Le saviez-vous ? La toute première itération de Warhammer 40000 a été directement introduite par Rogue Trader, un cadre spécifique créé en 1987 par Rick Priestley (déjà à l'origine de la branche fantasy) et déjà sous forme d'un jeu de rôle, maître du jeu inclus, avant d'être réorientée en 1993 vers le jeu de stratégie que l'on connaît dans une tonalité déjà plus sombre. Une nouvelle mouture du jeu de rôle initial reviendra bien plus tard sous le même titre, Rogue Trader, en 2009, comme spin-off du jeu de rôle WH40K de l'époque. Et si ce petit bout d'exposé vous agace déjà, dites-vous que ce n'est que le début, parce qu'Owlcat Games maîtrise son univers WH40K sur le bout des doigts et vous allez déguster du lore dump par grosses pelletées.
Retour aux sources donc pour cette énième adaptation de la franchise (on compte au bas mot une trentaine de jeux WH40K rien que depuis 2000). On y incarne un·e libre marchand·e du titre, personnage extrêmement puissant qui vient d'hériter d'un titanesque vaisseau de la taille d'une ville ainsi que d'un conglomérat de planètes éparpillées dans un coin de la galaxie. Et vu que c'est tout le temps la guerre, on se doute que la transition ne va pas se faire en douceur.
Trouver son chemin
Les habitués sentent déjà un parfum connu : qui dit domaine, dit mini-jeu de gestion, comme dans Pathfinder: Kingmaker. De manière générale, impossible de commencer Rogue Trader sans jouer au jeu des différences avec les deux Pathfinder du même studio. On est toujours sur le même moteur graphique, qui a subi un agréable lifting, mais dont les (nombreuses) animations ressemblent toujours à du stop-motion de playmobils. Ce qui n'est pas tellement choquant en l'occurrence, vu que toute la direction artistique colle parfaitement à celle des petites figurines Warhammer.
La comparaison se complique lorsqu'on ouvre le capot. À l'époque, Owlcat avait choisi de rester sur la version 1 du jeu de rôle (papier) Pathfinder, bien plus complexe et bordélique que l'actuelle v2, prouvant ainsi son amour pour les systèmes à tiroirs. Une impression confirmée par ce nouvel opus où les règles de Rogue Trader (sur table) sont clairement mâtinées de Pathfinder, ce qui donne un système extrêmement touffu. Certes, tous les textes regorgent d'indispensables tooltips, autant pour expliciter les mécaniques que pour se retrouver dans les flots de lore WH40K.
Le début du jeu sera tout de même impitoyable : chaque fois que l'on gagne un niveau — c'est-à-dire toutes les cinq minutes — on nous fait choisir une compétence dans une liste qui en compte jusqu'à... une cinquantaine. Compétences qui sont toutes plus hermétiques les unes que les autres, sachant qu'il faut multiplier l'opération par le nombre de personnages, avec bien entendu des choix différents à chaque fois. Le faire sérieusement dès le début équivaut à s'enfoncer volontairement des échardes sous les ongles, mais il est faisable de piocher un peu au pif dans les recommandations sans s'attarder outre mesure, du moins en difficulté normale.
In the grim darkness of the far future there is only war
La bonne nouvelle, c'est que cette approche un tantinet abrupte conduit à un système de combat véritablement excellent. Le temps réel de Pathfinder (vaguement rebidouillé par la suite en tour par tour) est abandonné au profit d'affrontements réglés au cordeau, sur un damier tactique et au tour par tour. Dès le début, les possibilités tactiques sont nombreuses et clairement exposées, notamment via une prévisualisation qui donne la ligne de mire du personnage et les dégâts qu'il pourra faire, avant son déplacement. Pour tenter d'atteindre le sniper ennemi, dois-je exposer mon fidèle vétéran afin de l'atteindre en corps-à-corps, ou tenter de le dégommer à distance avec ma tireuse d'élite ?
Les leaders qui permettent de rejouer un autre compagnon s'avèrent alors essentiels, ainsi que l'application de nombreux buffs et débuffs au cours du combat — peut-être un reproche à faire ici, cette dernière phase étant un poil répétitive à la longue. En réglant la difficulté au-delà du mode normal, certains combats vont demander plusieurs essais, sans que les ennemis deviennent pour autant des sacs à points de vie. On n'échappe pas à quelques affrontements superflus, mais ils sont bien moins nombreux que dans les précédents titres. Pour varier les plaisirs, le mini-jeu des combats spatiaux s'avère étonnamment plaisant.
Les rebelles et les créatures du Chaos ne seront pas les seuls à nous mettre des bâtons dans les roues. Chez Owlcat, il faut également compter sur la traditionnelle avalanche de bugs pour pimenter la partie. Chacun sa propre expérience : pour ma part, j'ai dû recharger un certain nombre de combats, bloqués sans espoir. La touche F5 est rapidement devenue ma meilleure amie. Certes, l'expérience montre que l'on peut compter sur le suivi du studio, et si vous lisez cet article 6 mois après sa publication, il y a des chances que ce paragraphe soit obsolète. Si ce n'est pas le cas, rappelons que vous pouvez vous retrouver dans l'impossibilité de finir le jeu, les derniers chapitres étant particulièrement touchés. Ce qui peut sembler gênant... mais personnellement, j'ai depuis longtemps abandonné l'idée de terminer un Owlcat, dont l'intérêt ne tient pas tant à sa résolution qu'à l'aspect tactique et l'exposition de son univers.
Impérium arrangé
Sur ce dernier point, la divergence est nette. Le cadre de Warhammer 40000 n'est pas n'importe quel cadre fantastique : c'est un univers brutal, sombre, haineux et intolérant, où la paix ne peut exister. Un monde de fascistes, en somme. Un spectre varié de fascisme si vous voulez, allant du fanatique religieux à l'hérétique psychopathe. D'un côté, on comprend bien que c'est justement ça l'intérêt : il est assez cathartique de patouiller dans un univers où littéralement tout le monde est un bad guy puisque la notion de gentillesse n'existe même pas. Du moins, tant que tout le monde est d'accord sur l'aspect absurdement débile de la chose — Games Workshop lui-même doit régulièrement en faire le rappel aux deux du fond.
Le malaise est amplifié par le fait qu'Owlcat est une entreprise russe (partiellement financée par un ancien de Gazprom, et relocalisée à Chypre pour éviter les sanctions internationales). Sans préjuger des opinions des développeurs (le jeu n'a par exemple aucun problème à développer des romances homosexuelles, ce qui n'est pas vraiment raccord avec la position officielle du pays), on ne peut pas s'empêcher de remarquer qu'ils ont volontairement choisi de dépeindre un univers ultra-militarisé, sous le regard totalitaire d'un Empereur-Dieu, tenu par une Inquisition impitoyable (et en bonus, farci d'aigles bicéphales dans tous les coins). Bien sûr, pas de politique là-dedans monsieur Owlcat, vous reprendrez bien une part de frites québécoises en sauce ? Je suis très curieux de savoir ce que vous avez à dire, laissez-moi juste enfiler ma combinaison hazmat.
Il faut trouver la voie, mais d'abord je vais vous couper la tête
Car que raconte Rogue Trader, au fond ? Les tribulations d'un personnage ballotté entre les doctrines du dogmatisme aveugle et de l'hérésie chaotique, qui sont assez équivalentes dans l'horreur. Sauf qu'il est ici possible de choisir une troisième voie, celle de l'iconoclaste, généralement plus humaine. Lors d'une confrontation face à des grévistes dans le vaisseau par exemple, il sera possible d'exécuter les rebelles (choix dogmatique), ou de s'en prendre à l'Imperium (choix hérétique), mais aussi de tenter une conciliation. Et… c'est un choix délicat. Tant que tout le monde est un gros méchant, il est facile de jouer le jeu. Si la narration ouvre la porte à la possibilité de l'humanité, à la perspective de paix ou d'harmonie universelle, alors c'est tout l'univers qui risque de se casser la figure.
D'autant que toutes ces options sont finalement assez factices : à part quelques choix bien précis (comme choisir d'exécuter directement un compagnon), la plupart n'ont pas vraiment d'effet sur la suite. On peut jouer toutes les cartes de l'hérésie : le compagnon inquisiteur fera les gros yeux, mais restera fidèlement à notre service.
Tout cela est d'autant plus dommage que Rogue Trader est globalement très bon, parfois excellent. C'est le syndrome du bon élève que d'être jugé à la hauteur de ses ambitions. L'aventure, une fois enfin déployée dans son deuxième acte, est un régal sur le terrain. L'écriture est globalement loin d'être idiote, certainement bien plus intéressante que dans la plupart des productions de la franchise où le fascisme ambiant fait simplement partie des meubles. Elle décrit un univers riche, minutieusement détaillé, calibré pour jouer un salaud de la pire espèce.
Warhammer 40000: Rogue Trader a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Merci à Martin Lefebvre pour les échanges constructifs.
Aussi brutal dans ses mécaniques que son univers, Warhammer 40000: Rogue Trader ne peut que diviser. Ceux qui n'ont pas peur de se frotter à une machinerie ardue apprécieront des combats tendus et une aventure généreuse, bien meilleure que les Pathfinder sur de nombreux points. Au risque d'en sortir peut-être frustrés par un récit qui n'assume pas toujours les problématiques qu'il a lui-même soulevées.
Les + | Les - |
- Combats passionnants | - Système de compétences abscons |
- Lore WH40K religieusement restitué, y compris en VF | - Narration pas toujours à l'aise dans son univers |
- Enjeux forts et bien écrits | - Capitaine ! Là ! Encore un bug ! Aaargh |
- Mini-jeux plutôt réussis |
glau
Se perd dans des mondes ouverts, dans les rouages de sa propre usine ou dans le fracas des chars, mais trouve toujours un petit chemin de fer pour rentrer.
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