Avec Vampire Therapist, le studio allemand Little Bat Games signe un premier visual novel absolument brillant sur le thème ô combien négligé dans le jeu vidéo de la santé mentale des vampires.
On le dit tellement souvent que ce n'est même plus drôle, mais il y a énormément, vraiment énormément, de jeux indépendants qui traitent de la santé mentale. Particulièrement depuis que cette dernière a pris un petit coup brutal derrière la nuque début 2020. En revanche, les jeux qui parlent du processus de thérapie, il n'y en a finalement pas tant que ça. Sans doute parce que c'est un sujet délicat, qui nécessite pas mal de finesse et de documentation, et dont les mécaniques sont compliquées à transformer en interaction ludique. On pense à Celeste, bien sûr, mais aussi à des pépites méconnues comme The Lion's Song. En dehors de ça, les exemples de jeux évoquant un processus de guérison mentale sont rares. Ceux qui mettent en scène la thérapie elle-même le sont encore plus. Il n'est donc pas innocent que Little Bat Games ait fait appel à de véritables thérapeutes pour concevoir Vampire Therapist. Et, s'il s'agit avant tout d'une (remarquable) comédie qui n'a pas prétention à être le reflet d'une véritable séance chez le psy, ce travail préparatoire injecte dans l'aventure un fascinant aspect de vraisemblance qui contribue pleinement à l'immersion.
Un héros à croquer
Vous incarnez Sam, un "jeune" vampire d'à peine deux siècles assoiffé de… L'envie d'aider ses camarades d'infortune. Ce brave américain naïf au look de cowboy, ancien repris de justice, a fini après des décennies d'errance par vouloir monter son affaire d'aide psychologique pour morts-vivants déprimés. Et ce, après avoir constaté qu'après cent, deux cents ou deux mille ans passés dans les ténèbres de la nuit à boire du sang, on finit invariablement par développer de petits problèmes mentaux. Sam se rend donc en Allemagne pour devenir le disciple d'Andromachos, psychologue en TCC plusieurs fois millénaire qui tient salon au-dessus d'un sex club/banque de sang (entrée gratuite pour les humains acceptant de payer en hémoglobine). Ah, Berlin.
Sam, cowboy vampire timide et un peu guindé, mais profondément gentil, largué par le monde moderne, débarque ainsi dans un univers fait d'orgies, de musique techno et de névroses en tout genre. Après lui avoir transmis les fondamentaux de la psychologie, Andromachos le jette dans le grand bain, et vous faites face à vos premiers patients. Attendez, oui, vous avez bien lu et relu : dans Vampire Therapist, vous êtes un gentil cowboy vampire. Dont le pouvoir spécial est de parler aux gens comme s'ils étaient ses amis les chevaux pour les dompter, avec un accent du Midwest à couper au couteau. Et qui doit à la fois s'adapter à son nouveau métier de psy et au fait de passer de l'Amérique profonde à cette Europe décadente et horny des nuits berlinoises. POURQUOI JE VOUDRAIS JOUER À AUTRE CHOSE ?
Pour tout dire, j'avais un peu peur que Vampire Therapist se contente du gimmick d'appliquer les principes médicaux de la psychologique cognitive et des neurosciences à une histoire super mécanique dont les personnages n'auraient servi qu'à illustrer son propos. Mais pas du tout ! Sam est un excellent personnage, dont le développement est palpable au fil des quelques mois sur lesquels se déroule le jeu. Son côté gentil boomer un peu largué, mais déterminé à s'adapter, est charmant, et ses patients ne sont pas en reste ! Une streameuse âgée de 2000 ans ressentant une énorme pression sociale vis-à-vis de ses followers (oui, elle les mange à la fin). Une vieille mécène de la Renaissance connaissant une terrible crise existentielle après avoir vu Star Wars IX et pensé que l'art était définitivement mort. Un acteur du XVIIIᵉ siècle perpétuellement insatisfait des critiques à cause de son propre narcissisme. Tout ce petit monde est drôle, bigrement bien écrit, bénéficie d'un doublage intégral hors norme et l'intrigue possède un lot de sacrés bons rebondissements. Je vous ai dit qu'on incarnait un cowboy vampire ???
Mortellement déprimé
Vampire Therapist n'est pas juste un excellent soap opéra érotique (j'insiste là-dessus, mais le jeu est ouvertement 18+, il vaut mieux le savoir avant d'y aller). C'est aussi et avant tout un jeu de réflexion qui, à ma grande surprise, possède un gameplay plutôt solide qui va vous contraindre à vous investir en détail dans ce que vous racontez à vos patients.
Lors de votre formation (de cowboy vampire psychologue), Andromachos va vous initier à une série de "distorsions cognitives" qui sont autant de mécanismes de sabotage dont sont victimes vos patients. Voir le monde de manière intégralement manichéenne, tel un vulgaire Nosferatu. Ne plus être capable de voir les aspects positifs de son après-vie. Développer un sentiment de supériorité du fait d'être physiologiquement au-dessus des mortels. Ou encore se persuader que l'on ne vaut rien à force de siècles entiers à répéter les mêmes erreurs. Un peu à la manière d'un Ace Attorney, Vampire Therapist vous propose donc de choisir la distorsion à objecter au bon moment. Si vous voyez par exemple un malade s'enferrer dans du "y'a qu'a/faut qu'on" qui l'empêche d'avancer, vous pouvez jouer la carte "should statement" pour que Sam lui souligne ce travers et le force à y réfléchir.
C'est une mécanique relativement simple, mais efficace, régulièrement complétée par des questions à choix multiples ou d'autres petites séquences qui misent énormément sur votre capacité à repérer des détails dans les dossiers ou les déclarations de vos patients. À ma grande surprise, après quelques premières heures extrêmement guidées, votre mentor finit vers le milieu du jeu par vous laisser voler de vos propres ailes. On gagne alors énormément de liberté dans ce qu'il est possible de présenter aux patients, et la seconde partie du récit se transforme ainsi en une série de séances où vous pouvez pleinement appliquer tout ce que vous avez appris jusque-là. C'est assez admirable, sans jamais devenir punitif : on ne peut pas vraiment "perdre" dans Vampire Therapist, puisqu'une séquence ratée sera simplement poursuivie jusqu'à trouver une meilleure issue. En revanche, si on s'applique à bien comprendre ce que disent les patients, on peut "gagner" en étant récompensé de tout un tas de petites séquences bonus assez amusantes. Pour un jeu qui parle d'être attentif, d'apprendre, et d'aider les autres, c'est exactement le game design qu'il fallait. On joue un cowboy vampire, bon sang. Un cowboy. Vampire.
Vampire Therapist a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Vampire Therapist ne plaira pas à tout le monde : intégralement en anglais (c'est plutôt dommage), très adulte et abordant des questions pointues liées à la psychologie des morts-vivants, il demande par ailleurs pas mal d'investissement et d'attention. La thérapie est un long processus, complexe, et parfois constitué d'impasses. Axé sur l'humour, mais pas dénué d'une remarquable profondeur sur des problématiques sociétales parfaitement applicables au monde des vivants, le jeu de Little Bat Games est un visual novel assez exemplaire. Un jeu dans lequel on incarne, je me permets de vous le rappeler, un cowboy vampire capable de dresser magiquement les gens comme des chevaux. Heya Buddy, there there, tout va bien se passer, Heee-ho !
Les + | Les - |
- C'est vraiment très drôle | - Pas de version française |
- Les "vrais" concepts de thérapie très bien intégrés au jeu | |
- Les patients sont presque tous très réussis | |
- La relative liberté dans la seconde partie du jeu | |
- Graphiquement superbe, et bénéficiant d'un doublage exemplaire |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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