Dévoilé courant 2015, année charnière pour Dontnod Entertainment alors en pleine couverture de Life is Strange, Vampyr ne sera à son tour sous les feux de la rampe que trois ans plus tard. Si la précédente production du studio était attendue au tournant, ultime recours à une situation de crise financière qui s’est soldée par un succès retentissant, Vampyr n’en reste pas moins décisif : comment Dontnod allait-il aborder l’après Life is Strange ?
De la même façon que l’on reculera pour mieux sauter, Dontnod semble avoir bâti les fondations de Vampyr en songeant à leur premier amour : Remember Me. Même si les deux productions relèvent plus de l’antithèse qu’autre chose (le premier un jeu linéaire d’action-aventure et le second un jeu de rôle à monde ouvert), force est de constater que ces deux jeux partagent davantage de points communs qu’avec Life is Strange. Et je pense notamment à leur structure qui demandera au joueur de ponctuer sa progression narrative sur chacun de ces titres par des combats relativement denses et multiples. Mais j’aurai l’occasion d’y revenir par la suite.
Avant toute chose, par souci de contextualisation, il faut savoir que l’aventure de Vampyr prend place dans le Londres de 1918, celui qui ne s’est pas encore remis des récents conflits de la Grande Guerre et désormais touché par la grippe espagnole. Et c’est dans ce climat hostile que le joueur incarne Jonathan Reid, célèbre chirurgien et chercheur, tout juste rentré du front français après s’être engagé comme médecin militaire. À quelques pas de retrouver ses proches, il se fait agresser puis perd connaissance. Ce qui nous amène à son réveil (le début du jeu), où Jonathan est désormais animé par un besoin irrépressible de s’abreuver de sang humain. Tiraillé entre ses obligations de médecin et sa nouvelle nature de vampire, entre rationalisme et occultisme, Jonathan Reid sera en quête de réponses et de remèdes pour sauver les citoyens de Londres et se sauver de lui-même.
Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras
Cette dualité caractéristique de Jonathan va se traduire par une progression sur deux grands axes : d’un côté la quête principale, celle-ci consistant à lever le voile sur le mal qui ronge la ville, et de l’autre côté la possibilité de gérer chacun des quartiers londoniens en venant en aide aux citoyens. Très tôt dans l’aventure, on renoue avec notre condition de médecin dès lors que Jonathan se lie à l’hôpital de la ville, le Pembroke Hospital, présenté comme un hub autour duquel gravite l’ensemble de nos activités. De quoi obtenir un aperçu du schéma qui va se répéter à mesure que la quête principale nous mènera au sein de chaque quartier de la ville : un personnage central nous éclaire sur la situation ; on part à la rencontre des différents membres de la population pour les soigner (craft) et / ou pour leur venir en aide (quête annexe) ; puis on récupère des points d’expérience afin d’améliorer nos compétences initiales et en débloquer puis développer de nouvelles. Voilà très globalement comment s’articule Vampyr.
Vous devinerez là les ingrédients traditionnels d’un RPG, et pour cause, Vampyr met à notre disposition, et presque même d’une manière poussive, toute une panoplie de compétences nous obligeant à spécialiser Jonathan suivant que nos aspirations soient pacifistes, belliqueuses, mi-figue, mi-raisin. Malgré tout, il est possible de diversifier notre style de jeu puisque la plupart des compétences sont interchangeables, tout comme nous pouvons réattribuer l’ensemble de nos points d’expérience à tout moment. Mais quand bien même, je m’interroge sur la pertinence d’une telle variété, tant l’impact général en jeu n’est pas foncièrement significatif. Pour le reste, dans sa formule plus classique mais également plus judicieuse, le joueur a tout intérêt à accomplir un maximum de tâches pour monter en niveau d’expérience, et ce essentiellement pour coïncider avec le niveau de difficulté en constante progression. Si cette évidence vous semble absurde, croyez-le, ici, le cas contraire pourrait avoir un impact dévastateur sur votre plaisir de jeu.
En effet, Vampyr a fait le choix (douteux) de proposer des affrontements physiques à tous les coins de rue de Londres. Si le premier quart de l’aventure relève d’une promenade de santé, du fait d’affrontements ayant valeur de didacticiel, le reste de l’aventure met nos nerfs à rude épreuve. Non pas parce que nous sommes en présence d’un Dark Souls like, mais plutôt parce que son système de combat n’a pas grand chose pour lui. En fait, reprenez Bloodborne (arme dans chaque main, arme à distance et courte portée, arme à feu et arme blanche, parade, esquive…) et retirez toute la synergie présente au cours d’un combat. Place alors à l’aléatoire, au désordre, à la répétitivité, au manque d’intérêt et par conséquent à la longueur. Voilà ce que sont les combats de Vampyr. Et la diversité du bestiaire (humains, monstres, vampires) n’y fait rien, on en vient à bout de la même manière : soit en bourrinant au mieux et le plus vite possible, soit en fuyant au mieux et le plus vite possible. Tout l’intérêt alors d’avoir, au préalable, un niveau suffisamment élevé pour que chacun de ces deux cas de figure se produise le plus efficacement possible.
Contemple ton œuvre
À vrai dire, Vampyr souffre d’un effet de contraste particulièrement frustrant entre la qualité de son design environnemental, son atmosphère saisissante et les possibilités d’interaction qui nous sont offertes. Cette reconstitution de Londres est d’une précision (non pas historique mais imaginaire) et d’une puissance évocatrice telles qu’on y voit là une promesse d’exploration délectable, qui saura récompenser les joueurs les plus aventureux d’entre nous. Malheureusement il n’en sera rien, puisque nos découvertes n’iront pas plus loin que des affiches publicitaires, des éléments de craft dissimulés au fin fond d’une poubelle et quelques lettres faussement dissimulées dans le décor pour en apprendre plus sur le background des quelques habitants du coin. Et il ne s’agit pas d’un pur caprice, puisque développer cet aspect du jeu aurait tout bonnement pu nous faire passer la pilule des nombreux allers-retours d’un quartier à un autre qui nous attendent tout au long de l’aventure (eh non, pas de voyage rapide). À nous alors la contemplation, puis la mélancolie et enfin l’ennui. Qualité ? Défaut ? Un peu des deux, je pense, mais au moins les thèmes brassés par le jeu sont respectés jusqu’au bout des doigts.
Même chose concernant le récit qui nous est narré, respectant comme qui dirait le cahier des charges mais sans être vraiment passionnant, la faute à un criant manque de rythme général, des enjeux téléphonés et une majorité de personnages sans grand intérêt qui ne servent que l’immersion. Et pourtant, l’histoire et son cheminement narratif ne sont jamais déplaisants. Je dirais même en grande majorité agréables. En fait, Vampyr réussit là où beaucoup d’autres jeux ont échoué en optant pour un système de contrepartie convaincant. Le joueur se retrouve à minima impliqué par le destin d’un quartier, d’un citoyen ainsi que par les choix déterminants qui nous sont proposés à des moments charniers, puisque tous ces rouages impliquent des conséquences directes, indirectes, à court, moyen et long terme. Mieux encore, le récit s’assure pour qu’il y ait toujours une bonne raison à ce que l’on réfléchisse à deux fois chacun de nos actes : la popularité d’un citoyen dont on veut ôter la vie, son influence dans un quartier, les bienfaits de sa profession, l’entente entre différents partis et groupes sociaux, l’économie de la ville, etc…
Entretien avec un Vampyr
Je profite de cette dernière partie pour traiter plus en détails l’aspect précédemment mentionné, qui est sans aucun doute le cœur de l’expérience de jeu. J’insiste sur ce point, mais il faut bien comprendre que les qualités et la profondeur du titre ne se révèlent que si l’on se donne la peine de converser avec la majorité, sinon l’ensemble des PNJ du jeu. Cas relativement rare dans le jeu vidéo, et j’oserais même dire unique, chaque personnage de la ville a une apparence, personnalité, background, centres d’intérêts qui lui sont propres. Et de leur épaisseur ne dépendra que votre capacité à les comprendre, puis les aider, les convaincre ou les séduire. Et par extension, eux seuls détiennent toute la profondeur du jeu : dans un premier temps en fouillant dans leurs effets personnels et en espionnant leurs faits et gestes, puis dans un second temps en mobilisant le savoir dûment acquis pour qu’ils n’aient d’autres choix que de vous livrer leurs secrets. Et ces secrets sont de tout ordre : quête annexe, récompense matérielle et financière ou plus généralement pour étoffer l’univers et votre compréhension du contexte dans lequel vous êtes. Ce qui veut également dire que toute relation conflictuelle et / ou mort provoquées sont définitives, vous privant peu à peu du contenu du jeu.
Mais, parce qu’il y a toujours un mais et c’est bien dommage, ce procédé, aussi rafraîchissant et audacieux qu’il puisse être, accuse également le coup de son statut d’expérimentation. Déjà, contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, la population de Londres n’est constituée que d’une quarantaine de personnes. Si en l’état c’est tout à fait honorable, surtout compte tenu des intentions énoncées plus haut, il n’empêche que ce faible nombre dénote obligatoirement avec la densité des lieux (quid des nombreux bâtiments inaccessibles mais pourtant habités de part et d’autre de la ville ?). Et à cela s’ajoute un système de dialogue en demi-teinte… justement parce qu’il s’agit d’un « système », et donc d’une itération qui se déclenche de la même façon, pour converser de la même manière, avec la quantité d’informations plus ou moins identiques à glaner en usant des mêmes artifices pour parvenir à ses fins. Vous voyez le problème ? Cette formule est beaucoup trop systématique, automatique même, cultivant continuellement un décalage avec le regard porté par le studio sur les PNJ qui prône pourtant l’individualisme. Avec un peu de plus de naturel et de spontanéité, la structure et l’expérience du jeu auraient très nettement gagnées en efficacité et en intérêt.
Critique réalisée à partir d’une version fournie par l’éditeur.
À l’arrivée, Vampyr tient plus d’une formule hybride que d’un genre éculé, une sorte de croisement entre le jeu de gestion, le jeu d’aventure et le jeu de rôle traditionnel. Et si la sensation de toucher du doigt une expérience sans équivalent est appréciable, elle souffre néanmoins d’un manque de finition dans son ensemble. Exception faite pour la direction artistique et l’atmosphère pesante qui règne dans les quartiers de Londres forçant au bas mot le respect. Ce sont d’ailleurs les raisons pour lesquelles Vampyr se montre autrement plus à l’aise et convaincant dans la suggestion que dans la monstration, dans ses évocations plutôt que dans ses actions. Sa figure de proue est sans nul doute à retrouver du côté de ses personnages non jouables, tous disposés à se soumettre à la volonté du joueur. Dommage, encore une fois, que l’artificialité de ses mécaniques et les faiblesses de son récit viennent entacher ce joli travail d’immersion. Vampyr n’est donc pas exempt de défauts, mais y demeure une expérimentation nécessaire pour le bien du jeu à monde ouvert.
Yohan Belhadj
Sensible à l'image et aux divers procédés de narration. Je suis peut-être plus vidéo que jeu, mais je ne boude pas pour autant mon plaisir à tenir une manette dans les mains.
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