Wayward Strand, le premier jeu du studio australien Ghost Pattern, propose une expérience narrative douce, très jolie et un peu nostalgique. Une expérience qui aurait pu avoir un goût de déjà-vu, mais qui évite cet écueil grâce à son décor et son mécanisme de narration.
À la limite entre le jeu et l'histoire interactive, Wayward Strand est un jeu d'une grande douceur qui touche avec légèreté à de nombreuses thématiques plus ou moins profondes. Avec sa grande rejouabilité, il frustrera possiblement les plus actifs et actives d'entre nous avec son absence de puzzles ou d'énigmes, mais son choix de miser sur un mécanisme de narration en temps réel ouvre la porte à une nouvelle façon d'appréhender le jeu narratif. Si vous êtes prêt·e·s, nous allons embarquer dans la navette en direction du ciel de l'Australie rurale des années 1970.
En route pour les Walkley Awards
Mais commençons par le début. Casey vit avec sa mère dans une petite ville côtière australienne, l’été 1978 touche à sa fin et elle va bientôt reprendre les cours. Sa mère infirmière-chef de l’hôpital local décide que passer trois jours à ses côtés permettrait à Casey de prendre les choses un peu plus au sérieux et d’arrêter de passer son temps à écrire dans ses carnets. C’est donc maussade, mais déterminée à en tirer un article pour le journal de l’école que Casey accompagne sa mère. On découvre dès le début du jeu que l’hôpital est construit dans une sorte de zeppelin. Ses grandes baies vitrées, ses rambardes d’escalier aux volutes compliquées, son atmosphère hors du temps et ses vitraux très art déco seront donc le décor feutré des trois jours que vous passerez à accompagner Casey dans les couloirs du département de gériatrie/maison de retraite de l’hôpital. Car une fois arrivée là-haut, Mme Beaumaris dépose Casey avec comme consigne de se rendre utile et de passer du temps avec les patients et s’en va. Casey va donc pouvoir à loisir parcourir les trois étages du département de gériatrie, parler avec les résidents et le personnel, écouter aux portes, lire, contempler le paysage.
La journée de Casey va donc s’écouler à tenter de se rendre utile et à discuter avec les résidents, tout en essayant d’en apprendre le plus possible sur leur histoire et celle de l'hôpital. Les six résidents sont plus ou moins réceptifs à ses efforts et ont chacun une personnalité ainsi qu'une histoire. Et autant l’intérieur de leur chambre que leur apparence et leur démarche sont cohérents avec ce qu’ils sont. Ainsi, le très alerte M. Avery adore s’écouter parler et marche avec vivacité, tandis qu'Ida avec son dos courbé et ses manières de mamie gâteau marche lentement, mais avec détermination. Chaque résident possède une chambre décorée en fonction de sa personnalité et c’est un vrai plaisir de voir les murs s’effacer pour en révéler l’intérieur. Si j’ai un regret à ce niveau-là, c’est bien qu’il n’y en ait pas plus à voir, car esthétiquement c'est extrêmement plaisant. En filigrane se dessine une réflexion sur la vieillesse, le soin aux personnes âgées et la privation d'autonomie dont ça s'accompagne souvent.
L'heure c'est l'heure
Wayward Strand ne donne aucune consigne ni objectif, pas de liste à cocher, pas de secret à découvrir impérativement, ce qui est à la fois une richesse si l’on aime le côté un peu bac à sable, mais fait aussi se sentir comme une ado de 14 ans qu’on lâche dans le monde des adultes trop pressés et pas forcément patients avec ses questions et qui ne la remarquent souvent que lorsqu’elle est dans le passage.
Le gameplay est très simple, des flèches dessinées sur l’écran permettent de se déplacer à gauche ou à droite. Des étiquettes à cliquer permettent d’effectuer les actions : monter, descendre, entrer dans une pièce, écouter aux portes, discuter avec les résidents, etc. C'est fonctionnel et efficace. Chaque interaction est consignée dans un carnet, ce qui permet de savoir où on en est avec les personnages. Le twist, c’est que l’action se déroule en temps réel, enfin dans le temps réel du jeu, sinon ça durerait bien plus longtemps que les 4h environ qu’il faut pour terminer une partie. Chaque personnage vit sa vie en parallèle à vous. Ils se déplacent, discutent, vivent même si vous n’êtes pas là pour le voir. En bas à droite de l’écran, une montre indique l’heure qu’il est et attention à vos oreilles si vous n’êtes pas de retour à l’accueil à 18 h pour retrouver Mme Beaumaris. Ce temps qui s’écoule en temps réel apporte une dynamique intéressante au jeu, car il est impossible au cours d’une partie de tout découvrir. À ma connaissance, peu de jeux narratifs, voir aucun, n’ont recours à ce mécanisme. En effet, comment raconter une histoire et arriver à une fin satisfaisante, si le joueur n’a littéralement pas la possibilité de tout suivre et peut donc passer complètement à côté d’un élément central ?
Le paragraphe qui vient contient un très léger spoiler quant à la structure/la finalité, mais ne déflore absolument pas les histoires des personnages qui constituent l'essentiel du jeu.
La réponse à la question ci-dessus est en fait de ne pas avoir de finalité. Ma personnalité un peu scolaire, qui aime qu’on lui décerne des bons points à la fin s’en est trouvée un peu frustrée. Le jeu s’achève au bout des trois jours et malgré toutes les notes prises, il n'y a aucun article à écrire. On ne sait même pas forcément précisément ce que Casey en a tiré, car c’est à nous de décider à la fin si Casey a envie de revenir un jour ou au contraire est ravie de partir et de profiter de la fin de son été sans contraintes. La page se tourne et c’est au joueur de décider s’il a été ému, touché ou intrigué par les vies qu’il a découvertes et s’il décide de relancer une partie pour découvrir tout autre chose.
L'ado, les vieux et le FOMO
Dans la mesure où il est impossible de tout voir, c’est également un excellent simulateur de FOMO : va-t-on essayer de comprendre le motif de la visite officielle qui met tout le monde sur le qui-vive, essayer d’en savoir plus sur l’un ou l’autre des résidents ou encore percer les mystères de l’histoire du zeppelin devenu hôpital ? Le FOMO s’estompe un peu lorsqu’on accepte que ce soit normal et que si comme dans la vraie vie il faut faire des choix, il est ici possible d’y revenir pour découvrir d’autres choses. Ce pari assez inédit de mélanger structure narrative, jeu bac à sable et temps réel évite à Wayward Strand de n’être qu’un énième jeu narratif, joli, mais un peu oubliable sur le fait de grandir, de vieillir et sur les relations filiales, mais peut aussi être un inconvénient pour certains joueurs qui pourraient s’y ennuyer. En effet, l’absence totale de puzzles, d’énigmes à résoudre et même de finalité peut, j’imagine, provoquer de l’ennui ou rebuter. Pourtant, moi qui ne suis pas très cliente de ce type de structure, précisément parce que j’aime qu’on me fixe des objectifs et que je manque parfois cruellement de curiosité, j’ai apprécié ces trois jours passés à bord du zeppelin et je relancerais volontiers une partie, car j’ai bien la sensation de n’avoir presque rien vu de ce que propose le jeu. L’intérêt tient, outre aux décors, aux personnages bien sûr, tantôt touchants, tantôt exaspérants, mais incroyablement humains et paradoxalement aussi aux choix que l’on est obligé de faire.
Tout n’est pas parfait bien sûr et dans la version que j’ai pu tester, certaines animations souffrent encore de problèmes, certains personnages se superposent ou font les actions à quelques centimètres des objets avec lesquels ils doivent interagir, mais cela ne gêne pas l’histoire et ne concerne pas la majorité des animations. Certains dialogues sont un peu répétitifs et certains personnages ne prennent pas en compte ce que l’on sait déjà ou ce qu’ils nous ont déjà dit. Il semble qu’une traduction française soit prévue, mais je n’ai pas pu la tester, à l’heure actuelle le jeu est en anglais et nécessite un niveau correct de la langue et de s’habituer à l’accent australien de certains des personnages. Les doublages sont d’ailleurs extrêmement bien trouvés et apportent une touche d’authenticité à ces personnages déjà intéressants.
Wayward Strand a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur Switch, PlayStation 5, PlayStation 4, Xbox Series X|S et Xbox One X.
Wayward Strand fait une proposition audacieuse en ajoutant à un jeu narratif une structure de jeu bac à sable et un mécanisme de temps réel. Si les thèmes et les histoires ne se démarquent pas forcément du lot des jeux narratifs sur le fait de grandir et le temps qui passe, la direction artistique soignée, le décor original et les mécanismes de jeu en font une proposition intéressante et unique qui vaut la peine qu’on s’y attarde.
Les + | Les - |
- Une belle direction artistique | - Parfois difficile de savoir par où commencer |
- Des personnages attachants | - Conclusion qui donne une impression d'inachevé |
- Des mécanismes originaux dans un jeu narratif |
BatVador
Traductrice ascendante topiaire qui aime les city builders, les dystopies et les jeux avec des gens déprimés dedans.
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