes n’ont pas l’air tout à fait sûrs. Mais ça a l’air de bien leur aller. Et puis Cloanne et Brad sont cools, c’est pas ça qui va les perturber plus que ça.
Donc, ici, pas d’ascension de l’Annapurna ou de fosse pleine d’alligators pour faire du team building. On est là pour les marshmallows et les hot dogs, même si Brad aurait pu penser à acheter d’autres trucs, genre des légumes, des trucs pour l’apéritif. Ou juste penser à ne pas paumer le pass pour entrer sur le site. Sacré Brad. Oh, tout de même, le voyage est bien ponctué de quelques aventures rocambolesques (aller acheter du petit bois, regarder des oiseaux avec des jumelles, éviter une bande de jeunes un peu débiles et un peu ivres). Mais dans l’ensemble, on n’est pas venu ici pour souffrir. Même si Ben aurait pu investir dans un poil de crème solaire et Mord éviter de faire la maligne en voulant faire pipi dans la nature à proximité d’un des sentiers les plus passants du camping.
Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, Wide Ocean Big Jacket est une aventure qui se paye le luxe d’avoir un paroxysme, que je ne vous révélerai pas de peur de vous gâcher le voyage déjà fort court, mais qui a bien ponctué ce petit séjour qui ne m’aura coûté qu’une petite heure et une brutale envie de ne pas essayer d’avoir une conversation suivie avec des adolescents durant toute la décennie à venir. C’était, ceci dit, déjà ma bonne résolution quand j’étais adolescent moi-même. Oh, vous savez ? Je ne sais pas qui j’essaye de tromper en faisant le dur, évidemment que j’ai trouvé Ben et Mord trop mignons et que le rêve de tout le monde c’est d’avoir des oncles et tantes comme Cloanne et Brad, qui nous préparent des super week-end chill en pleine nature. De toute façon, je n’avais pas le choix, Wide Ocean Big Jacket n’a jamais eu besoin de moi pour s’écrire.
Le Pique-Nique Douille
Il est des aventures qui nécessitent une part active de l’attention cognitive du joueur via un ensemble d’énigmes, d’autres qui vous demandent le réflexe de choisir entre diverses possibilités cornéliennes, d’autres enfin qui vous captivent en vous perturbant les sens. Wide Ocean Big Jacket n’essaye rien de tout ça, se contentant de vous embarquer avec Brad, Cloanne et les gamins dans un voyage extrêmement relax, vous laissant parfois poliment la main sur l’ordre des répliques ou l’exploration de petites portions des lieux, mais à peine plus. Est-ce que j’avais besoin de davantage pour apprécier les jeux de mots stupides de Mord ou le côté ultra relax de Cloanne en train de lire son roman à l’eau de rose ? Eh bien non, j’ai quitté le camping avec l’impression d’avoir les poumons pleins d’odeurs de frêne, de hêtre et de sapin, et les vêtements qui puaient les hot-dogs grillés et les chips aromatisées.
C’est que Wide Ocean Big Jacket n’essaye même pas de vous donner le change : vous êtes ici pour regarder un simple trip au camping, extrêmement bien écrit. Avec ses silences, ses conversations qui ne mènent nulle part, ses employés du camping nonchalants, son indispensable temps de déconnexion à regarder crépiter le feu : une aventure du quotidien, qui vous donnerait presque envie de rester encore un peu avec la petite famille, juste pour savoir quel vieux CD du vide-poche passer dans la voiture au retour.
Une fois le joli voyage terminé, Wide Ocean Big Jacket m’a ramené chez moi, et j’ai laissé Cloanne, Ben, Mord et Brad au reste de leur vie, dont j’ai été le compagnon d’un jour. Amusez-vous bien ! Le voyage est vendu par Turnfollow au prix d’un hot-dog, ni plus ni moins, mais je suis certain qu’il me restera bien plus longtemps en bouche. L’essentiel du travail du studio Californien a jusqu’ici consisté à proposer des expériences intimes sur les petits aspects de la vie (faire une fête chez soi, rentrer en transports en commun à la maison), et ce jeu d’aventure est le premier de leur catalogue qui ait une exploitation commerciale et un portage sur divers supports. Vous allez donc me faire l’immense plaisir de l’acheter, d’ailleurs, achetez-le de préférence sur Switch, vous pourrez y jouer en campant. Dans la tente de vous revoir, je vous dis à très vite. Tente. Camping. Vous l’avez ?
Wide Ocean Big Jacket a été testé sur Switch, via une clé fournie par l’éditeur.
Dans Wide Ocean Big Jacket, l’interactivité est réduite à portion presque aussi congrue que dans un kinetic novel, voire que dans un simple film. Mais en faisant endosser au joueur le rôle de spectateur et, à de rares moments, de cadreur ou de dramaturge chargé de sublimer un simple voyage en famille en choisissant l’ordre des répliques ou l’angle de caméra, le modeste titre de Turnfollow se pose comme un petit bonbon sucré, une jolie boule d’amour qui se déguste en une heure et demie montre en main.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
Articles similaires
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024
Great God Grove - Queer et élastique
nov. 11, 2024